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Théâtre Saint-Gervais
Genève, St-Gervais : Football en scène

Marcela Salivarova Bideau et Jean-Luc Bideau montent les Onze de Klapzuba, un roman initiatique et jubilatoire d’Eduard Bass.

Article mis en ligne le juillet 2008
dernière modification le 6 août 2008

par Jérôme ZANETTA

Du 17 au 28 juin 2008, le football est aussi à l’honneur sur scène avec ce projet original et réjouissant de Marcela Salivarova Bideau et Jean-Luc Bideau qui montent un roman initiatique et jubilatoire d’Eduard Bass, auteur tchécoslovaque qui rend hommage au ballon rond à travers le périple rocambolesque des Onze de Klapzuba, ou onze frères entraînés par leur père et qui vont défier des équipes de par le vaste monde. Entretien.

Comment a démarré cette aventure théâtrale et sportive ?
J.-L.B. : Comme toujours c’est Marcela qui est à l’origine du projet et je lui cède volontiers la parole. L’acteur que je suis, vous le connaissez, dit toujours les mêmes choses, alors…
M.S.B. : Les onze de Klapzuba de Bass est un texte extraordinaire qui fait partie de mon enfance. C’était dans les années 20 un véritable monument de la littérature populaire en Tchécoslovaquie et qui parle déjà des problématiques actuelles du football, aujourd’hui devenu une énorme bulle spéculative. Ce récit écrit sur un mode ludique attend depuis quelques années déjà une traduction que j’ai eu envie de faire. J’ai alors pu trouver un éditeur pour imprimer cette traduction qui s’est vendue en librairie, et puis, très vite je me suis lancée dans une adaptation théâtrale. L’idée étant de faire lire, mais aussi de pouvoir le raconter avec le plus d’immédiateté possible, sur scène, à la radio ou à la télévision. Du côté du petit écran, les Klapzuba et leur fair-play exacerbé ont inspiré les scénaristes de la série Futurofoot pour certains épisodes, entre autres lorsqu’il s’agit de gagner à tout prix et montrer que « l’on peut être fourbe avec beaucoup d’élégance ». Mais j’ai vite compris que pour rendre véritablement l’esprit du texte d’Eduard Bass, il fallait le monter sur scène !

Il faut pour cela être tout même une passionnée de football ?
J.-L.B. : Pas forcément, puisque je peux dire que même si Marcela a beaucoup suivi les matchs de notre fils lorsqu’il jouait enfant au football dans un club, c’est moi qui suis le véritable passionné. J’avoue aujourd’hui être dégoûté par de nombreux aspects du football moderne et en particulier par l’argent qui règne en maître au sein de ce sport ou par la violence qui peut se manifester dans les stades et autour des stades ; mais je prends toujours beaucoup de plaisir à voir deux équipes s’affronter, mettre en œuvre des schémas tactiques incroyables et à voir évoluer des joueurs qui rivalisent de passes et de shoots de grande qualité.
Eh bien, ma passion du football alliée à celle que Marcela voue à ce livre formidable a permis à ce projet de voir le jour.

