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Théâtre Saint-Gervais Genève
Genève : “Le chemin solitaire“

Schnitzler selon tg STAN

Article mis en ligne le 1er juin 2011
dernière modification le 14 février 2014

par Rosine SCHAUTZ

Du 7 au 11 juin, Tg STAN (abréviation de ‘toneelspelersgezelshap’ - compagnie d’acteurs de théâtre - et de Stop Thinking About Names) revient à Saint-Gervais avec une pièce d’Arthur Schnitzler.

La troupe
Il s’agit d’un groupe, plutôt que d’une troupe au sens commun du terme, qui s’est constitué en 1989, autour d’anciens élèves du Conservatoire d’Anvers, Jolente de Keersmaeker, Damiaan De Schrijver, Waas Gramser et Franck Vercruyssen. Un peu plus tard, Sara de Roo et Thomas Walgrave les ont rejoints. Ensemble, ils créent cette troupe, dans laquelle tout le monde ‘fait’ tout. Pour STAN en effet, chaque production est d’abord l’œuvre d’une collectivité, chacun détenant une partie de la responsabilité de l’ensemble. La troupe se réinvente donc au fil du temps et des opportunités, et fonctionne en autogestion, s’enrichissant par ailleurs d’éléments disparates, qui vont de la recherche assidue de textes, aux questionnements plus philosophiques, en passant par le défrichage, et pourquoi pas le déchiffrage des mondes artistiques contemporains. Détails intéressants à savoir pour mieux voir et comprendre leur travail sur scène. Chacun se passe les rôles, parfois comme c’est le cas ici, à l’intérieur même de la pièce ! Chacun est tous les personnages, ce qui peut désarçonner, mais qui en fait donne un surcroît de sens à leur démarche.
Cette démarche les pousse d’ailleurs depuis vingt ans à se confronter à divers publics et en langues ‘étrangères’. Les spectacles se jouent, puis tournent, en anglais et en français, à côté des versions néerlandaises, car comme ils le disent : « en jouant dans une autre langue, les mots acquièrent un sens différent ». La Belgique - et la Suisse - toutes deux tri-culturelles même si pas forcément trilingues, apprécieront le manifeste.

« Le Chemin solitaire »
© Tim Wouters

‘Le Chemin solitaire’
Der einsame Weg (1904) raconte l’histoire d’un peintre, Julian Fichtner, qui au soir de sa vie, décide de revenir dans sa ville natale pour révéler à son fils Félix la vérité sur sa naissance. Une manière de soulager sa conscience. Dans sa jeunesse, il a fait un enfant à la jeune fille qui lui servait de modèle, mais très vite, il a choisi de partir, d’aller en avant à la conquête de sa liberté et de mener une vie tournée essentiellement vers les arts et les plaisirs. La jeune fille était fiancée à Wegrat, un ami de Julian, qui a élevé l’enfant comme le sien. Apprenant la mort de cette femme qu’il a aimée, Julian veut raconter sa vérité au seul enfant qu’il ait jamais eu. Mais celui-ci, jeune officier de vingt-trois ans, n’est pas forcément prêt à entendre l’aveu tardif de ce père absent. Parallèlement à cette relation manquée, Schnitzler rajoute des éléments : par exemple, il invente une passion impossible entre l’écrivain von Sala et Johanna, la sœur de Félix… Portrait de groupe en situation, trame complexe de rapports et de transports des uns avec les autres, où l’on observera les différents miroirs de nous-mêmes dans lesquels se reflète sinon la cohérence épuisante de nos vies, du moins l’issue inexorable de nos désirs et de nos espérances.
La pièce scandalisa à l’époque, car elle offre un panorama de relations fondées sur le mensonge, la trahison, la lâcheté, la mollesse de l’âme et toutes les conséquences qui en découlent. Chemin solitaire ? Oui, car il y a bel et bien cheminement des uns vers les autres, et aussi de soi à soi. Et solitaire, car les personnages, les ‘caractères’ vivent mal leur solitude et dans leur solitude. « Le chemin qui descend, nous sommes tout à fait seuls dessus, nous qui n’avons jamais appartenu à quiconque » souffle à un moment l’un d’entre eux.
Si pour Julian ce chemin de vie à vivre avait au début les traits et les attraits d’un départ mérité vers une liberté nouvelle, anti-conformiste, il s’avèrera au final n’avoir été irrigué que par un égoïsme forcené, continu, ouvrant sur son lot de frustrations existentielles. Petit à petit, tous, à l’exception de Félix et Johanna, fatigués, aigris, âgés, prendront conscience de l’inanité d’une vie passée à ne se soucier que de soi.

Schnitzler
Arthur Schnitzler, né à Vienne le 15 mai 1862 et mort le 21 octobre 1931, est un écrivain et médecin autrichien. Il est intéressant de noter qu’il a étudié la médecine, car comme chez Tchékhov, cela se lit dans son œuvre, cela se sent, cela s’entend. Très naturellement, il est entré en relation avec le cercle « Jeune Vienne » qui réunissait Hofmannsthal, Karl Kraus, Herman Bahr, le jeune Rudolf Steiner et plus tard Peter Altenberg. Tous se rencontraient au célèbre café Griensteidl, car à Vienne tout passe par les cafés, ces clubs populaires faits pour discuter et écrire. Ce n’est véritablement qu’à 32 ans, à la mort de son père, célèbre laryngologue, qu’il deviendra écrivain à plein temps.
Freud, son contemporain et son compatriote, voyait en lui une sorte d’alter ego, peut-être parce que peu d’auteurs ont su si bien étudier combien le passé hante le présent. L’inventeur de la psychanalyse lui écrira d’ailleurs : « J’ai eu l’impression que vous saviez intuitivement – ou plutôt par suite d’une auto-observation subtile – tout ce que j’ai découvert à l’aide d’un travail laborieux pratiqué sur autrui ».
La quête des personnages de Schnitzler, dans bon nombre de ses pièces et nouvelles, consiste à chercher dans le passé le sens de sa destinée. Et à analyser non sans pessimisme la dégradation des valeurs individuelles et culturelles. C’est le cas dans cette pièce.
Si le Temps est l’un des sujets de cette pièce, voire le sujet principal, visible notamment dans les allées et venues entre passé et présent, ou entre espoir et regrets, STAN par le jeu des acteurs et la mise en scène qui tourne le dos à toute illustration de la Vienne de la Belle Époque, relève un autre défi : celui de nous faire mesurer combien cette Vienne-là était déjà contemporaine, ou disons annonciatrice de la modernité dans laquelle nous vivons aujourd’hui, modernité certes désabusée, désenchantée, où les lâches et les velléitaires continuent de croire qu’ils ont si ce n’est le beau rôle, du moins un rôle à jouer et à tenir.

Rosine Schautz

Théâtre Saint-Gervais, du 7 au 11 juin 2011
Le chemin solitaire. Texte Arthur Schnitzler
mise en scène et jeu tg Stan