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Au Forum Meyrin
Meyrin : “Littoral“

Wajdi Mouawad présente Littoral au Forum Meyrin, avant la tétralogie qu’il offrira au Festival d’Avignon.

Article mis en ligne le mars 2009
dernière modification le 29 mars 2009

par Bertrand TAPPOLET

Dans l’attente de la tétralogie (formée de Ciels, Littoral, Incendies et Forêts) qu’il offrira au Festival d’Avignon, dont il est cette année l’artiste consacré et associé, le metteur en scène, dramaturge et comédien d’origine libanaise Wajdi Mouawad présente Littoral, pièce recréée en ce mois de mars. Ou le pari, qui ne convainc pas pleinement, de donner à voir une part de
l’invisible construisant chaque humanité.

Cette œuvre-monstre en forme d’épopée poétique aussi échevelée que vaine et touffue, mêlant enquête identitaire et espaces conjoints du mythe et de l’histoire, a valu à son auteur le Molière du meilleur auteur francophone 2005. Une récompense qu’il a refusée pour défendre les auteurs vivants démunis face aux théâtres sans comité de lectures ou aux directeurs de théâtres qui « jettent les manuscrits ». Sans doute son « acte théâtral » le plus pertinent et réussi à ce jour.
Du Québec, terre d’accueil de l’auteur, au Liban, celle de sa naissance, quittée à l’âge de 8 ans, au début de la guerre civile, 8 comédiens se démènent dans les plis de 26 rôles et 52 scènes. Comme d’habitude chez Mouawad, il s’agit de recherche des origines, de filiation, des figures sans cesse retournées de l’exil. Mais aussi d’enfance, écartelée, peinée, trahie, inconsolée. La relation difficultueuse entre générations, un père et son fils, est au cœur d’une création qui croise les gestes artistiques pour mieux éprouver le lien polysémique entre transmission, étouffement, incompréhension, difficulté à dire, qui unit le géniteur à son œuvre.
Interroger les mémoires, collectives, individuelles, c’est aussi tenir compte de la violence conjugale, du meurtre indélébile, de ce besoin de compassion problématique à exprimer dont témoigne l’œuvre singulièrement répétitive et rétrodictive de Mouawad dans l’agitation de thèmes de prédilection, arpentant inlassablement les mêmes sillons de manière quasi obsessionnelle. Ainsi celui désormais carbonisé jusqu’à l’os, comme le montre la pièce Seuls, du rapport aux pères, vrais ou inventés, ceux qui ont guidé et que l’on doit symboliquement exécuter pour grandir.

Wajdi Mouawad
Crédit Mathieu Girard

Récit des origines et des fins
Se déployant au cœur d’un temps légendaire, Littoral est une interrogation sur les débuts et la fin de toute chose ainsi que sur le passé que l’on trimbale avec soi comme un corps décédé ; une odyssée d’un fils qui réalise un long périple au pays dévasté des morts pour trouver une sépulture à son père. Au commandement de Saint Jean : « Laissons les morts enterrer les morts et occupons-nous des vivants », le dramaturge oppose un théâtre en forme d’espace d’apparition et d’exposition pour revenants, à travers la forme de l’enquête qui rend le ou les protagonistes spectateurs de ce qui aurait dû rester en hors champ, telle la réexposition d’un passé. On peut ainsi rapprocher la pièce du théâtre nô qui invente un espace de rencontre possible, un carrefour, entre les vivants et les fantômes. Wilfrid, le fils, avoue qu’il veut « réconcilier les morts avec les vivants. » Dans son refus de laisser les rivages connus du monde de l’enfance, Wilfrid sacralise son héros fantasmé, le chevalier de Guiromelan, qui allie douceur et tendresse. La dépouille paternelle est prolixe et sert, comme il se doit, de Virgile au jeune dans son odyssée non située géographiquement et historiquement. Wilfrid semble d’abord étranger aux temps présents avant que l’opus ne verse dans une litanie partagée entre espérance et réconciliation avec la vie. Chacun s’efforcera alors d’accomplir le programme « rebirth » appliqué à soi-même.

Troublante impression
Le problème, c’est que, sous couvert de rencontres révélatrices avec une pseudo altérité — réel, imaginaire ou réminiscente —, la pièce se présente close dans le circuit du Même. C’est une piste qui, d’ailleurs, n’est pas inintéressante : il n’est pas interdit de voir dans la figure du père disparu notamment, une pure projection de l’esprit de l’orphelin, une sorte d’acting out, de pulsion agressive par quoi il s’autorise à grandir. Le problème est que c’est une clôture qui contamine la forme de la pièce, qui a vite fait d’asphyxier, sous un fatiguant linceul de maîtrise et de références (Œdipe, Hamlet, le prince Mychkine dans L’Idiot, le célinien Voyage au bout de la nuit), l’intérêt qu’elle parvient à susciter ici où là. D’où cette troublante impression, malgré l’efficacité solitaire de certaines scènes, une ironie de la meilleure veine et expression, que les personnages, le récit, sont comme en trop dans ces images pétrifiées dans le glacis d’une écriture palimpseste. On se lasse, par instants, de cette prétention à l’étrangeté poétique qui fige parfois et ne capte pas grand-chose, rien trop souvent qu’un chapelet de clichés morts-nés sur une mise en abyme entropique trop prévisible : l’auto-critique de Wilfrid par rapport à la pièce en train de jouer, l’acte mémoriel, le lignage.

L’arpentage par Mouawad du motif du double, son articulation entre deux plans, celui, fictionnel, des ombres, et celui de la réalité, objet d’investigation, n’apparaissent que comme les avatars d’un théâtre mental convenu. Une impression renforcée notamment par l’allure centrifuge du récit, intégralement aspiré par le mouvement de son héros. Et surtout sa quête initiatique effrénée placée en écho avec la phrase d’Hölderlin dans Hypérion : « Nous ne sommes rien, c’est ce que nous cherchons qui est tout. » Dont acte.

Bertrand Tappolet

Littoral. Forum Meyrin, du 17 au 20 mars.
Rés : 022 989 34 34