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Le cinéma au jour le jour
Cine Die - octobre 2016

Compte-rendu

Article mis en ligne le 4 octobre 2016
dernière modification le 20 septembre 2016

par Raymond SCHOLER

On se penche sur la suite du 16e NIFFF, puis sur le 69e Festival del Film Locarno.

16e NIFFF (suite)

Films of the Third Kind
D’Ardennen du Belge Robin Pront révèle que les Ardennes sont des lieux de perdition où des sociopathes "piercés" et hirsutes s’adonnent à des rites sauvages que la civilisation réprouve. Après Borgman (Alex van Warmerdam, 2013) et El abrazo de la Serpiente (Ciro Guerra, 2015), l’acteur flamand Jan Bivoet incarne à nouveau un homme de la forêt immoral et adonné aux trafics louches, dont le bras droit est un redoutable Goliath outrageusement travesti. C’est à eux que Ken, un détenu fraîchement libéré, s’adresse pour faire disparaître le corps de Sylvie, son amie infidèle, faisant croire à son frère Dave, dont elle était enceinte, que le body bag qu’ils sont en train de trimballer contient le cadavre d’un infâme patron de night-club. Un style direct et bourru qui fait penser à Rundskop/Bullhead (2011) de Michaël R. Roskam. Pourquoi la petite Belgique fait-elle de si bons films et … la Suisse pas ?

« D’Ardennen » de Robin Pront

Mi Gran Noche est un Alex de la Iglesia satirique de la meilleure veine. Une soirée de Nouvel-An tournée sur un plateau de télévision (mais enregistrée en octobre) réunit un aréopage de gloires locales devant un parterre de figurants sélectionnés, attablés devant des mets et boissons factices. Dehors, dans la rue, des grévistes en fureur livrent bataille à la police. Sur le plateau, un échafaudage d’éclairage s’écroule et tue un figurant, dûment et illico remplacé par José, un quadra célibataire qui vit encore avec maman. Il tombera tout de suite mortellement amoureux de sa voisine de table, la séduisante Paloma (suavissime Blanca Suarez), qui le présente à ses compagnons d’infortune, car on est déjà au 10e jour de tournage et personne n’a le droit de quitter le studio. Alphonso, un vieux chanteur de charme (incarné par le septuagénaire Raphael !) espère damer le pion à Adanne, l’idole des ados, de 45 ans son cadet, dont une jeune fervente vole le sperme pour un futur chantage à la paternité. Le fils d’Alphonso, qui est aussi son assistant, donne les dernières directives à un tueur à gages censé liquider le père en plein concert … sans se douter que l’homme est un fan de sa victime désignée ! Tout ça - et bien plus - se déroule dans une cacophonie hyperactive de couleurs et de sons qui nous laisse comblés, quoiqu’un peu épuisés. Comme si on venait de voir une quinzaine de Looney Tunes coup sur coup.

El Dorado
Avec ce programme, le NIFFF rend hommage au cinéma fantastique d’Amérique latine avec 19 films réalisés après 1952 dans divers pays, parmi lesquels l’Argentine et le Mexique tiennent le haut du pavé. Outre les relativement bien connus Santa Sangre (Alejandro Jodorowsky, 1989) et Vampiros en La Habana (Juan Padron, 1985), nous pûmes découvrir quelques perles totalement inconnues.
Obras Maestras del Terror (1960) du prolifique Argentin Enrique Carreras est une illustration dans un somptueux noir blanc de 3 nouvelles d’Edgar A. Poe : El caso del Señor Valdemar, El tonel de Amontillado et El corazon delator. Le rôle principal est tenu dans les trois segments par Narciso Ibañez Menta, qui est un peu au cinéma hispanophone ce que Peter Cushing est au cinéma anglo-saxon, une figure d’autorité à la fois élégante et inquiétante. Son fils, Narciso Ibañez Serrador, l’auteur de l’immortel Quien puede matar a un niño ?/Les révoltés de l’an 2000 (1976), se lançait ici pour la première fois dans l’écriture d’un scénario et joue le meurtrier dans Le cœur révélateur. Le film (comme les deux suivants) est visible sur YouTube.

« Nazareno Cruz y el lobo » de Leonardo Favio

Nazareno Cruz y el lobo (1975) de l’Argentin Leonardo Favio est une fable ancrée dans la mythologie du peuple guarani. Nazareno Cruz est un jeune paysan tout ce qu’il y a de plus avenant et normal, mais il est aussi le septième fils de son père, et de ce fait frappé par la malédiction du loup-garou. Quand il a 18 ans, il tombe amoureux de Griselda, la fille blonde de l’alcalde. Le Diable se présente alors à lui sous les traits d’un voyageur et l’avertit : s’il cède à ses penchants amoureux, il se transformera en loup les nuits de pleine lune avec tous les risques du métier que cela implique ; s’il résiste à l’amour, il sera couvert de richesses. Comme Nazareno ne saurait abandonner sa Griselda, la tragédie guette au bout du chemin. Les scènes du couple enlacé dans les hautes herbes sont d’un romantisme échevelé et ce sublime film d’amour aux couleurs pastel est toujours le film argentin le plus vu dans son pays.

