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Petithéâtre de Sion
Sion, Petithéâtre : “L’Amant“ de Pinter

Entretien avec Stéphane Mercoyrol, au sujet de ses mises en scène de l’Amant et de Simplement compliqué.

Article mis en ligne le avril 2008
dernière modification le 28 avril 2008

par Bastien FOURNIER

En ce début d’avril, le metteur en scène français Stéphane Mercoyrol dirige Rita Gay et Mathieu Delmonté dans l’Amant de Harold Pinter au Petithéâtre de Sion, puis en tournée.

En automne, c’est aux Halles de Sierre qu’il montera Simplement compliqué, de Thomas Bernhard, avec Christian Colin. Deux spectacles qui paraissent en annoncer d’autres et qui tracent une cohérence dans le travail d’un homme de théâtre. Attention portée sur l’image, sur l’écriture, exigence et profondeur : voilà, semble-t-il les maîtres mots de Stéphane Mercoyrol. Un autre encore : la pensée.

Stéphane Mercoyrol, vous présentez L’Amant de Pinter ces jours au Petithéâtre de Sion, et Simplement compliqué, de Thomas Bernhard, aux Halles de Sierre, cet automne. Quelles sont les raisons de ces choix ?
Je travaille sur Pinter depuis des années. On croit d’abord à un langage quotidien, mais on est dans une forme de folie du langage ordinaire ; la métaphore prend toujours le pas sur le réel. L’Amant pose la question de l’altérité dans le couple. La pièce demeure pertinente et acide au regard de notre Occident contemporain « libéré ». Ces deux amants qui jouent tous les rôles et se disent tout sont néanmoins piégés. L’autre n’existe plus. La communication devient aporie et l’idée de transmission se délite. Même problème de la transmission dans Simplement compliqué. Un poète, mathématicien, philosophe, qui a joué dans de nombreux théâtres, lu et relu Schopenhauer, se trouve à la fin de sa vie à clouer les plinthes de peur que les souris ne viennent le grignoter. Une petite fille lui rend visite pour lui porter du lait. Parce qu’elle l’écoute, il n‘est pas tout à fait mort. L’attention à une parole mineure est une constante chez Bernhard, qui rappelle d’ailleurs que la soeur de Schopenhauer vendait des milliers d’exemplaires de ses romans de gare, quand Schopenhauer lui-même n’avait écoulé que quatre fois Le Monde comme volonté et comme représentation. Qu’est-ce qu’un artiste qui n’est pas écouté, un poète qui n’est pas lu ? Et puis il y a le rythme, l’écriture. Bernhard est d’abord violoniste. Il structure son écriture autour d’une idée profonde de ce que peut être le rythme.

Vous êtes diplômé de philosophie. Quels types de liens, selon vous, entretient cette discipline avec le théâtre ?
Je crois que le théâtre et la philosophie ont pour commune ambition la recherche de la vérité. J’ai conscience que ce mot peut surprendre. Il n’y aurait pas une vérité, mais des vérités. On parle pourtant d’une vérité scientifique, de vérité dans une affaire criminelle. Des populations qui ont subi les pires injustices veulent un jour la reconnaissance de la vérité. Au Cambodge (où je suis né de parents français), le génocidaire Duch a reconnu sa culpabilité devant le S21. Un bourreau et une victime pleurent l’un devant l’autre. Il y a là, selon moi, la trace d’une vérité objective. Si l’on n’admet pas qu’il existe une vérité, on risque le plus grand dogmatisme, le plus grand scepticisme.

Aujourd’hui, pourquoi faire encore du théâtre ?
Pourquoi douter qu’il faille faire du théâtre ? Je préfère parler du théâtre que je pratique, et ce théâtre est fait de textes, donc de parole, et d’images, car l’image est langage. Il est nécessaire d’inviter chacun à être critique de l’image et du langage. Depuis des années se déchaînent des attaques en règle contre l’intellectualisme, l’art, les chercheurs, en somme la pensée. Le théâtre participe d’une pensée et nous devons être attentifs à toujours garder, par cette pensée, un esprit critique sur le monde et sur notre époque.

A quelle famille de théâtre vous apparentez-vous ? Quels metteurs en scène ou acteurs ont-ils influencé votre pratique artistique ?
Ma pratique actuelle me vient d’artistes qui m’ont marqué par l’évidence de leur travail : Delon, Brando, Blier, Rochefort… J’ai été très influencé par le cinéma. Au théâtre je pense à Régy, Bob Wilson, Vitez, Bausch, Grüber, Langhoff… Certains ont beaucoup fait pour moi : ce sont ceux avec qui j’ai pratiqué la scène et qui avaient en commun un choix artistique concret : Dominique Valadié, Christian Colin, Stéphane Braunschweig, Eric Vigner. J’espère, avec le temps, continuer à découvrir des artistes et des pensées qui infléchiront mon travail. Je pense à des mondes qui me concernent mais qui sont oubliés du théâtre occidental tel que je le connais : le Cambodge, l’Afrique, en sont quelques exemples.

Et pour la suite ?
J’ai un projet avec deux jeunes auteurs, un Suisse, Bastien Fournier, et un Français vivant à Berlin, Frédéric Aspisi. J’ai des idées, des thèmes, des désirs et la volonté de travailler avec ces deux artistes, même s’il est encore trop tôt pour envisager la forme que cela prendra. Je pense aussi à Victor Hugo, qui m’accompagne depuis mon arrivée en France.

Propos recueillis par Bastien Fournier

« L’Amant », de Pinter, avec Rita Gay et Mathieu Delmonté : Petithéâtre, Sion, du 1er au 13 avril ; Caves de Courten, Sierre, 12 novembre ; Dé, Evionnaz, 14 et 15 novembre. Alchimic, Genève, du 28 octobre au 9 novembre.
« Simplement compliqué », de Bernhard, avec Christian Colin : automne 2008, Les Halles, Sierre