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A la Comédie de Genève
Genève, La Comédie : “La Double Inconstance“
Article mis en ligne le mars 2007
dernière modification le 4 novembre 2007

par Régine KOPP

Des metteurs en scène comme Patrice Chéreau, Antoine Vitez ou
Roger Planchon ont débarrassé Marivaux de son vernis de badinage et ont mis en avant la cruauté des rapports qu’entretiennent les personnages entre eux, tout obsédés qu’ils sont par la sincérité de l’amour.

Mettre en scène Marivaux, c’est donc être confronté aux grands thèmes de l’œuvre de Marivaux qui découlent tous de cette obsession : la perfidie de la séduction, l’inconstance des sentiments, les jeux d’influence et de pouvoir et les travestissements. Dans la tradition de ses illustres prédécesseurs, le metteur en scène Christian Colin cherche donc à nous « laisser apparaître le Marivaux des profondeurs et à le sortir de l’image d’Epinal, celle du dramaturge spirituel, peintre d’une mondanité éprise de mots d’esprit ». C’est un Marivaux âpre, violent et cruel que Christian Colin veut nous faire découvrir, nous montrant qu’il « s’agit d’un étrange royaume dans lequel on prend la peine d’énoncer des lois, qu’on s’efforce de respecter mais en méconnaissant ou en déniant leur rigueur ».

“La Double Inconstance“, photo Brigitte Enguerand

Portrait
C’est ainsi qu’il faut comprendre la phrase de Silvia : « lorsque je l’ai aimé, c’était un amour qui m’était venu, à cette heure que je ne l’aime plus, c’est un amour qui s’en est allé, il est venu sans mon avis, il s’en retourne de même, je ne crois pas être blâmable ».
Marivaux a trente-cinq ans en 1723, quand il écrit sa sixième pièce et qu’il procède à une « autopsie du langage amoureux et social », selon les termes du metteur en scène. Il imagine les inconstances du cœur de Silvia qu’un Prince amoureux décide de séduire et qu’il fait enlever. Silvia aime cependant Arlequin mais cet amour si fort va dériver sur les rives de la distraction d’abord, puis de l’indifférence, du ressentiment et de la haine ensuite, pour finir par la trahison. Pour obtenir Silvia, le Prince introduit dans son jeu Flaminia, chargée de détruire l’amour de Silvia pour Arlequin. La voie est alors libre pour le Prince qui, travesti en officier, peut arriver à ses fins mais aussi pour Silvia, qui dit voir clair dans son cœur.
Derrière tous ces arrangements, « ce jeu de chassés-croisés, de mensonges, de vanités et d’orgueils blessés, d’identités malmenées par la raison sociale », Christian Colin pose la question de l’amour comme « un paradigme de cet endroit de l’équivoque, de l’ambiguïté où le rêve déborde sur la réalité de façon si dangereuse ».

Contre-point
Pour visualiser ces ténèbres cachées derrière les lumières de la découverte amoureuse, il fait référence à ces héros du cinéma de la Nouvelle Vague, qui discutaient tant d’amour, dont plusieurs scènes, extraites notamment de La Collectionneuse de Rohmer sont projetées sur deux panneaux de toile blanche, suspendus à l’arrière de la scène. De même, il a voulu que deux filles et deux garçons, en costumes du 18° siècle, doublent ces personnages de la réalité, et leur« servent de contre-point, comme ces lignes musicales de l’alto qui doublent les parties du violon ». A l’avant du plateau, il a créé une large bande de terre rougeâtre bordant un sol instable et incliné jusqu’à devenir impraticable, où les acteurs jouent et questionnent les sentiments de leurs personnages.

Pour montrer que Marivaux est un des plus grands auteurs classiques de notre modernité, Christian Colin a choisi des comédiens jeunes, guidés dans leurs gestes par cette innocence entre frivolité et inconscience. Isild LeBesco, qui par deux fois a obtenu le César du meilleur espoir féminin, joue le rôle de Silvia mais pourquoi adopte-t-elle cette élocution monocorde, qui agace le spectateur ? Pour ce qui est des autres acteurs, Grégoire Colin (Arlequin), Audrey Bonnet (Flaminia) et Alexandre Pavloff (le Prince), que l’on souhaiterait mieux dirigés, ils donnent cependant le meilleur d’eux-mêmes. Un spectacle qui a de quoi séduire les jeunes, tant ils sont obnubilés, hier comme aujourd’hui, par cette question éternelle de l’inconstance amoureuse.

Régine Kopp

Du mardi 13 au dimanche 18 mars : La Double Inconstance de Marivaux, m.e.s. Chr. Colin. La Comédie, ve-sa 20h, je 19h (loc. 022/ 320.50.01)