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Le Poche à Pitoëff
Genève : “La Mouette“

Le Théâtre en Cavale accueille Le Poche Genève, pour « La Mouette » de Tchekhov, mise en scène par François Courvoisier au Théâtre Pitoëff.

Article mis en ligne le novembre 2009
dernière modification le 4 décembre 2009

par Julien LAMBERT

Pour les cent ans de la Salle Pitoëff, Françoise Courvoisier y affronte la célébrissime Mouette de Tchekhov, et son lot de doutes sur l’art théâtral. C’est pourtant avant tout à la confiance qu’engage sa distribution bigarée, réunissant Gérard Desarthe, Philippe Mathey, Fabienne Guelpa, Jean-Charles Fontana, Pierre Dubey et de jeunes acteurs talentueux. Rencontre.

Vous montez Tchekhov après une série d’auteurs plus contemporains : un retour aux sources ?
Sans le savoir, Miguel Fernandez a réveillé des désirs de longue date, en me proposant justement cet auteur pour célébrer les cent ans de la Salle Pitoëff, qu’occupe son Théâtre en Cavale. J’avais rêvé de jouer Nina au Conservatoire déjà, puis envisagé de mettre en scène Ivanov avec Raoul Pastor et d’autres amis comédiens, tentative avortée. Bref, Tchékhov et ses variations autour de l’échec m’habitent depuis longtemps.

Pourquoi avoir retraduit la pièce ?
En tandem avec Katia Akselrod, qui est russophone, j’ai voulu situer cette nouvelle version dans la province française des années soixante. Une démarche très tchekhovienne ! Pour le public francophone, les noms russes à rallonge n’ont en effet qu’un attrait pittoresque, comme les vieux samovars, les ombrelles à volants et les cheveux enchignonnés. Qui peut savoir, par exemple, que Zaretchnaïa signifie au-delà de la rivière ? C’est joli, mais cela encombre la lecture de la pièce. Je souhaitais entendre la nudité et l’universalité de l’auteur russe, au-delà du contexte historique et géographique.

Françoise Courvoisier
© Alan Humerose

Cette démarche va-t-elle de pair avec une réactualisation du sujet ?
Bien que la pièce ait été écrite en 1895, on sent déjà poindre la Révolution russe, dans le portrait des propriétaires en déclin, victimes de leur oisiveté. De même dans “notre“ Mouette, les nantis ne savent pas entretenir leur résidence secondaire, héritée des parents. À l’approche de 1968, la colère contre les bourgeois est aussi présente par intermittence. Mais ce contexte politique n’est qu’une toile de fond. Tchekhov croyait en la perfectibilité de l’individu plus qu’en une révolution des masses. En bon médecin, il avait pour seule mission de donner un diagnostic exact de l’âme humaine. Jamais un gramme de justesse n’est sacrifié au plaisir du verbe.

Justesse… donc pessimisme forcément ?
Ses personnages sont certes tous des antihéros, insatisfaits professionnellement, malheureux en amour… Mais ce qui les rend si attachants, c’est leur refus des faux-semblants. Tchekhov est l’écrivain le moins hypocrite du monde : à son image, ses personnages sont transparents ! Lorsqu’on monte ses pièces, il faut éviter aussi bien de se complaire dans la mélancolie des tableaux, que dans un excès de légèreté qui privilégie le cocasse des situations, au détriment du propos. L’objectif ? Épouser Tchékhov, se fondre dans son œuvre au point d’en restituer la grâce, qui autorise à rire de ses personnages, malgré un léger pincement au cœur : parce qu’on s’y reconnaît…

Vous n’êtes sûrement pas indifférente au propos de La Mouette sur le théâtre…
C’est même la question centrale, qui en fait la pièce la plus audacieuse de Tchekhov. Il s’y risque à une mise en abîme personnelle, par le biais de Treplev, jeune écrivain à la recherche de formes nouvelles, autant qu’à travers l’auteur à succès, Trigorine, déjà désenchanté. Le premier semble toucher une vérité qui pourrait le guider dans sa création, quand il se dit de plus en plus convaincu que l’essentiel, ce n’est pas que les formes soient anciennes ou nouvelles, non, l’essentiel est d’écrire sans se préoccuper des formes, écrire ce qui vient directement du cœur. Mais il est rattrapé par le désastre de sa vie personnelle... Monter Tchekhov, comme le jouer, c’est peut-être en passer par un aveu de fragilité, de questionnement personnel face aux formes théâtrales et leur contenu.

Propos recueillis par Julien Lambert

Le Théâtre en Cavale accueille Le Poche Genève, pour « La Mouette » de Tchekhov, mise en scène par François Courvoisier au Théâtre Pitoëff, rue de Carouge 52. Du 26 octobre au 15 novembre, lu-ve 20h30, me-je-sa 19h, di 17h (mardi relâche). Réservations : 022 310 37 59.