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le cinéma au jour le jour
Cine Die - novembre 2011

Reflets du 11e Neuchâtel International Fantastic Film Festival (NIFFF)

Article mis en ligne le 1er novembre 2011
dernière modification le 31 décembre 2011

par Raymond SCHOLER

Compétition Asiatique
Le nouveau cinéma coréen tenait encore le haut du pavé neuchâtelois avec deux polars d’une intensité peu commune. The Unjust (2010) de Seung-Wan Ryoo oppose un policier et un procureur aux rancœurs surdimensionnées à propos de l’enquête sur un tueur de fillettes. À part le fait que les deux anti-héros sont aussi pourris l’un que l’autre (chacun touchant des défraiements de magnats mafieux de l’immobilier), il est instructif de voir à quel point les supérieurs hiérarchiques de l’administration coréenne distribuent injures, coups de pied et de poing carabinés dans les tibias et autres parties de leurs collaborateurs. Dans nos doux cantons, les tribunaux seraient bloqués en permanence par des procès pour brutalité et harcèlement. Que la violence soit affaire de génétique chez les habitants du Pays du Matin Calme, on n’en doute plus après The Yellow Sea (2010) de Hong-Jin Na, auteur du sublime The Chaser (2008). Gu-Nam, un chauffeur de taxi coréen œuvrant à Yanji City, dans la province chinoise coincée entre la Corée du Nord et la Russie, s’endette au mah-jong pour pouvoir rejoindre sa femme partie travailler à Séoul et dont il est sans nouvelles depuis 6 mois. Un parrain local lui propose de le faire passer en Corée du Sud et même de rembourser ses dettes de jeu. En contrepartie, Gu-Nam devra simplement assassiner sur place un industriel. La première partie de son odyssée se déroule sur la mer Jaune où il rejoint d’autres immigrants clandestins parqués dans la soute d’un chalutier. Il y assiste à des scènes effroyables, comme nous les connaissons de la Méditerranée : à chaque mer son Eldorado, ses trafiquants et leurs victimes. Arrivé en terre promise, il voit ses affaires se gâter : d’abord il se fait prendre de vitesse dans son contrat par un autre tueur, puis il est poursuivi par la police et les gangsters à la fois. Homériques courses-poursuites, règlements de comptes au couteau, massacres à la hache ou à coup d’os ; la sauvagerie de certaines séquences est heureusement désamorcée par l’excès même qui devient nolens volens comique. Mais le ton du film reste imperturbablement noir.

« The Yellow Sea » de Hong-Jin Na

Quels démons ces cinéastes exorcisent-ils donc ? Heureusement qu’il y avait comme antidote le dernier moyen métrage de Chan-Wook Park, Night Fishing (2011), réalisé conjointement avec son frère Chan-Kyong Park. Un pêcheur trouve dans ses filets une jeune femme qui commence à lui parler de sa fille défunte : il comprend alors qu’elle est une chamane capable de voyager entre le monde des vivants et celui des morts et il ne sait plus duquel il fait partie. Cette séquence est suivie par une cérémonie funéraire ponctuée par les gestes infiniment élégants et les incantations mélodieuses d’une gracieuse prêtresse. Trouver un joyau d’une telle spiritualité chez l’auteur de Old Boy (2003) fut une des surprises majeures du festival.

Just a Film : Herschell Gordon Lewis et le gore ou splatter
L’invité le plus notoire du festival fut le créateur même du genre gore, l’octogénaire H.G. Lewis. Les copies sur pellicule de ses films n’existant guère dans nos contrées, le festival se contenta de copies vidéo, ce qui se justifie d’autant plus qu’à l’exception des habitués des drive-in américains, la plupart des cinéphiles dans le monde découvrirent ces produits grâce à la VHS. Un documentaire de Frank Henenlotter et Jimmy Maslon, H.G. Lewis : The Godfather of Gore (2010) retraça la carrière de ce businessman extraordinaire dont le seul et unique souci fut de faire des kopecks. Mais comment faire si on n’a pas les moyens des grands studios ? En abordant des thématiques qui répugnent à ceux-ci, mais titillent le public. Les premiers de ses 37 titres annoncent sans ambages la couleur : il y aura du sexe (alors que le code Hays est toujours en vigueur !), de la drogue et du rock’n’roll. Dans ses deux premiers films, qui un peintre, qui un photographe se spécialisent dans le nu féminin. Dans The Adventures of Lucky Pierre (1961), le protagoniste imagine que tous ceux qu’il voit sont nus. On voit que Lewis, à chaque étape, ose une audace de plus.

Herschell Gordon Lewis

Ses films suivants se déroulent carrément dans des camps de nudistes. Mais en 1963, le filon est usé. Il faut chercher autre chose : pourquoi pas débiter une personne en morceaux ou lui arracher la langue avec des trucages et des litres de faux sang ? Ce sera Blood Feast (1963), le premier film certifié gore. Seuls les crédules qui n’ont jamais vu un spectacle du Grand-Guignol s’en offusquent. Pour la critique, c’est un pur phénomène de foire. Pour Lewis aussi : il se voit en pourvoyeur de sensations primaires. Ses acteurs ne se recrutent pas nécessairement parmi des comédiens formés. Car le budget est limité. Lewis ne fait jamais de répétitions ni de seconde prise : ça coûterait trop cher. La mise en scène, il ne sait pas ce que sait. Il aligne simplement des plans selon un enchaînement logique. Mais il arrive qu’il introduise une dimension politique (par ex. le ressentiment pérenne du Sud contre les Yankees) dans un scénario très futé et qu’il engage des acteurs convaincants et cela donne son meilleur film : Two Thousand Maniacs ! (1964). Six touristes sont attirés dans la bourgade sudiste de Pleasant Valley (sic) qui fête le 100e anniversaire de la Guerre de Sécession et sont tués, un à un, dans des attractions (de foire !) : la vengeance pour le massacre commis jadis par les troupes nordistes ! Color Me Blood Red (1965) raconte l’histoire d’un peintre qui tue pour utiliser le sang de ses victimes comme pigment. Lewis continua dans la même veine (mélangeant souvent sexe et gore) jusqu’à The Gore Gore Girls (1972), son 35e film. Puis il bifurqua vers la publicité où il devint un auteur prolifique de manuels de la branche. Sa conférence à Neuchâtel confirma que le bonhomme n’a rien perdu de son mordant et de sa lucidité en matière d’affaires.

