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En tournée
Givisiez & Lausanne : “LéKombinaQueneau“

Geneviève Pasquier adapte pour le théâtre les Exercices de style de Raymond Queneau.

Article mis en ligne le mars 2009
dernière modification le 29 mars 2009

par Bertrand TAPPOLET

Parolier, peintre, essayiste, poète, scénariste et dialoguiste de cinéma, Raymond Queneau est un génie indisciplinaire, dont Geneviève Pasquier porte à la scène une partition pour quatre comédiens (deux femmes et autant d’hommes) recueillant les éclats de ses fameux Exercices de style.

Qui raconte une anecdote insignifiante de 99 manières différentes. Egalement proposés, ses contes et propos témoignent d’une immense culture (littérature, philosophie, mathématiques). Enfin, Cent mille milliards de poèmes, composés de 10 sonnets dont chaque vers, pourvu des mêmes rimes et de la même construction syntaxique, est découpé sur une bande de papier : le livre tient ainsi, avec la collaboration du lecteur, le pitch de son titre. Un univers original où la banalité du quotidien se mêle au merveilleux. Ce dialogue avec le lecteur, Geneviève Pasquier a voulu le prolonger avec le public, proposant par instant une stimulante interactivité sur fond d’écriture phonétique.
Aux frontières incertaines entre rêve et réalité, être et non être (le « nonnête »), LéKombinaQueneau, c’est l’intitulé à la syntaxe syncopée de ce pari scénique qui se veut fidèle à l’esprit du jeu verbal ou orthographique du maître. Cette création n’a pas oublié que Queneau a fondé en 1960, aux côtés du mathématicien François le Lionnais, l’OuLiPo (OUvroir de LIttérature POtentielle). Une sorte d’atelier-laboratoire de « recherches formelles » en forme de jeux savants où romanciers, poètes et mathématiciens expérimentent des formes littéraire nouvelles et explorent les potentialités du langage.
Cette manière de faire exploser la langue, d’en jouer, se retrouve actuellement, selon la metteure en scène, dans certaines pratiques : les textos ou l’hypertextualité de l’informatique qui ont engendré plusieurs formes d’expression littéraire. Mais le jeu des ramifications contemporaines ne doit pas faire oublier le caractère concerté, mûrement réfléchi et fugué de l’écriture d’un auteur à l’humour délicatement abrasif. En 1938, Queneau écrivait : «  Toute œuvre demande à être brisée pour être sentie et comprise, toute œuvre demande une résistance au lecteur, toute œuvre est une chose difficile ; non que la difficulté soit un signe de supériorité, ni une nécessité : mais il doit y avoir un effort, du moins vers le plus. Pours suivre l’oiseau dans son vol, il faut lever les yeux : ce qui peut être fatiguant quand on a l’habitude de les garder baissés. Mais une œuvre ne doit pas être difficile par simple provocation : pour suivre l’oiseau dans son vol, il faut l’avoir vu s’envoler… Ainsi Ulysses se lit comme un roman : ensuite, on va au-delà. »
Rencontre avec Geneviève Pasquier.
 

« LéKombinaQueneau »

L’œuvre de Queneau est une interrogation sans fin sur la nature du langage. Qu’en avez-vous retenu ?
Geneviève Pasquier : Dans sa volonté de « botter le train au langage », l’auteur des Exercices de style suscite une dynamique du langage pour le jeu et par le jeu. Cette « ludicité » est une composante essentielle de l’état d’esprit de l’écrivain chez qui tout est propice à jouer. Les chiffres autant que les lettres, comme le prouve son amour des mathématiques appliquées à la langue. Soit adapter ou utiliser les mathématiques pour la langue. En travaillant la « matière » Queneau de longue date, nous avons ressenti d’autant plus fort le côté vertigineux de la jonglerie verbale et de ce ludisme de la syntaxe sans fin. C’est aussi explorer les multiples possibilités d’agencer le récit, le mot et se rendre compte que la réalité est par essence non univoque, mais éclatée. Ainsi, il n’existe pas une vérité innée.

Les Exercices relatent à moult reprises un épisode assez insignifiant de la vie citadine, l’un de ses petits riens qui peuplent notre quotidien. Un recueil qui, à la lettre, est inépuisable.
Si cet opus est éminemment structuré, on en vient à obtenir une liberté par l’exercice de la structure même d’un récit. C’est le paradoxe qui n’en est pas un. On déstructure afin de retrouver des règles propres à Queneau. Dont un pan de l’œuvre est expérimental assurément, mais dans l’idée de reconstruire autrement dans le droit fil d’une liberté retrouvée.

Les personnages de Queneau viennent d’une famille de « antihéros », souvent de modeste origine, dépourvus d’ambition, voire de désirs. Ils sont proches parfois du cinéma burlesque, d’un Charlot ou d’un Harold Llyod.
Ces antihéros sont fondamentalement humains en s’identifiant à Monsieur ou Madame Tout-le-monde. Ils sont à la fois pleins de leurs faiblesses et de leurs rêves. L’absurde est précisément constitué par ce fossé existant entre rêves et réalité. Cet écart est vu de façon humaine, et provoque le rire. Sa langue est le fruit des lieux publics et de sociabilité, la place, le bistrot, le métro. Queneau l’avoue lui-même, il aime les petites gens. Si l’écrivain est un érudit, un lettré sophistiqué, ses personnages sont souvent issus de la rue, de ce « populo » qu’évoque Raymond Roussel. L’auteur de Zazie dans le métro se baladait souvent dans les quartiers populaires de Paris et l’on sent cet amour profond pour l’humanité dans cette manière unique qu’il a de mettre en relief les gens ordinaires.

Propos recueillis par Bertrand Tappolet
 

 Théâtre des Osses, Givisiez, jusqu’au 15 mars 2009 (réservation 026/469.70.00)
 Grange de Dorigny, Lausanne, du 19 au 22 mars 2009 (réservation 021/692.21.24)