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Théâtre du Loup, Genève
Genève, Loup : “Merlin ou la Terre dévastée“

En mars, le Théâtre du Loup propose le Merlin de Tankred Dorst dans la mise en scène de Georges Guerrerro.

Article mis en ligne le mars 2010
dernière modification le 24 mars 2010

par Rosine SCHAUTZ

Le théâtre est l’une des plus grandes inventions de l’humanité, au même titre que la roue, ou que l’usage du feu.
Tankred Dorst

Fils d’une vierge, pieuse femme et d’un démon maléfique, Merlin est un magicien doué de nombreux pouvoirs : parole, double vue, métamorphose, et pouvoir de commander aux éléments de la nature et aux animaux. La légende de Merlin raconte comment se mêlent et se confrontent, même si parfois de manière absurde, monde des hommes et monde de la nature.
Merlin qui avait pour mission de guider les hommes vers le mal, mais qui a refusé le mandat imposé, et décidé de ‘faire le bien’, est donc à la fois mage et sage.

Tankred Dorst

Tankred Dorst s’est largement inspiré des thèmes de ce conte universel pour composer une œuvre monumentale qui invite lecteurs et spectateurs à comprendre comment les héros se trompent, doutent, aiment, trahissent. Car, quand il faut arrêter la guerre et partir à la quête du Graal, certains délaissent leurs rêves héroïques et s’emparent du pouvoir pour l’argent, le prestige et les femmes quelquefois.
Pour l’auteur allemand, « Merlin est un artiste, un enfant un soir dans un jardin, près des pommiers en fleurs... Merlin est un fantaisiste, en dehors de la société. » Il ajoute : «  Merlin est le prototype du metteur en scène qui a l’imagination et la force nécessaires pour faire avancer les autres. Mais un problème moral se pose soudain à lui : quelle est la bonne voie ? “Sois toi-même !“ Mais qui est-ce “toi-même ?“ Dans Merlin, souligne-t-il, il y a un fort scepticisme envers les utopies. Cependant je crois que sans utopie ou, pour dire les choses plus simplement, sans but dans l’existence, il est impossible de vivre. C’est déjà avec une petite utopie qu’on se lève le matin : on a pris rendez-vous, on prévoit un projet, un voyage. »

« Merlin ou la Terre dévastée »
Photo Pierre Albouy

Merlin ou la Terre dévastée
Merlin ou la Terre dévastée (Merlin oder das wüste Land), pièce conçue comme une tragi-comédie, est effectivement une œuvre colossale, à la fois dans ses dimensions démesurées, son ambition, son ironie profonde et sa poétique beauté. Un texte pluriel, aux multiples langages, qui date de 1981 et que Jorge Lavelli, notamment, monta il y a quelques années. La pièce est assez méconnue du public francophone, et reste inédite en Suisse romande. Mais le thème abordé, l’utopie brisée, a toujours suscité beaucoup d’intérêt dans les pays de l’Est.
Il s’agit surtout d’une pièce gigantesque, une saga de plus de 250 pages, qui reprend les histoires de Merlin, du roi Arthur, des chevaliers de la Table ronde, et enchevêtre tous ces personnages légendaires dans des événements plus contemporains. En cela, Dorst lance un véritable défi aux metteurs en scène. En effet, dans plusieurs des séquences qui font s’alterner dialogues et récits, il convoque magie, fantastique, scènes de guerre ou combats de dragons, tableaux épiques servis par une multitude de personnages.

Or, malgré ce flot de mots et de situations, Dorst pose clairement toute une série de questions premières, essentielles, et finalement très modernes, car revivifiées, revitalisées : qu’est-ce que transmettre ? Qu’est-ce que rêver ? Quand le désir nous rend-il esclaves ? Quelle peut être notre quête du Graal aujourd’hui ? L’argent ? La paix dans le monde ? L’amour ? A cette dernière interrogation, Dorst, un jour, a répondu sobrement : « Penser à soi-même sans effroi ».
Si la pièce a pu parfois sembler pessimiste à certains, elle ne l’est pas tant que cela : Merlin, en perpétuel mouvement, reste plein d’espoir et de soif de comprendre le monde dans lequel il évolue. Il va de l’avant, avidement.

« Merlin ou la Terre dévastée »
Photo Pierre Albouy

Tankred Dorst
Né le 12 décembre 1925 à Oberlind, il vit aujourd’hui à Munich. Son père, ingénieur et proprétaire d’une usine, meurt alors qu’il a 6 ans. Enrôlé à 17 ans dans l’armée allemande, il est fait prisonnier. Après la guerre, il se lance dans des études de littérature allemande, d’histoire de l’art et d’art dramatique à Bamberg et Munich.
En 1953, il fonde avec le compositeur W. Killayer Das kleine Spiel, un théâtre de marionnettes, mais c’est en 1962 qu’il accède de plain-pied à la célébrité, avec La grande imprécation devant les murs de la ville. Suit en 1968 Toller, puis une série de pièces co-écrites avec sa compagne Ursula Ehler. Son drame Merlin ou la Terre dévastée sera créé la première fois en 1981 à Düsseldorf. Plusieurs récompenses prestigieuses ont couronné ses œuvres, dont le Prix Georg Büchner (1991), le Prix ETA Hoffman (1996) ou encore le Prix Max Frisch (1998).
Tankred Dorst est donc bien une légende du théâtre… Comment oublier qu’il a été mis en scène en 1970 au Piccolo Teatro de Milan par le jeune Chéreau qu’un certain Strehler avait accueilli après les revers de Sartrouville ? Les férus de théâtre se souviennent aussi, évidemment, qu’il a été l’écrivain que Peter Zadek, mort en juillet dernier, avait suivi dès ses débuts, montant régulièrement ses pièces avec force et lucidité.

Rosine Schautz

Du 2 au 20 mars  : « Merlin ou la Terre dévastée » de Tankred Dorst. Théâtre du Loup (Rés. 022/301.31.00)