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Au Théâtre du Passage, Neuchâtel
Neuchâtel : “Cinq hommes“

Avec Cinq hommes, sujet éminemment politique et brûlant d’actualité, Robert Bouvier espère faire un spectacle de portée universelle.

Article mis en ligne le novembre 2006
dernière modification le 5 août 2007

par Bastien FOURNIER

Robert Bouvier met en scène Cinq hommes, de Daniel Keene, au Théâtre du Passage.

Cinq hommes ont quitté leur pays pour travailler, clandestinement, sur un chantier difficile. Ils vivent dans un même baraquement. Voilà l’argument de la pièce de l’auteur australien Daniel Keene actuellement en répétitions au Théâtre du Passage de Neuchâtel.

Questionnement
D’un sujet éminemment politique et brûlant d’actualité, Robert Bouvier espère tirer un spectacle de portée universelle : « les problèmes soulevés par ces cinq hommes dépassent la thématique des immigrés. Confrontés à la même situation inconfortable, ils se trouvent dans un questionnement perpétuel. » En effet, pour ces hommes coincés dans leur baraquement, dans une condition sociale inaboutie, la remise en question apparaît comme une nécessité, la curiosité en face de l’autre comme une condition sine qua non à la survie : quelle est ma
société ? Celle de l’autre ? Qu’est-ce que je projette ? Qu’est-ce que lui projette ? Les questions atteignent des dimensions politiques, voire philosophiques : quel rapport entretenons-nous avec Dieu ? Avec l’exil ?

Affiche du spectacle

Travail, identité, étrangeté
Touché par de telles questions, le metteur en scène l’est encore, comme lors de ses précédents spectacles, par les êtres à l’écart des canons sociaux admis : à l’instar du personnage handicapé de l’Eloge de la faiblesse ou de celui, retiré du monde, de Saint Fançois d’Assise (deux rôles tenus par Bouvier), les clandestins de Cinq hommes présentent une forme de marginalité qui lui permettent, comme metteur en scène, d’explorer les facettes différentes de ces destins qui s’écartent de celui du plus grand nombre. Ce spectacle s’inscrit donc dans une ligne de force propre au metteur en scène, qui donne ici la parole à des personnages qui n’en jouissent, au théâtre, que rarement. Et cette parole est réaliste, âpre comme le sont les bruits du chantier.
Robert Bouvier se définit lui-même comme un « boulimique du travail » et c’est aussi pourquoi le texte de Keene a résonné en lui : « dans notre société, l’homme trouve son identité à travers son travail. Mais aujourd’hui, comme s’il y avait trop d’hommes, on n’a pas besoin de tout le monde. Celui qui est privé de travail n’a plus le moyen de se sentir exister. » En effet, un personnage se demande si un fermier, dès lors qu’il a vendu sa ferme, est encore un fermier. La question du lien entre l’identité d’un homme et son travail traverse ce spectacle. En outre, il est certain que le thème de l’étrangeté sous-tend la pièce de Daniel
Keene : « Cela me parle beaucoup. J’ai le désir de briser les barrières, les frontières. J’ai souvent l’occasion d’être un étranger, comme lors de mes études en France ou pendant des voyages professionnels », nous dit Robert Bouvier. Marqué par la volonté d’intégration d’immigrés côtoyés dans les années 70, le metteur en scène s’est permis de modifier, avec l’accord de l’auteur, les nationalités des personnages. Le texte original comporte en effet un Algérien, un Hongrois, un Serbe, un Slovène et un Albanais. Soucieux de retrouver les figures de son enfance, ou voulant leur rendre cet hommage, Bouvier en a fait un Espagnol, un Sénégalais, un Roumain, un Polonais et un Marocain. Un cosmopolitisme qu’on retrouvera sur la scène : les acteurs ont tous un accent qui correspond, grosso modo, à la nationalité du personnage. Robert Bouvier précise : « C’était nécessaire à mes yeux. Chacun a passé au moins vingt ans dans son pays d’origine. Cela les rend authentiques, bien sûr, mais leurs formations, leurs jeux différents les uns des autres transposent sur scène la pluralité des cultures. Comment un Maghrébin imprégné d’islam cohabite-t-il avec un athée cynique et alcoolique ? La pièce provoque la rencontre d’éducations, de genres de vie, d’habitudes et de conceptions différentes. »

L’humanité de l’autre
Ce spectacle invite, nous dit Bouvier, à découvrir l’humanité de l’autre, à comprendre ce qui l’a mené où il est : « Je ne suis pas un militant ; ce qui me touche, ce sont ces destins, ces univers pudiques, et secrets. Ce qui me plaît, ajoute-t-il, c’est que ces personnages travaillent sur un chantier, ils vivent dans des baraquements. Ce sont des clandestins. Ils représentent une partie de la société, un univers que le cinéma représente parfois, mais pas, ou peu, le théâtre. » A voir donc, en ce mois de novembre, dans la petite salle du Théâtre du Passage, au milieu d’un décor de rocaille et de pierres où les hommes, issus de pays multiples, vont peu à peu se comprendre. A l’inverse d’un autre chantier, biblique celui-là, dans lequel les langues s’étaient diversifiées pour semer l’incompréhension mutuelle.

Bastien Fournier

Avec A. Buil, D. Dragos, A. Ouldhaddi, B. Samb, B. Sozanski.

 Du 21 au 26 novembre au Théâtre du Passage, puis en tournée. Informations, réservations : 032 717 79 07

 jeudi 30 novembre, L’Heure bleue, La Chaux-de-Fonds (loc. 032/967.60.50)