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Théâtre du Grütli
Genève : “Notes de chevet“

Entretien avec Eveline Murenbeeld au sujet du spectacle Notes de chevet.

Article mis en ligne le juin 2010
dernière modification le 13 juillet 2010

par Sophie EIGENMANN

Du 1er au 13 juin 2010, la Compagnie des Basors présente Notes de chevet
de la Japonaise Sei Shônagon au Théâtre du Grütli. Rencontre avec
la metteur en scène, Eveline Murenbeeld.

D’où vient cette adaptation ?
C’est par Georges Perec, auteur que j’aime beaucoup, que j’ai découvert le texte de Sei Shônagon. Il en était un fervent admirateur et c’était son livre de chevet. Sachant que l’aspect formel des Notes de chevet l’a beaucoup inspiré, je m’y suis naturellement intéressée. L’auteur de ce texte, Sei Shônagon, est une dame d’honneur à la Cour impériale japonaise au 11ème siècle.

Quel est le lien entre l’écriture de Perec et Notes de chevet ?
Ils ont en commun d’utiliser les énumérations. Dans mon montage, j’ai davantage valorisé les listes. Ce n’est pas vraiment la restitution des mœurs de l’époque qui m’intéressent, mais plutôt de faire entendre la poésie particulière qui se dégage de cette écriture. Dans Notes de chevet, il y a notamment une forte présence de noms japonais, de montagnes, de lieux qui ont une véritable portée sonore. Le principe de la liste est pour Sei Shônagon une manière de répertorier le monde. Il s’agit d’esquisses que l’auteur a jeté sur le papier, « en laissant aller son pinceau ». Elle écrit toutes les idées, les images, les réflexions qui lui sont venues à l’esprit sans véritable ordre apparent ou chronologie. On y rencontre des descriptions, des récits, des portraits et des tableaux, des scènes choisies faites d’observations glanées tout au long de son séjour à la Cour durant la période Heian.
Notes de chevet résonne dans un lien quotidien avec les choses de la vie. Très poétique, ce texte entre en résonance avec nos habitudes, nos comportements et nos valeurs esthétiques et questionnent ainsi notre regard sur le monde. Il est ouvert et souvent drôle.

« Notes de chevet »
© Isabelle Meister

Qu’est-ce qui vous touche dans ce texte ?
L’écriture de Notes de chevet est sensitive et visuelle. Ses écrits éveillent les sens, sollicitent l’ouïe, l’odorat, la vue, le toucher et créent la sensualité de son écriture. Ils interrogent avant tout la perception sensible du monde. Même si c’est un écrit qui date d’il y a 1000 ans et qui vient du Japon, certains éléments du texte sont universels et traversent intacts les époques et les cultures. Ce texte est aussi un voyage grâce auquel on s’approche de cette culture japonaise du 11ème siècle.
Vu la culture et l’époque éloignée, beaucoup de descriptions ou de situations nous semblent étonnantes ou surprenantes, voir étranges. Par exemple, le calendrier n’a rien à voir avec le nôtre. Les années sont solaires et les mois lunaires ; le jour de la nouvelle lune est le premier jour d’un mois lunaire. Et, au contraire, d’autres exemples peuvent tout à fait s’apparenter à nos valeurs occidentales actuelles. Qu’est-ce qui est différent et qu’est-ce qui est semblable, d’une personne à l’autre, d’un continent à l’autre, à plus de mille ans d’écart ? C’est cette gamme de résonances, faite d’écarts et de similitudes, qui me semble comporter tout l’intérêt de mettre en scène aujourd’hui un texte comme celui–ci.

Comment liez-vous le Japon du 11ème siècle avec le Japon d’aujourd’hui ?
Cela me tenait à cœur de réussir à croiser les époques. Je suis donc aller à Kyoto, ville d’origine de Sei Shônagon et j’ai demandé à un éventail de Japonais de faire des listes avec leurs propres mots sur la base des mêmes intitulés comme par exemple “Choses qui égayent le cœur“, “Choses désolantes“ ou “Choses que l’on méprise“. Je les ai filmés et ces images sont intégrées à la pièce. Je n’ai pas voulu faire un travail sociologique dans le sens strict du terme en choisissant une population représentative de la réalité du Japon actuel. Le contenu des listes reflète cependant le cadre de vie, une mentalité, une façon de penser, un certain état d’esprit propre à la culture japonaise.

Comment avez-vous réussi à scénographier l’univers de Notes de chevet  ?
Pour que ce texte soit parlant, il était essentiel de scénographier les titres des listes. J’ai donc choisi de les projeter sur trois grands écrans mobiles qui transforment et délimitent l’espace. Les trois comédiennes et les titres structurent l’espace et j’ai eu envie de les mettre en valeur, de créer un ensemble organique. C’est une traversée ! Déplacements, circulation, parcours basé sur l’apparition et la disparition, transparence, j’ai choisi de travailler sur la fluidité et dans le cadre d’une mise en scène simple et épurée.

« Notes de chevet »
© Isabelle Meister

En quoi cet univers est-il féminin ?
D’une part, c’est une femme qui écrit et d’autre part, l’univers culturel et esthétique à cette époque semble se baser sur des valeurs empruntes d’un certain raffinement que l’on considère aujourd’hui et dans notre culture comme plutôt féminines. On y parle beaucoup de coiffure, de la couleur des vêtements, du parfum des fleurs, du charme des saisons, de poésie…. Dans le Japon du 11ème siècle, il semble que les hommes étaient aussi plutôt féminins et romantiques. Dans cette adaptation de Notes de chevet, on n’est pas dans la japonaiserie, on est proche d’un état d’esprit sobre. Par exemple, les comédiennes ne jouent pas des personnages, elles sont elles-mêmes.

Comment expliquez-vous ce choix dans le parcours de votre compagnie, la Compagnie des Basors ?
Après Les Vagues de Virginia Woolf en 2009, j’adapte à nouveau un texte qui n’est pas écrit pour le théâtre. Mon désir est avant tout de retransmettre une écriture et sa spécificité en proposant un traitement pouvant s’adapter à sa structure formelle. Le fait de capter un quotidien datant du 11ème siècle, de m’ouvrir à une autre culture sont aussi des éléments clefs. Pour Notes de chevet, on a beaucoup travaillé avec les comédiennes sur la présence, neutre mais cependant habitée et vivante, en mettant l’accent sur le moment présent. Nous avons surtout travaillé sur des états et privilégier des qualités telles que la simplicité et la sobriété, le silence et le calme, la lenteur et la fluidité. Le but de cette démarche est de créer de la disponibilité pour qu’elles soient traversées par le texte et entrent en résonance avec lui.

Propos recueillis par Sophie Eigenman

« Notes de chevet » de Sei Shônagon, m.e.s. Eveline Murenbeeld, Cie des Basors, du 1 au 13 juin au Théâtre du Grütli. Réservations au +41 22 328 98 78
www.grutli.ch, www.basors.ch