Arts-Scènes
Slogan du site

Cinéma Danse Expositions Musique Opéra Spectacles Théâtre

A la Comédie de Genève
Genève, La Comédie : “Hop là, nous vivons !“

Entretien avec Christophe Perton au sujet de la mise en scène de la pièce de Toller.

Article mis en ligne le avril 2007
dernière modification le 4 novembre 2007

par Julien LAMBERT

Du 24 avril au 5 mai, la Comédie proposera une œuvre de Ernst Toller, un auteur peu connu en France. Le metteur en scène Christophe Perton a volontiers accepté de répondre à nos questions. Entretien.

Comment avez-vous fait la découverte de cet auteur, dont l’œuvre, me semble-t-il, est relativement peu jouée en France ?
Ernst Toller est un auteur que j’ai découvert il y a quinze ans, un peu par hasard, au gré de mes lectures. Par la suite, j’ai eu l’opportunité de créer en 1999 une pièce tirée de Hinkemann - première pièce d’Ernst Toller que j’ai connue - intitulée La Chair empoisonnée de Franz Xaver Kroetz, autre auteur bavarois. Hop là nous vivons ! est une pièce qu’il me tenait à cœur de monter depuis longtemps, mais c’est véritablement le contexte politique actuel, où il est question de démocratie et d’élections, qui m’a conduit tout naturellement à y revenir aujourd’hui. En effet, la pièce elle-même se déroule dans un climat préélectoral. En revanche, je n’avais pas mesuré à quel point elle allait être percutante, puisqu’elle sera créée à une semaine du premier tour des Présidentielles en France.

Cette pièce est passablement pessimiste de par sa fin et de par le sort réservé aux idéalismes.
Je ne la lis pas du tout comme une pièce pessimiste. C’est une pièce qui brosse l’histoire de jeunes gens, faisant partie du même mouvement, partageant les mêmes idéaux sur la société et qu’on retrouve 8 ans après. Huit années de black-out donc, suite à un événement traumatique, puisqu’un des protagonistes (Karl Thomas) sombre dans la folie, après avoir été condamné à mort puis gracié. Après leurs retrouvailles, il s’agit de découvrir comment chacun des personnages, à partir d’un passé commun, va évoluer dans le monde et transformer cette idéologie à sa façon, afin de s’émanciper. Cependant, lorsque Karl Thomas, le plus engagé, revient au monde après 8 ans, il vit le comportement, l’évolution de ses camarades comme autant de trahisons par rapport à ses idées. Au fond, la pièce est donc une véritable tragédie individuelle et humaine, qui met en lumière le décalage qui peut survenir lorsqu’on disparaît du monde et qu’on y réapparaît soudainement. Néanmoins, je ne pense pas que ce soit une pièce pessimiste, notamment à cause de l’adaptation que j’en fais. En effet, j’ai non seulement travaillé sur la pièce de Toller, mais aussi sur des ajouts personnels, qui donneront un caractère très autobiographique à la pièce tout en lui conférant une certaine distanciation, notamment par rapport au suicide du héros. Il y a évidemment quelque chose de pessimiste dans la destinée tragique de Toller, remplie de désillusions. Néanmoins, la pièce offre une autre dimension qui dépasse largement cet aspect-là. En effet, Karl Thomas n’est pas l’unique personnage de la pièce. Si l’on s’intéresse au parcours d’Eva Berg, la jeune fille qui se trouve en prison avec lui, on s’aperçoit, à travers son point de vue, que la pièce est en réalité très combative.

D’où peut-être le parallèle avec les élections : donner à voir un florilège de points de vue, de convictions politiques, d’engagements différents…
Absolument, mais à partir d’un même postulat, d’une même idée de départ, c’est-à-dire la nécessité de modifier le cours du monde.

Christophe Perton. Photo GTG/Carole Parodi

En rapport à ces engagements politiques un peu fous, vous avez certainement dû vous intéresser au parcours politique de Toller, en particulier à sa participation à la « commune de Bavière ». Est-ce un sujet sur lequel vous vous êtes penché ?
Evidemment, car encore une fois, la pièce est auto-fictionnelle. Elle est basée sur la propre histoire de Toller, de sa participation à la République des conseils de Bavière jusqu’à son engagement politique et à sa condamnation. Etant donné qu’il écrit cette pièce à sa sortie de prison, comment ne pas faire de
lien ? L’épisode demeure néanmoins très peu connu, mais se révèle être une période passionnante de l’histoire de l’Allemagne de l’entre-deux-guerres. En ce qui me concerne, ce sont davantage les enseignements que l’on peut en tirer par rapport au parcours de Toller et à son engagement sur toute une vie qui m’intéressent, que ce moment-là précis de l’Histoire. Hop là, nous vivons ! n’est pas une pièce historique, contrairement à la pièce, écrite par Tankred Dorst, Toller, qui raconte, quant à elle précisément l’histoire de la révolution de la République des conseils.

Comment décrire ce que Toller a vécu à ce moment-là, puisque c’est cela qui vous intéresse ?
Je le traduis dans mon adaptation. A cet effet, j’ai mêlé dans un procédé de distanciation des interventions du personnage de Toller lui-même avec des discours politiques de l’époque, prononcés par lui-même au moment de sa condamnation. Il y a comme un parcours du personnage de Toller dans la pièce. Les discours qui seront revendiqués pendant la pièce ont un caractère quasiment didactique, comme un parallèle avec Toller lui-même, comme l’entend l’Histoire.