Vous montez donc un texte tchèque qui donne à voir le football comme une aventure, une école de vie et qui est au centre de cette odyssée réjouissant, mais comment expliquez-vous justement que, hormis quelques ouvrages récents en Italie ou en France qui intègrent le monde du football au récit, ce sport ne fonctionne que rarement comme moteur de récits dans la littérature contemporaine ?
M.S.B. : Je crois que pour l’essentiel de ces ouvrages, le traitement qui y est fait du football est très, voire trop technique ou alors, il n’est qu’un prétexte pour décrire telle ou telle situation pas forcément liée à ce sport, ou même encore, quand il s’agit de commentaires de journalistes sportifs qui ne font que raconter les matchs.
Mais dans le cas de Bass, il s’agit d’un conte loufoque et extrêmement drôle, qui ne se veut pas aux prises avec la réalité, mais qui, en même temps, raconte le chauvinisme des Anglais, la volonté de triompher des Espagnols, les problèmes liés à l’argent qui circule dans ces milieux quand il bafoue l’honneur de ce sport.
J.L.B. : Ça c’est pour la fable de l’histoire, mais toute l’habileté de Marcela a été aussi de ne pas seulement raconter l’histoire telle qu’elle est, mais de court-circuiter tout le récit, afin que chacun se l’approprie. Il y a en permanence un conflit entre le père, l’entraîneur et les onze qui souhaitent raconter chacun à leur manière l’histoire de leur périple sportif. Cela donne un effet du type « il était une, deux, trois fois, etc. » et les narrateurs étant multiples, c’est toute la dynamique du récit qui en bénéficie. Et puis, autre élément qui stimule l’ensemble du récit, la mise en place d’une petite histoire nostalgique du Servette FC, afin de ne pas rester dans des références culturelles trop marquées.
M.S.B. : En effet, nous nous adressons prioritairement à un public local qui vibrera plus immédiatement aux souvenirs du club de sa ville, qu’à des équipes fictives ou n’appartenant pas à la même culture sportive. Et puis, bientôt disparaîtra le fameux stade des Charmilles, qui est aujourd’hui une ruine, un champ labouré et sera demain transformé en parc. De même, les Klapzuba, à la fin décide de labourer le terrain sur lequel ils jouaient.
Dans l’esprit du Servette, j’ai donc créé un personnage qui est le supporter type du club, à qui l’on raconte toute cette histoire et qui vient lui apporter son témoignage servettien.

Jean-Luc Bideau, vous tenez quant à vous le rôle du père Klapzuba, mais qui est aussi l’entraîneur de cette équipe détonante. Vous n’aviez pas je crois jamais encore jouer un pareil rôle !? Avec la passion qui est la vôtre pour le football, auriez-vous souhaité devenir entraîneur ?
J.L.B. : Non, ça ne m’a jamais vraiment tenté, mais en revanche, le rôle d’entraîneur au théâtre est parfaitement en adéquation avec mon « âge avancé » (rires), mes cheveux gris et ma gueule ; je peux plus être l’avant-centre que j’aurai toujours rêvé d’être…Mais j’aimerais aussi ajouter que ce double rôle père-entraîneur qu’est celui de Klapzuba, me plaît beaucoup dans la mesure où la dimension paternelle de l’entraîneur entre bien dans ma vision personnelle de ce que doit être un coach sportif, comme un père souhaitant le mieux à tous ses enfants !

En quoi le propos des Onze de Klapzuba est-il toujours aussi moderne ?
J.L.B. : Prenez l’exemple de l’Euro 92 remporté par les Danois. L’équipe du Danemark d’abord non qualifiée, remplace au pied levé la Serbie qui ne peut disputer le tournoi pour des raisons politiques. Le Danemark est une jeune équipe, qui s’est peu entraînée, qui pratique un jeu simple, fluide et qui va vers l’avant. Ils remportent le tournoi, à la surprise générale. Quelle merveilleuse aventure !? Dans ce sens, et dans l’esprit de la pièce, j’espère secrètement qu’une équipe que l’on n’attend pas va remporter le tournoi.
M.S.B. : On peut aussi dire que le fait des joueurs qui jouent pour que leurs familles soient fières et puissent ne manquer de rien, c’est un aspect qui figure dans la pièce, mais c’est encore aujourd’hui des propos que tient le joueur suisse Yakin, lorsqu’il parle des siens. Chez les fils Klapzuba, on joue avec et pour papa, pour maman, on en veut et l’on reste très soudé. C’est à la fois encore vrai, mais aussi très nostalgique quand on entend ce type de propos.

Votre scénographie sera donc aussi nostalgique dans le choix des éléments du décor ?
M.S.B. : Oui, il s’agit de montrer un stade délabré, dont il ne resterait plus que des éléments épars d’un vestiaire, d’une buvette ou d’une pelouse. Et là au milieu, un père qui raconte, matchs après matchs, les exploits de ses onze joueurs qui iront jusqu’à défier le grand Barcelone, vêtus de tenues assez surprenantes !

Propos recueillis par Jérôme Zanetta