Arts-Scènes
Slogan du site

Cinéma Danse Expositions Musique Opéra Spectacles Théâtre

Véronique Olmi au Poche-Genève
Genève, Le Poche : “Bord de mer“

Quelques idées sur Bord de mer, ce très beau roman qu’a adapté à la scène Michel Kacenelenbogen, pour la comédienne Magali Pinglaut.

Article mis en ligne le avril 2007
dernière modification le 4 novembre 2007

par Julien LAMBERT

En Bord de mer, aux bords de la conscience, la confession déconcertante d’une mère qui se rend compte qu’elle ne peut pas préserver ses enfants du monde. « Voilà le problème : on met des bébés au monde et le monde les adopte. On est des ventres, c’est tout, après ça nous échappe et très vite on nous explique qu’on est hors du coup. » Quelques idées sur ce très beau roman qu’a adapté à la scène Michel Kacenelenbogen, pour la comédienne
Magali Pinglaut.

Quelques mots aussi de Véronique Olmi, auteure au succès saisissant. Quatre romans, des nouvelles, une dizaine de pièces jouées et publiées (double gageure aujourd’hui !) : peut-être simplement, comme elle le dit, parce qu’elle « donne aux metteurs en scène et aux comédiens des personnages à défendre », et qu’elle aime « les histoires, chercher l’humanité dans ce qui est monstrueux ».

Une mère en rade prend le car avec ses deux garçons pour leur faire « voir la mer ». Elle rassemble la monnaie du ménage pour leur offrir cette dérisoire et précieuse escapade hors de leur quotidien, une glace, un tour en auto-tamponneuse.

Une voix esseulée
Une école buissonnière en famille qui a de quoi rappeler aux spectateurs du Poche l’équipée de la mère larguée avec sa petite fille dans Je l’aimais. Mais si Anna Gavalda a écrit un dialogue, dans lequel un écho s’offrait à la détresse individuelle, dans Bord de mer, son premier roman basé sur un fait divers, Véronique Olmi a laissé la mère seule avec deux êtres adorés, certes, mais d’un autre monde ; seule avec ses angoisses, ses souvenirs, ses rages. D’où le ton de solitude extrême dont résonne ce récit très oral, donné dans l’élan des idées, des discours indirects et des souvenirs mêlés, comme un déballage de confessionnal ou de machine à café, mais dans le vide… « Si je ne l’avais pas écrit à la première personne, pour suivre son cheminement intérieur, je n’aurais pas pu aller jusqu’au bout, dit Véronique Olmi. Cette mère me fait penser à une toupie qui n’arrête jamais de tourner. C’est ce que Michel Kacenelenbogen a bien ressenti en l’entourant sur scène d’immenses miroirs, pour la montrer confrontée uniquement à elle-même. » L’auteur reconnaît d’ailleurs la difficulté pour l’actrice de porter ce texte « au propos très lourd, sans être neutre ni lâcher trop d’émotion ». Or le travail de Magali Pinglaut, présenté depuis janvier en Belgique, l’a « beaucoup émue : elle a trouvé l’équilibre juste entre la pudeur et l’aveu. On reste focalisé sur cette comédienne seule, sans accessoire, devant un grand cyclone qui accentue l’aspect épileptique du monologue. »

Dans les marges
A la déperdition d’une sensibilité répond celle d’un bonheur fugitif que la mère voudrait offrir à ses enfants, sans jamais toucher juste : l’hôtel manque des habitudes rassurantes de la maison, la mer mouille et gronde, bistrot et fête foraine suintent la vulgarité. Le plus douloureux ne réside pas dans la déception de ces deux gosses comme tous les autres, si facilement représentables dans les mots de celle qui leur essuie le nez, mais dans les efforts vains de cette dernière, dans l’angoisse de cet esprit saturé, qui ressent tout pour trois. « Elle pense qu’ils souffrent autant qu’elle, explique l’écrivaine, car elle ne les conçoit pas comme des individualités. Elle ne supporte pas de percevoir, soudain sur la plage, son fils dissocié d’elle, comme les parents incestueux ont l’impression que les enfants sont en eux, à eux. »
On souffre enfin devant cet idéalisme désespéré qui se cogne sans cesse les ailes au monde, aux gens, à ces brutalités hermétiques. Comme elle dit, cette mère voudrait « que les gens soient comme les mômes : qu’ils aient plus de questions que de réponses, mais c’est souvent l’inverse, où est-ce qu’ils ont appris toutes ces certitudes ? »1 Elle aimerait tenir ses « petits » à l’écart des bistrotiers qui jurent, des patrons cupides, de l’école qui abrutit et classe, des déboires qu’elle a vécus : impossible ; ou alors fuir la vie veut dire, entre les lignes, rêver de mort…
 
« Voilà comment j’aurais dû passer le restant de mes jours : au lit avec mes gosses, le monde on l’aurait regardé comme on regarde la télé : de loin, sans se salir, la télécommande à la main, le monde on l’aurait éteint à la première
saloperie. » La plume introspective et baladeuse de Véronique Olmi arpente sans cesse les limites ; celles d’une mère poétesse sur les bords et au bord de la névrose, la frontière vite franchie dans sa logorrhée entre réalité stridente et rêves hallucinés, entre souvenirs obsessionnels et obsession du présent, limites entre terre et mer, soucis terre-à-terre et liberté à l’horizon, entre tendresse et cruauté. « On me parle tous les jours de ce premier roman, on m’a proposé une adaptation au cinéma, à l’opéra, mais je n’essaie plus de comprendre pourquoi, conclut Véronique Olmi. Il ne laisse en tout cas pas indifférent : les spectateurs s’évanouissent, sortent, gueulent, reviennent demander des explications. Ça bouscule pas mal : il y a autant d’adhésion que de rejet. »

Julien Lambert

Du 16 avril au 6 mai, lu, ve, sa à 20h30, me et je à 19h, di à 17h. Loc. 022 310 37 59