Vous évoquez le mot « didactique ». En quoi cette pièce reste-elle alors fidèle à l’héritage brechtien ?
En réalité, tout sépare Brecht et Toller. Dans Hop là, nous vivons !, j’ai recours à un procédé didactique qui consisterait effectivement à faire le lien avec le parcours de Toller. Cependant, je pense qu’on ne peut absolument pas considérer les pièces de Toller comme didactiques, car c’est très compliqué d’aller y tirer un enseignement précis. Toller est un humaniste et un poète avant tout. Ce qui caractérise ses pièces, c’est sa capacité à mettre en avant l’humanité exacerbée de ses personnages. Toller était plus célèbre que Brecht en son temps. A côté, Brecht était un parfait inconnu.

A quoi attribuez-vous cette différence ?
Toller se consacre tout autant à son engagement politique qu’à son engagement d’écrivain. Il a connu son moment de gloire. Brecht est un homme de théâtre avant tout, qui écrit pour le théâtre et développe une pensée pour le théâtre, une esthétique théâtrale. Toller met très vite la littérature, la poétique et la dramaturgie au second plan de son engagement politique. Il met le théâtre au service de son engagement politique, comme Brecht, mais se consacre avant tout lui-même à la politique. Néanmoins, il y a également chez Toller la dimension d’une esthétique dramaturgique, puisque de pièce en pièce, il interroge la forme de ses dramaturgies. Lorsqu’on lit par exemple Masse Mensch et Hop là nous vivons !, on passe d’une pièce éminemment expressionniste, avec une forme poétique exacerbée, une langue éblouissante et une forme incroyablement belle, dotée d’une dimension onirique forte, à une pièce, avec laquelle Toller tourne la page de l’expressionnisme. Il continue cependant de réinterroger la forme, puisqu’il introduit une dimension cinématographique absolument nouvelle, avec un langage qui lui est propre ainsi qu’une certaine distanciation. Explorer ces univers et ces formes nouvelles me fascine particulièrement.

L’utilisation des médias est actuellement une question brûlante pour les dramaturges. Comment allez-vous utiliser le médium filmé en rapport à la scène ? Prônez-vous un dialogue des arts ou au contraire une cassure entre les genres ?
Le cinéma et la vidéo ne sont pas des genres qui me sont étrangers, puisque j’ai eu l’occasion d’en faire usage par le passé dans une pièce de Toller, Hinkemann. J’apprécie tout particulièrement cette didascalie de l’auteur, donc j’y prête grande attention et m’efforce d’intégrer au mieux l’image sur une scène, afin qu’une symbiose se crée entre image et théâtre. Mais n’oublions pas que ce sont avant tout les comédiens qui seront au centre du projet.

Vous aimez le dialogue entre les arts et avez notamment mis en scène divers opéras, dont récemment la création du compositeur français Jacques Lenot, selon l’œuvre de Jean-Luc Lagarce J’étais dans ma maison et j’attendais que la pluie vienne. Quel bilan tirez-vous de cette réalisation ?
Monter Lagarce à l’opéra est une véritable gageure à réaliser, car elle est en soi une pièce musicale, une espèce d’oratorio de la parole. Afin de préparer la scénographie, j’ai beaucoup travaillé sur le livret, sur les différents enregistrements de Jacques Lenot ainsi qu’avec quelques-unes de ses indications en rapport aux dimensions musicales de chaque tableau. C’était une expérience bouleversante. C’est sans doute la difficulté, notamment musicale, qui nous a tous réunis. En outre, les cantatrices sont parvenues à interpréter parfaitement les différents personnages, faisant preuve d’un important engagement théâtral. Dans l’adversité générale, elles m’ont fait confiance et en définitive, cette expérience a été une aventure artistique et humaine extraordinaire.

La Comédie vous a accueilli maintes fois. Y a-t-il un contact particulier qui s’est crée avec Anne Bisang ?
J’admire la façon dont Anne Bisang dirige son théâtre, ses projets. Sa réflexion sur les auteurs est particulièrement intéressante, car elle témoigne d’un véritable engagement artistique sur le plan théâtral. A l’heure où l’on tend à la simplification et à la facilité, je salue l’exigence, tant qu’elle se conjugue avec partage et médiation forte entre l’œuvre et le public. J’ai déjà eu la chance de collaborer avec Anne Bisang, lorsqu’elle est venue mettre en scène une pièce de Hauptmann à la Comédie de Valence. Inviter des metteurs en scène à venir partager des aventures artistiques avec nos comédiens est une pratique courante chez moi. Ces échanges sont très riches et nécessaires, afin que les acteurs puissent grandir et revenir encore plus forts de ces confrontations. De cette manière, ils thésaurisent des expériences, d’autres manières d’aborder le théâtre, tout en développant une esthétique qui est propre au projet mené à Valence. Cette force est déterminante pour l’épanouissement des acteurs, ainsi que pour mes réalisations futures.

Propos recueillis par Julien Lambert

Ernst Toller, Hop là, nous vivons ! du 24 avril au 5 mai à la Comédie