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Rencontres Européennes de Théâtre
Thessalonique : Rencontres Européennes
Article mis en ligne le juillet 2007
dernière modification le 24 juillet 2007

par Julien LAMBERT

Le Prix Europe pour le Théâtre récompense chaque année un ou deux artistes de renom pour l’ensemble de leur carrière, tandis que le Prix Nouvelles Réalités théâtrales encourage des artistes émergents et novateurs.

Cette année, le polyvalent Québécois Robert Lepage a reçu le grand prix, l’auteure serbe Biljana Srbljanovic et le metteur en scène letton Alvis Hermanis partageant quant à eux le prix des « jeunes ». Petite revue suite à quatre jours au faîte du théâtre européen, sous le soleil de Thessalonique…

La deuxième ville de Grèce a accueilli, pour de multiples spectacles, conférences et rencontres un sacré gratin international, beaucoup d’artistes et de journalistes, à l’initiative de l’Union des Théâtres de l’Europe et de la Convention Théâtrale européenne, chargées conjointement de remettre ce qu’elles se plaisent à appeler « le Nobel du théâtre ». Avis pas forcément partagé, puisque le lauréat le plus fameux sur le continent, le metteur en scène allemand Peter Zadek, pour un problème d’acteurs n’a pas daigné se déplacer pour recevoir son prix et se l’est donc vu refuser, règlement oblige. Aboutissement regrettable au vu du Peer Gynt spectaculaire qui a clos la rencontre. À elle seule, la troupe polymorphe du Berliner Ensemble dirigée par Zadek peuplait une scène immense d’un décor sans cesse changeant, d’une atmosphère, de microcosmes, de collines et de monstres, presque uniquement de l’humain, en pyramides ou en tissus jouant la grande farce de la destinée humaine avec rythme et conviction.
Seul lauréat restant, le Québécois Robert Lepage s’est fait voir en revanche et même copieusement : il n’y avait que les Suisses pour ne pas connaître cet affable chef de troupe qui fait tourner en permanence trois à cinq spectacles dans le monde entier depuis des années ! S’il se compare volontiers à Ulysse, c’est en effet que Lepage aime partir pour se découvrir, comme bon nombre de ses personnages aventureux, mais sans savoir où il arrivera. Souvent parti d’une improvisation, du plaisir de développer une histoire à partir d’un objet qui se métamorphose, de boîtes qui se développent pour créer des espaces sans fin, lui et sa troupe Ex-machina ont ainsi échafaudé, à force de rajouts et de bifurcations, des spectacles de six bonnes heures parfois. Dans cette optique, la tournée même, et donc la diversité des publics rencontrés, mais aussi le choc d’anciens et de nouveaux projets voire d’arts voisins sont autant d’influences qui invitent à la transformation. De ce fait, et parce qu’il aime créer sur scène des images oniriques où l’humain est parfois submergé ou exploité comme une marionnette par la scénographie mutante ou des écrans qui proposent souvent des vérités alternatives, le théâtre de Lepage est souvent qualifié de « technologique ». Mais celui qui se définit comme un « raconteur d’histoires » sait aussi charmer simplement avec une lampe de chevet porteuse d’ombres ou un miroir qui donne l’impression que son corps tournant au sol s’envole…

“Long Life“ par Alvis Hermanis. XI Europe Theatre Prize.(www.photoreportage.gr)

Quelle(s) Réalité(s) ?
Plus intéressant puisqu’il est censé encourager et révéler au public de nouveaux espoirs du théâtre, le Prix Nouvelles Réalités a fait cette année le grand écart entre deux personnalités radicalement opposées. « Nouvelle », la réalité de l’auteure serbe Biljana Srbljanovic l’est à double titre, puisque d’une part elle met en scène les conflits balkaniques et surtout l’impossible reconstruction qui doit les suivre, et que d’autre part ses textes manifestent de forts parti-pris dramaturgiques, très hétéroclites et complexes. Ascension de tout un pays vers la terreur, par le prisme d’une famille de fous qui reproduit comme dans Ubu toutes les étapes de la débâcle en condensé, dans La Chute ; guerre rejouée par des enfants qui se servent en même temps de parents dans les Histoires de famille, déjà traduites vingt fois et septante fois montées ; errances d’un cadre new-Yorkais licencié entre métro et répondeur téléphonique ; compromis frauduleux entre jeunes et vieux dans la Yougoslavie d’après-guerre… Bourreau malin au verbe corrosif, Biljana a compris que le recours au grotesque, à l’humour et parfois à l’absurde dénoncent au plus près les non-sens sur lesquels l’homme contemporain doit bâtir sa vie.
Autre « homme de l’Est » en vogue, le letton Alvis Hermanis fut en revanche un des premiers soviétiques à se démarquer de tout théâtre politique, voire… du théâtre ! « Mon intérêt c’est la vie, pas le théâtre, dit-il. Le théâtre est un instrument pour réaliser des recherches anthropologiques, et c’est dans la sphère privée qu’on trouvera la vraie vie. » Ainsi le metteur en scène astreint-il ses acteurs à des mois d’observation au zoo voire en camp d’entraînement pour l’Irak afin de « devenir quelqu’un d’autre », d’« imiter la réalité au plus près ». Son Long Life reproduit un appartement communautaire soviétique surchargé, dans lequel le spectateur épie les gestes rituels de cinq petits vieux qui vivotent une journée, tandis que Väter, monté au Schauspielhaus Zurich, aligne les témoignages les plus intimes des acteurs sur leurs propres pères. Ennuyeux ? Allons donc… (lire à ce sujet l’Edito).

Julien Lambert