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Théâtre en Cavale à Pitoëff, Genève
Genève : “Les papiers de l’amour“

Le Théâtre en Cavale propose Les papiers de l’amour de Slimane Benaïssa.

Article mis en ligne le mars 2009
dernière modification le 29 mars 2009

par Rosine SCHAUTZ

La dernière pièce de Slimane Benaïssa met en scène un amour. Et deux personnages : un homme et une femme. Un Palestinien, et une Juive. Et la Suisse. Et la Genève internationale, celle des congrès, celle des conférences internationales, celle des sans-papiers, des exilés, des rescapés.

Benaïssa décrit à nouveau et pour notre plus grand plaisir quelques situations de notre quotidien, et démonte les racismes et les autoritarismes nés de frictions désormais très familières : guerres des sexes, guerres virtuelles des positions sociales, hiérarchiques, ou encore guerres des incompréhensions religieuses et si persistantes. Il le fait avec l’humour qu’on lui connaît, et démasque avec virtuosité toutes les bien pensances à l’ordre du jour, pour ne pas dire à la mode.

Slimane Benaïssa
Crédit photo Olivier Roller

Chemins de traverse
Dans ce texte, il s’attaque à une mosaïque de sujets qu’il entrecroise avec brio : les relations hommes-femmes, finalement moins compliquées qu’on ne le croit parfois, les démarches administratives pour l’obtention de papiers, toujours trop insidieuses, l’héritage douloureux de la haine en partage, le Moyen-Orient durablement ensanglanté, et la poésie, petite respiration vivifiante dans ce monde de brutes et de brutalités compulsives.
Car au loin, en sous-texte, on perçoit les échos de la musique rythmée, pure, de Mahmoud Darwich, qui réconcilie et réconforte.

« Dans les chants qu’elle chante,
Une flûte
Et dans la flûte qui l’habite
Un feu
Et dans le feu que nous attisons
Un phénix.
Et dans l’âme du phénix, je ne sais pas
reconnaître
Mes cendres de tes poussières.
 »

Silvia Barreiros
© Lionel Flusin

Ainsi, malgré la gravité des sujets abordés, malgré le sérieux du propos, on rit aussi avec joie, parce que la langue de Benaïssa prend tout à coup des chemins de traverse, fait l’école buissonnière : « Tu sais, les écologistes ont calculé qu’il faudrait trente arbres pour faire le dossier complet d’un étranger. Alors, ils se sont dit :’Un sans-papiers c’est mieux que trente arbres en moins‘. Les sans-papiers protègent l’environnement. »
On sourit aussi parce sa langue, tant à l’oral qu’à l’écrit, nous fait des clins d’œil malicieux : « Rachid : Tu sais, si tu n’étais pas juive, je t’aurais épousée. Sarah : Etre juif, historiquement, ça nous a privés de beaucoup de choses. J’avais l’impression que ça avait commencé à s’arranger, et voilà que ça continue. Rachid : Nos enfants vivraient de quel côté du mur, à l’est ou à l’ouest ? Sarah : Qui t’a dit que je voulais des enfants ? Rachid : Pourtant, tu as l’air de savoir bien les faire ».

Roberto Molo
© Lionel Flusin

Absurdité
Restent, au sortir de la pièce, ces hypothèses sous forme d’interrogations : est-ce que seul le théâtre permet de comprendre l’absurdité contemporaine ? Est-ce que seuls les mots proférés devant un public et dans un juste ton permettent d’éclairer des situations politiques inextricables ? Est-ce que seuls les poètes osent dire en toute simplicité philosophique « Père ! Qui habitera notre maison après nous ? » et montrer que de telles phrases ne sont pas qu’arguments à présenter pour une cause quelle qu’elle soit ?
Enfin, est-ce que seul un Rachid/Slimane Benaïssa arrivera à nous faire adopter l’idée que « L’exil est toujours un faux départ », et surtout qu’il y a urgence à répondre à cette question-piège : « Comment me loger avec mon histoire dans une autre histoire ? »
En fait, on le sait déjà peut-être, le théâtre se situe là, exactement, dans cette aporie première, et essentielle : comment inscrire une histoire dans un lieu ?

Rosine Schautz

« Les papiers de l’amour », de Slimane Benaïssa, 20 février – 15 mars.
Théâtre en Cavale à Pitoëff, 52, rue de Carouge.
Réservations : 079.759.94.28
Mise en scène : Miguel Fernandez-V.
Avec : Silvia Barreiros et Roberto Molo

Slimane Benaïssa 


Il est né à Guelma, dans l’Est algérien. En février 1993, après une vingtaine d’années de composition en arabe, il s’exile en France. Il s’y fait connaître avec Au-delà du voile, texte écrit à l’origine en arabe qu’il traduira lui-même en français. En 1996, il publie Les fils de l’amertume, pièce qui fera sa renommée. Prophètes sans Dieu suivra, le faisant pleinement accéder à un succès jamais démenti. Les Genevois se souviennent certainement de ses Confessions d’un musulman de mauvaise foi qui avait fait date. Plus récemment, en 2005, l’Institut des langues et civilisations orientales (INALCO) l’a proposé à la haute distinction de docteur honoris causa de la Sorbonne. Pour l’occasion, le drapeau algérien a flotté dans le Grand amphithéâtre, tandis que Slimane Benaïssa a revêtu la robe jaune et la toque des docteurs en littérature et philosophie…

A noter également la participation de Slimane Benaïssa à la journée « Algérie », le 11 mars 2009, dans le cadre du Festival du film des droits humains. Une lecture de textes est prévue (renseignements et programme complet sur le site www.fifdh.org)