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Théâtre du Loup, Genève
Genève, Théâtre du Loup : “Mein Kampf (farce)“

Frédéric Polier et de sa troupe de l’Atelier Sphynx présentent Mein Kampf (farce) au Théâtre du Loup.

Article mis en ligne le juillet 2007
dernière modification le 4 novembre 2007

par Julien LAMBERT

Un Hitler puéril parachuté au pays de l’humour juif, c’est la situation rêvée de Mein Kampf (farce). Du pain béni pour le théâtre de Frédéric Polier et de sa troupe de l’Atelier Sphynx, qui y trouvent le prétexte de parodies,
travestissements et dérapages dans la folie ou le fantastique, dont ils ont le secret. Malgré des longueurs et certaines bizarreries qui se justifient moins, le spectacle est au rendez-vous… de l’Histoire, de l’horreur et du rire
éternellement fraternels. Critique.

Foncièrement, Mein Kampf (farce) n’est pas forcément plus une farce que l’hideux manifeste du Führer, aussi déjantée et hétéroclite que soit la fable humaniste de George Tabori, juif hongrois d’origine, qui ne signe un texte drôle que pour mieux évoquer l’horreur idéologique, pour carnavaliser et donc démystifier de grandes dynamiques humaines. Mein Kampf (farce), écrit en 1987, raconte le passage du jeune Hitler dans la Vienne cosmopolite de 1910, fraîchement sorti de sa province, pour postuler à l’Académie des Beaux-Arts. C’est surtout l’invention d’un séjour forcé dans un gîte de passage, tenu par un Juif sous une boucherie ; pas de farce là-dedans, mais la cohabitation impossible d’une hospitalité intéressée mais scrupuleuse et d’une individualité hypocondriaque exacerbée. La rencontre du bien-vivre juif et de la rhétorique de l’intolérance, avec ceci de factice mais troublant, que les humains qui les portent se solidarisent. Cette pièce au concept un peu farfelu s’articule donc sur une condensation métaphorique et apaisée du drame de l’holocauste, et sur la transposition des données « historiques » à échelle humaine.

Mein Kampf (farce) © Isabelle Meister

Florey fait « Führer »
Au centre, bien sûr, c’est Hitler qu’on attendra, non pas l’icône historique mais l’homme restitué dans toute sa mesquinerie. Dans la mise en scène de Frédéric Polier, il apparaît comme un écolier mal mouché, ridiculement nerveux et hystérique, un raté mégalomane que la placidité bien dosée de son hôte juif (Bernard Escalon) dénonce par contraste. Largement mis en évidence, François Florey sait exploiter tout l’humour inhérent au rôle avec ce qu’il faut de grotesque pour le rendre pathétique dans ses excès, sans s’enfermer pour autant dans une marionnette bouffonne. On est même régulièrement glacé de terreur devant la détermination de cet improbable dictateur prématuré. Pour bien mettre en valeur ce personnage de petite taille qui sème le chaos dans le plus pérenne des milieux, Pietro Musillo a conçu un décor époustouflant mais un peu sous-exploité, fait d’estrades éclatées, dominées par un escalier aux colossales marches penchées, qui sont autant de piédestaux dérisoires au dictateur.
Amateur de clins d’oeils et d’un théâtre spectaculaire voire fantastique, Frédéric Polier s’est logiquement plu à enrober son personnage et sa fable de colorations brunes et d’anachronismes parfois un peu gratuits, pour faire se refléter der grosse Diktator dans le morveux à la moustache fraîchement rasée. Habilement stylisés, les gestes oratoires du Führer soulignent l’autoritarisme et les dogmes précoces dans les discours hargneux du personnage. Un pseudo Goebbels et sa cohorte de troufions masqués rappellent les exécutants lobotomisés du pouvoir soviétique du Maître et Marguerite de ce même Polier ; son utilisation de Matthias Urban (ex Jésus-Christ) en cuisinier sadique s’acharnant sur une poule, exploite également avec efficacité les vertus du décalage des situations.

Dispersion regrettable
C’est un peu facile, mais c’est drôle et complémentaire d’un texte qui, franchement long par moments, ne se concentre d’ailleurs pas sur le personnage d’Hitler. Il laisse aussi se développer les clichés habituels de l’univers juif, censés servir d’exutoires : autodérision, lien problématique à la tradition, plaisir de l’affabulation. Heureusement, Bernard Escalon donne sincérité, tendresse et humour à ces facettes de vie un peu éculées. Ses airs éperdus rendent le personnage touchant sans le bêtifier, surtout dans ses duos avec Jacques Maeder et sa bouille de cynique, parfaitement à sa place quand il se prend pour Dieu, aussitôt démenti par la fausseté de son fameux ton persifleur. Polier et ses acolytes ont plus de peine en revanche à sauver un défaut irrémédiable du texte : son hétérogénéité, qui vire à la dispersion. Comment justifier la très longue apparition d’un improbable personnage de maîtresse de l’hôte, qui faute de répliques se distingue avant tout par une nudité que l’actrice Camille Giacobino porte indéniablement bien ? De même l’entrée de la Mort personnifiée (Anna Pieri) fait un peu office de deus ex machina destiné à emmener le « héros » vers son destin, mais surtout à démêler la situation de la pièce. D’ailleurs, Polier s’est moins bien débrouillé avec elle, réexploitant un de ses prototypes de femmes-sorcières voluptueusement vampiriques du Maître et Marguerite, l’imagination en moins : la Mort en femme fatale de cabaret, c’est un peu du remâché quand même.
Mais au final ce Mein Kampf (farce) fait beaucoup rire, au moins autant à cause de la conviction des acteurs dans leur délire et des inventions, même gratuites, de mise en scène, que pour le texte lui-même, qui est parfois un peu entendu. Il cède heureusement plus clairement le pas au génie du spectacle de Frédéric Polier et de ses compagnons habituels, dans la deuxième partie plus fluide et débridée de ce beau spectacle.

Julien Lambert

Jusqu’au 17 juin, du ma au sa 20h30, di 18h
Loc. 022 301 31 00.