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Comédie de Genève
Genève : “La vie est un rêve“

A la Comédie, Stoev donne vie au rêve de Calderon.

Article mis en ligne le octobre 2010
dernière modification le 14 octobre 2010

par Jérôme ZANETTA

Du 13 au 23 octobre prochain, la comédie permettra tous ceux qui ne connaissent pas encore le talent décalé de Galin Stoev de mesurer combien sa lecture de grands textes classiques vient dérouter de façon salutaires les idées reçues de leur dramaturgie. Calderon est ici éclairé d’une lumière étrange, au cœur d’un délire presque clinique qui intègre judicieusement une série d’images vidéo résonnant avec l’état hallucinant du héros Sigismond. Rêve en creux.

Lorsqu’on sait que Pedro Calderon de la Barca est l’un des auteurs les plus singuliers et virtuoses du XVIIe siècle espagnol, il n’est pas étonnant que le chemin de Stoev ait fini par croiser celui du dramaturge espagnol qui usait de la scène comme d’un champ expérimental théâtral.

Galin Stoev
© Anoek Luyten

Rester en éveil
Parmi les comédies qui font date, la comédie de cape et d’épée La vida es sueno (1635) est riche de signification. Le genre était connu pour évoquer le plus souvent des drames de la jalousie qui mettaient en évidence les problèmes liés à l’émancipation des jeunes gens face à leurs parents et les passions désordonnées qui sont à l’origine de nombreux conflits affectifs !

Dans La vie est un songe apparaît une dénonciation en règle de la doctrine de Machiavel. Un roi met aux fers son fils, un héritier déclaré indigne de prendre la suite de son père, tant sa folie menacerait le bonheur public et la prospérité de l’Etat. Or, le roi donne une dernière chance au prince en lui administrant un narcotique et le fait paraître devant lui. Contre toute attente, Sigismond se montre alors véritablement monstrueux avec la société qui l’entoure et se verra renconduit en prison. A son réveil, il se demande s’il n’a pas rêvé. En tous cas, il jure que si l’occasion lui était de nouveau donnée, il se comporterait avec plus de discernement. Lorsqu’en effet il est délivré par des mutins, il affronte son père, pour finir par s’en remettre à lui de son plein gré. Tout rentre dans l’ordre, celui de la monarchie de droit divin, mais nos esprits ne seront plus jamais tranquilles ; notre vie n’est-elle pas conçue comme une longue trouée dans le temps, une permanente illusion tissée de rêves et de cauchemars ? Il est plus que jamais temps de rester en éveil, aux aguets, la conscience grande ouverte.

Epreuves
Calderon questionne aujourd’hui encore notre raison et tente de nous émouvoir , afin de nous faire trembler et vaciller de manière salutaire sans que nous ne puissions jamais nous asseoir sur nos acquis. Galin Stoev a saisi le génie de cette dramaturgie reconnaissable parmi tant d’autres et qui reste comme une pièce mythique et labyrinthique du répertoire, souvent réputée injouable, tant elle propose de pistes à explorer au cœur de la destinée des protagonistes. Malgré la magie toute baroque de ce drame spirituel, la question de l’illusion trompeuse constitutive de la réalité est aussi celle de la place de la culture dans la civilisation quand elle est un instrument de contrôle et de maîtrise du comportement naturel de l’homme.

« La Vie est un rêve »
Photo de répétitions © Anoek Luyten

Partant, Stoev veut concevoir l’espace scénique comme un laboratoire expérimental qui va nous permettre d’observer les personnages interagir avec un matériau de base, le jeune Sigismond ! Le héros est soumis à un certain nombre d’épreuves qui vont éprouver ses positions de force et le déséquilibrer. Mais ce déséquilibre est aussi garant d’un mouvement perpétuel, celui qui cherche à rétablir un équilibre qui permettrait de vie totale, hic et nunc, pour atteindre à une véritable densité du réel, même s’il lui en coûte des allers et retours incessantes entre rêve et réalité.
C’est dire si la tâche de Stoev n’est pas mince, s’il respecte le souhait de Calderon, à savoir nous accompagner pour ce grand saut dans le vide, comme une expérience de vie et non une expérience du rêve, vers plus de liberté. Avec Shakespeare et Rimbaud, Calderon nous dit que la vie est ailleurs, formidable espoir qui ne nous condamne plus aux illusions perdues et à une solitude douloureuse. A nous de croire en notre puissance créatrice.

Jérôme Zanetta

Du 13 au 23 octobre : « La vie est un rêve » de Pedro Calderón de la Barca, m.e.s. Galin Stoev. La Comédie de Genève, mar-ven à 20h, mer-jeu-sam à 19h, dim à 17h, lun relâche (rés. 022/350.50.01)