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Au Théâtre du Loup, Genève
Genève, Théâtre du Loup : “La vierge froide“

Didier Carrier évoque le texte de Jorn Riel et son choix de mise en scène.

Article mis en ligne le mars 2007
dernière modification le 4 novembre 2007

par Claudia CERRETELLI ROCH

D’après des sources sûres, il existe encore un paradis de l’homme, au sens sexué du terme, un lieu où le mythe du bon sauvage rejoint les rêves de Rousseau. Un lieu blanc de toute souillure, bien que pour peu de temps encore.
Un lieu où les hommes peuvent parler entr’eux de leur condition en toute tranquillité, loin d’oreilles méfiantes et querelleuses. Mais ce lieu n’est pas à la portée de tout homme, puisqu’il se trouve au sud-est du Groenland.

Là-bas, les histoires de chasseurs, de brutes, d’ivrognes se développent par dizaines sur cette terre aride et pourtant splendide, où rien de pousse si ce n’est du rêve. L’isolement aidant, ce rêve prend de plus en plus nettement la forme d’une femme.
C’est ainsi que naît la vierge froide.
Il s’agit de cette femme imaginaire, compagne de l’homme qui, pour être descendant solitaire des Vikings, n’en est pas moins seul. Cette femme dont les hommes intacts vont tous tomber amoureux, qu’ils vont tous vendre contre un fusil ou une peau de renard.
Les thèmes traités par ces aventuriers sont du domaine du « masculin sensible » : dans leur microcosme, en réconciliation avec eux-mêmes et sans confrontation féminine, ils retournent vers la nature, vers leur enfance secrète et vers leurs rêves. Cette isolation, qui s’est produite depuis la nuit des temps artificiellement à l’école ou dans les monastères, permet dans ce cadre féerique, la fameuse amitié virile, bien plus complexe qu’on veut bien la donner à penser. Elle permet également la solidarité, fréquente face aux agressions naturelles.
A table ces hommes vont partager bien d’autres racontars : histoires fantastiques, légendes, mensonges permettront à tous de déjouer le destin…
L’auteur, Jorn Riel, est né au Groenland en 1931. Il a passé 16 ans au Groenland où il a rencontré Paul-Emile Victor. Il a vécu avec les Inuit, et vit actuellement en Malaisie… « histoire de se décongeler », dit –il. Le texte sera mis en scène par Didier Carrier, qui a travaillé entr’autres avec Philippe Mentha, Anne Bisang, Françoise Courvoisier, Sylvie Mongin.

Claudia Cerretelli

L’équipe des trappeurs du spectacle "Vierge froide et autres racontars", présenté au théâtre du Loup dès le 20 février.

Du mardi 20 février au samedi 10 mars : La Vierge froide et autres racontars, de Jorn Riel. Création. Théâtre du Loup, ch. Gravière (rés. 022/301.31.00)

Entretien


Didier Carrier, metteur en scène, comédien, marionnettiste, remarque la place contradictoire que l’on attribue à Jorn Riel, à la fois connu, puisqu’il est édité en poche, et méconnu. Cet auteur est avant tout un ethnographe. « La découverte s’est faite par hasard, dit-il, je suis tombé sur la série des racontars et j’ai trouvé qu’ils pouvaient très bien être considérés comme des objets théâtraux. » Fidèle au texte, Didier Carrier n’accepte pas la comparaison entre les « brèves de comptoir » et les récits entre hommes – au sujet des femmes, entr’autres – racontés par les Inuit lors de leurs réunions : « ces hommes font, parfois, trois cents kilomètres pour se rencontrer. Leurs récits sont surtout épiques et fantasmagoriques : ils racontent la chasse à l’ours – vraie ou rêvée, ils relatent leurs discussions avec les morts et les squelettes. Un d’entre eux explique aux autres, par exemple, qu’il est désarticulé parce que son squelette a été emmené par des savants français… » Toute une poésie se tisse autour du thème de la mort, omniprésente dans ce monde sans concessions, mais aussi autour d’une joie de vivre particulièrement profonde, qui est souvent le réconfort des existences aux aléas difficiles.

Une des questions les plus énigmatiques, ajoute Didier Carrier, dans un monde essentiellement masculin, est, bien entendu, celle de la femme :
« peut-on vivre sans les femmes ? A cette question les Inuit – qu’on aurait tort d’appeler « esquimaux », ce dernier étant un surnom indien péjoratif signifiant « mangeurs de viande crue »- répondent que cela est possible. Mais dans les faits, cette réponse est associée à des mauvais souvenirs, des deuils et des viols dans un univers sans loi, ainsi qu’à une peur ancestrale de la femme, qu’il est préférable d’imaginer sous sa forme la plus lointaine et pure, d’où le rêve de la vierge. » Didier Carrier a été tenté d’aller dans ce lieu magique dans l’espoir de trouver une humanité particulière : « c’est ce qui m’intéresse le plus, de comprendre ce phénomène du bonheur intense lié aux conditions extrêmes. J’aimerais retrouver ce mythe de l’homme de Rousseau, l’homme sauvage et pur, mais au sein d’une modernité ». C’est peut-être aussi l’espoir de Jorn Riel, qui après avoir passé plusieurs années au Groenland, coule aujourd’hui des jours heureux avec sa famille actuelle en Malaisie.

Didier Carrier, quant à lui, réalise un projet à Lyon, sensiblement proche de celui qu’on regardera au théâtre du Loup : il prépare une mise en scène des récits de Maupassant – autres racontars ?... – où des spectres reviennent pour avouer leur crime : « Le musée du crime de Maupassant ».

Propos recueillis par Claudia Cerretelli