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La Comédie de Genève
Genève, La Comédie : “Jocaste reine“

Gisèle Sallin s’est régalée, à mettre en scène Jocaste reine.

Article mis en ligne le novembre 2009
dernière modification le 4 décembre 2009

par Julien LAMBERT

La belle audace, qu’a eue Gisèle Sallin en demandant à la célèbre romancière Nancy Huston, de donner à revoir le mythe d’Œdipe par la figure complexe de sa mère et femme. Dans le parfait prolongement d’une galerie de
femmes abyssales et pourtant si humaines qui peuplent ses romans, la belle audace qu’a eue Nancy Huston en faisant de Jocaste un modèle de femme absolue, qui englobe poétiquement maternité et sensualité dans un cri d’amour homogène.

Belles audaces féminines
Gisèle Sallin s’est régalée, à mettre en scène Jocaste reine, pendant féminin et passablement féministe d’Œdipe Roi de Sophocle, que la directrice des Osses monte en parallèle, plus pour mémoire que pour la parité. La pièce commandée à la grande romancière Nancy Huston est ce qu’on peut appeler une œuvre totale. Tandis qu’Œdipe court les oracles, elle dévoile littéralement, sous les brumes de tissus du fastueux décor de Jean-Claude de Bemels, les rapports tendres et complices de la reine et de ses filles, après l’intimité conjugale de Jocaste avec son fils et mari. Tandis que les frères ennemis jouent déjà à se battre dans des chorégraphies orientales, Jocaste donne un vrai cours de féminité à Antigone et Ismène.

Une génération, au propre et au figuré, sépare Jocaste et Oedipe, Véronique Mermoud et Olivier Havran, mais pas un centimètre entre leurs peaux brûlantes.
Crédit photo : Isabelle Daccord

On pourrait être choqué, dans la mise en scène de Gisèle Sallin, pas tant par cette ironie que les hommes n’ont pas volée, mais par l’instauration d’un ton léger de confidence, quand la femme accomplie et celles en devenir étendent en jouant le linge des pestiférés qui gémissent hors scène. Mais l’urgence est trop grande, de dire la féminité, de crier l’inaudible, l’insoutenable amour total d’une femme pour un homme, qui éclipse l’horreur de l’inceste. Les vers libres de Nancy Huston s’écoulent, superbes, passant du rire aux larmes, du trivial à l’éther ou aux images atemporelles, et la mise en scène prépare intelligemment dans le badinage familial l’amère chute et l’irruption du tragique. Rupture il y a, entre la fonction d’énonciatrice lyrique de Jocaste, Véronique Mermoud scandant entre le lieder brechtien et la comptine, et celle de strict moteur narratif reléguée à Œdipe. Un Coryphée en costard de présentateur-télé, l’amusant Frank Michaux, parachevant la joyeuse dissonance. Rupture conséquente dans le jeu, qui transite vers une déclamation tragique pleinement valorisée par la comparaison. Avec en soutien la musique obsédante composée par Anne-Marie Fijal. On voit alors passer le fantôme d’Hélène Weigel. Véronique Mermoud est tétanisante, prostrée le dos cambré en arrière, visage de sphynx transcendé, Olivier Havran est tétanisé, paralysé par l’assumation de Jocaste qu’il ne peut partager.

Julien Lambert

« Jocaste Reine » de Nancy Huston, au Théâtre des Osses, Givisiez (Fribourg), 31 octobre, 1, 7, 8, 14, 15 novembre, 12 décembre, samedi à 20h30, dimanche à 18h30, précédée d’« Œdipe Roi », samedi à 18h, dimanche à 16h.
Réservations : 026 469 70 00
À la Comédie de Genève, du 19 au 29 novembre, ma-ve à 20h, me-je à 19h, sa à 19h, di à 17h. Réservations : 022 320 50 01
Autres dates de tournée sur www.theatreosses.ch
Texte paru aux Editions Actes Sud