« Street Trash » de James Muro

Le gore devenant de plus en plus international et toléré, il fit partie des premières œuvres (à budget limité) de cinéastes aujourd’hui bien établis comme David Cronenberg, Abel Ferrara, Sam Raimi, Lloyd Kaufman ou Stuart Gordon. Ces films ainsi que quelques raretés supplémentaires complétaient une rétrospective volumineuse : Alucarda – La Hija de las Tinieblas (1978) du Mexicain Juan Lopez Moctezuma narre l’histoire d’Alucarda (cherchez l’anagramme !), élevée par une tzigane après la mort en couches de sa mère et grandissant chez les nonnes. Elle se prend d’amitié pour une nouvelle venue, l’orpheline Justine. Les deux concluent un pacte infernal en buvant mutuellement leur sang, nues, et déstabilisent l’institution religieuse avec leurs imprécations blasphématoires. Soumises à un exorcisme, Justine décède, tandis qu’Alucarda est sauvée in extremis par le médecin du couvent, horrifié par ce rite d’un autre âge. C’est alors seulement que le film passe à la vitesse supérieure de la possession satanique : les religieuses s’adonnent à des orgies lesbiennes, prennent feu, des églises s’écroulent et la science doit s’avouer vaincue devant la religion. Une sorte de Moine (Matthew Lewis) au féminin, l’élément de la prédation sexuelle en moins.
Street Trash (1987) est la réalisation unique de James Muro, surtout connu aujourd’hui comme un des meilleurs opérateurs de steadycam (pour James Cameron, Kathryn Bigelow, Oliver Stone, et j’en passe). Une boisson qu’un détaillant trouve dans la cave de sa boutique et qu’il vend à des clodos avinés pour un dollar, transforme ceux-ci en une masse semi-liquide multicolore qui part par les égouts. Le parti-pris esthétique du dégueu et du déliquescent comme métaphore de la société (le chef des SDF qui peuplent la déchetterie où se déroule l’essentiel du film est un ancien du Viêtnam) donne lieu à un délectable festival d’effets vomitifs et explosifs, où il faut retenir le plan sublime du beaver shot, lorsque la tête déjà décollée du lubrique vétéran regarde rapidement sous les jupes de la belle Asiatique qui l’enjambe. A noter que Bryan Singer débutait sur ce film en tant qu’accessoiriste.

Rutger Hauer dans « Hobo with a Shotgun » de Jason Eisener

Comparé à ces merveilles, Pieces (1982, Juan Piquer Simon) qu’Eli Roth, autre invité, tenait absolument à nous montrer comme exemple type du nanar inepte (des dialogues inénarrables ; un tueur qui suit une femme dans l’ascenseur avant de sortir, comme par enchantement, une tronçonneuse cachée sous son imperméable) et sanglant (le couteau qui sort par la bouche de la victime), peine à nous amuser. Seules les origines enfouies de cette activité meurtrière sont intéressantes. Lorsque le tueur s’était fait, encore enfant, morigéner par sa maman qui l’avait surpris en train de composer un puzzle représentant une femme nue, son sang n’avait fait qu’un tour. Armé d’une hache, il avait coupé maman en morceaux. Et quarante ans plus tard (ne demandez pas pourquoi), il essaie de la recomposer avec des parties prélevées sur ses victimes. Une banale histoire de frustration donc !
L’affiche de Hobo with a Shotgun (2011) du Canadien Jason Eisener arbore le programme du film : « Delivering justice one shell at a time/ distribuant la justice cartouche par cartouche ». Un justicier SDF essaie de nettoyer une ville soumise au règne de terreur d’un parrain sanguinaire et de ses fils sociopathes qui tiennent la police locale à leur botte. Les (trop) jeunes prostituées sont martyrisées, les enfants sont victimes d’un Père Noël pédophile, un bus plein d’écoliers est incendié, les exécutions sadiques (au moyen de tout ce qui coupe, tranche ou casse, depuis les fils barbelés aux tondeuses à gazon en passant par les battes de base-ball) se déroulent devant une population prise en otage et rappellent les Jeux Romains. Cette surenchère dans le ruissellement de sang, accentuée par des couleurs hypersaturées, n’a plus rien à voir avec le réel et situe clairement le récit dans le domaine du fantasme à outrance. C’est en fait la plus actuelle manifestation d’un lewisme du meilleur aloi.

« Yulenka » d’Alexandre Strijénov

Panorama russe
De loin le film le plus abouti de cette section fut Yulenka (2009) d’Alexandre Strijénov. Un professeur d’un âge certain est la victime du chantage et des manipulations exercés par une adolescente de prime abord douce et fragile, mais qui se révèle progressivement diabolique, tyrannique et meurtrière. C’est l’exploration de l’atmosphère délétère du lycée de jeunes filles et la prise de conscience tardive des rets dans lesquels se trouve pris le protagoniste qui font le prix de cette œuvre vénéneuse à souhait.

Au mois prochain

Raymond Scholer