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La Comédie de Genève
Genève, La Comédie : Novarina et “L’Acte inconnu“
Article mis en ligne le novembre 2007
dernière modification le 1er novembre 2007

par Julien LAMBERT

L’un des meilleurs spectacles du Festival d’Avignon 2007, l’Acte inconnu de Valère Novarina ne fait pas qu’évoquer, il recompose dans son universalité la plus mégalomane, il est le monde, la vie humaine : une pièce sur tout en somme.

Drôle, déconcertant et surtout remarquable d’intelligence suggestive, il fait défiler scènes et personnages aux existences minuscules, transposées sur scène par la magie d’un fou du verbe réinventé et la justesse de comédiens parfaits de synthétisme. Adulés dans la Cour d’Honneur du Palais des Papes, ce spectacle et sa scénographie à la mesure de sa démesure devront cependant trouver de nouvelles marques sur la « toute petite » scène de la Comédie. Critique.

Gigantesque dérision
C’est la première chose que l’on mentionne toujours sur lui : Valère Novarina est un inventeur de langues, un fou de mots qui les collectionne et les déguste plus volontiers dans la bouche des comédiens quand ils sont insolites et que leurs sonorités laissent libre champ aux associations de l’inconscient. Son dernier texte, l’Acte inconnu, n’a pourtant rien à voir avec la poésie phonétique des avant-gardes, qui voulait rompre tout lien avec le sens : depuis longtemps déjà Valère Novarina sait que la langue française est un réservoir assez riche pour redire le monde et la vie en réinsufflant aux mots des propriétés nouvelles. L’onomastique peut aussi remplir cette fonction ; c’est ainsi que tout le premier acte de ce spectacle, qui peut paraître décousu au premier abord, se déroule dans un défilé de personnages, représentants de tribus et de peuples qui proclament invasions et règnes, des bribes d’Histoire factuelle, connue ou complètement oubliée, avec une fierté toute parodique. Cette gigantesque dérision de l’inanité des manuels parvient surtout sans aucune attache solide au réel à donner une image vertigineuse de la diversité, mais aussi de la petitesse humaine prise dans le grand cours de l’Histoire, un mélange de relativisme intransigeant et de joyeux carnaval en l’honneur de cette arrogante mais sympathique créature qu’est l’Homme.

"L’Acte inconnu" de Valère Novarina. Photo Olivier Marchetti

Bien que relativement différentes dans leur contenu verbal, les étapes suivantes de la pièce restent dans cet état d’esprit. Faire apparaître des personnages, les nommer, cela revient à faire exister le monde en condensé ; de même, leurs gesticulations et leurs logorrhées les plus insensées recomposent en mosaïque la vie, de la naissance à la mort, jalons arbitraires exposés dans toute leur simplicité, leur absurdité. Entre deux ? « Les Hommes vont hommer » dit l’un de ces personnages porteurs de nom et de quelques phrases, rien de plus fixe, un Homme en somme ; c’est-à-dire qu’ils vivent et que cela ne signifie rien, mais mérite d’être malgré tout. Ce qui est formidable avec Novarina, c’est qu’on accepte d’une part l’incohérence des propos ou de ces travestissements d’humanité, pour la tendresse poétique ou l’humour qu’ils dégagent, mais qu’en même temps tout fait sens naturellement. Non seulement la structure globale de l’œuvre, qui représente au sens littéral l’écoulement d’une vie humaine, se laisse voir très vite à force de recoupements thématiques ou toniques, mais en outre chaque phrase dans son contexte véhicule une petite maxime de bon sens au-delà de la valeur sémantique traditionnelle des mots. C’est un vrai plaisir de se laisser prendre par autant d’intelligence automatique du texte, sans intellectualisme ni hermétisme gratuit.

Joyeuse éloquence
Les comédiens assument pleinement leur contribution à cette entreprise de joyeuse éloquence universelle. Ils dosent très bien les brins d’incarnation bouffonne qu’ils associent à une nécessaire neutralité. Celle-ci fait d’eux des porteurs de personnages textuels, des acteurs donc, qui s’assument comme tels et auxquels la dernière partie du spectacle est très justement consacrée. Certains spectateurs avignonnais ont d’ailleurs trouvé – à tort forcément – qu’avec l’évocation de la mort, la pièce, déjà longue, aurait pu s’achever : c’était omettre l’ampleur d’une mise en abîme qui par l’évocation du travail de l’acteur replace la vie qui s’est écoulée, le monde qui s’est recréé sur scène dans le cadre relatif d’un échafaudage artistique. Le plaisir manifeste des comédiens de Novarina, réunis en une troupe aussi large qu’homogène – bien que nécessairement hétéroclite –, prouve bien que malgré l’éphémère de leur passage sur scène leur présence seule, dans son entièreté, fait de la figuration une essence ; en d’autres termes, que jouer, c’est vivre.

Julien Lambert

Comédie de Genève, jusqu’au 7 novembre 2007.
Loc. 022 320 50 01

Voir également l’entretien de Valère Novarina réalisé par Jérôme Zanetta