Pura Sangre (1982) du Colombien Luis Ospina est une allégorie dévastatrice sur l’exploitation des pauvres. 33 ans avant El Clan (Pablo Trapero, 2015), le film décrit une société vampirique, où les riches ont les moyens d’utiliser les moins riches à leur guise : le nombre de garçons drainés de leur sang pour qu’un vieux débris puisse survivre grâce à des transfusions, est hallucinant. Les rabatteurs assouvissent leurs penchants avant de passer à la ponction létale, les cadavres sont jetés dans les décharges et, à la fin du film, un demeuré illuminé avoue tous ces crimes, garantissant l’impunité des ordures. Magistral et d’une sécheresse documentaire.
Muerte en Buenos Aires (2014) de l’Argentine Natalia Meta est un de ces polars où l’assassinat déclencheur de l’enquête n’est jamais résolu. Une jeune recrue de la police jette en effet de la poudre aux yeux des inspecteurs chevronnés, alors qu’il est en réalité un exécutant des criminels aux commandes. Climat étrange et ambigu, car le beau jeune homme (joué par Chino Darin, le fils de Ricardo) est prêt à payer de sa personne pour piéger des suspects homosexuels, ce qui trouble immodérément son supérieur hiérarchique. Du noir latino.

Chino Darin et Demian Bichir dans « Muerte en Buenos Aires »

Tenemos la Carne (2016) du Mexicain Emiliano Rocha Minter se déroule dans les entrailles vides d’un building transformé par les rares occupants (on commence par un couple de frère et sœur et un vieux gourou lubrique), avec force carton et tape, en matrice protectrice. On suppute qu’il y a eu un cataclysme et que ces gens sont des survivants qui n’ont plus que des besoins élémentaires, ingérer et forniquer. Et le cinéaste de se prendre pour un émule de Georges Bataille et de nous plonger dans les délices d’une animalité revendiquée qui commence bien sûr par l’inceste sans complexe et finit dans un acte de cannibalisme un tantinet occulté : c’est le vieux philosophe qui est mangé par les autres. Métaphore, quand tu nous tiens ! Toujours est-il qu’à la fin, toute la congrégation trouve sans problème une brèche dans la matrice et débouche dans la circulation infernale de la métropole ! Une sorte d’expérience limite du cinéma.

69e Festival del Film Locarno

Compétition internationale
Slava est le second long métrage de fiction des Bulgares Kristina Grozeva et Peter Valchanov, dont Urok/La leçon avait fait forte impression au dernier Festival de Fribourg. Margita Gosheva, qui y jouait l’enseignante acculée à des compromissions avec l’éthique, incarne ici une directrice des relations publiques du ministère des transports qui pèche par manque de respect pour les humbles. Un cheminot bègue trouve sur la voie ferrée un magot et le remet à la police. L’État veut fêter cet homme honnête et lui offre devant les caméras une nouvelle montre-bracelet en récompense. Pour ce faire, l’homme doit se défaire de sa vieille montre et Madame la directrice l’égare, elle est trop préoccupée par son travail et le bégayeur l’enquiquine. Mais la nouvelle montre s’avère de la camelote et le cheminot veut récupérer celle que son père lui a léguée. Un nouveau Michael Kohlhaas veut retrouver sa dignité.

Lucian Teodor Rus et Ivana Mladenovic dans « Cœurs cicatrisés »

Inimi cicatrizate/Cœurs cicatrisés du Roumain Radu Jude (connu pour son excellent Aferim ! (2015) sur la servitude des Roms dans la Valachie ottomane) révèle l’univers de Max Blecher, écrivain juif roumain mort en 1938, à l’âge de 29 ans, d’une tuberculeuse osseuse qui l’a immobilisé en sanatorium pendant une décennie. Cœurs cicatrisés est le titre d’un des deux romans publiés de son vivant, probablement en grande partie autobiographique. Le film décrit le calvaire d’un jeune homme avide de vie que le corset de plâtre qui l’emprisonne n’empêche pas de s’essayer à la galipette, mais qui peu à peu se laisse envahir par la certitude qu’il ne s’en sortira pas. Tourné au format 4:3 de l’époque, le film reconstitue un sanatorium au bord de la mer Noire vers le milieu des années 1930, avec des infirmiers et médecins fumeurs, des jeunes patients qui discutent ardemment politique et littérature, amours et délices pendant qu’à la radio, on a les échos de la peste brune qui approche.

Piazza Grande
Paula de l’Allemand Christian Schwochow est un biopic de bonne facture sur la peintre Paula Modersohn-Becker (1876-1907), un Cézanne au féminin, dont l’œuvre fut récemment exposée au Musée d’Art Moderne de la Ville de Paris. La réussite du film est en grande partie due à l’interprétation de Carla Juri, très convaincante d’impulsivité et dotée d’un penchant manifeste pour les facéties. br>

Albrecht Schuch et Carla Juri dans « Paula »

The Girl With All The Gifts de l’Écossais Colm McCarthy est le film de science-fiction le plus original de cette année, traitant de rien de moins que de la fin de l’Homo Sapiens et de l’avènement d’une nouvelle espèce. Dans un centre de recherches souterrain, des enfants attachés à leurs chaises roulantes sont amenés tous les matins dans leur salle de classe par des soldats armés jusqu’aux dents. Melanie (Sennia Nanua, formidable !) se distingue des autres élèves par le fait qu’elle salue ses gardiens affablement, articule très bien ses phrases et manifeste une soif de connaissance évidente. Elle a déjà conquis le cœur de la jeune prof (Gemma Arterton) et vice-versa. Quand la jeune femme lui caresse les cheveux, le sergent (Paddy Considine) rappelle vite le côté extrêmement dangereux de ces enfants : il crache sur son avant-bras pour enlever le gel anti olfactif qui le couvre et approche son avant-bras d’un gamin : aussitôt celui-ci se transforme en furie bavante, aux crocs acérés. La scientifique de la base (Glenn Close) s’intéresse particulièrement à Melanie, puisque la jeune fille sait se maîtriser et réunit des facultés cognitives et affectives qui semblent faire défaut aux autres enfants. Serait-elle porteuse d’un vaccin ou d’un antigène ? Avec des moyens modestes et un art consommé d’éviter les clichés, McCarthy entre au cinéma par la grande porte.

Au mois prochain
Raymond Scholer