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Le Poche Genève
Genève : “La Campagne“ de Crimp

Au Poche, Martin Crimp ou les mots parlés dans l’espace...

Article mis en ligne le février 2011
dernière modification le 21 février 2011

par Rosine SCHAUTZ

Né en 1956 dans le Kent, Martin Crimp, auteur majeur de la scène anglaise, a débuté sa carrière de dramaturge en écrivant pour la radio. Puis, dit-il, « la lecture de James Joyce m’a bouleversé. Je n’ai plus écrit de la même manière après avoir adoré Finnegan’s Wake. »

L’auteur
Ses textes obtiennent très vite de nombreux prix et ses pièces sont alors produites par The Orange Tree Theatre de Richmond, sis dans la banlieue de Londres. C’est au cours des années 90 que ses pièces commencent à être reconnues au-delà des frontières britanniques, notamment grâce à une résidence à New York en 1991. Parmi les pièces qu’il a publiées, citons Getting Attention (1991), Atteintes à sa vie (1997), La Campagne (2000), Le Traitement (2000), Tendre et cruel (2003), Ciel bleu ciel (2007). Il est également l’auteur d’un livret d’opéra, Into the Little Hill (2004-06).
Francophile convaincu, il est en outre traducteur et adaptateur de quelques pièces de Ionesco, Koltès, Marivaux, Molière et Genet. Enfin, notons qu’en France, c’est Christine Boisson qui contribua à sa notoriété en jouant La Campagne, en 2004.
Martin Crimp aime jouer avec la langue et autour de la langue, autour de ce qui se dit, peut se dire, ne doit pas se dire. La Campagne n’échappe pas à cette manière de faire. Le langage, dit-il, peut être - et, en sous-texte - doit être utilisé pour produire du sens. C’est cette hypothèse de travail, ce postulat précisément, qu’il donne à entendre dans sa pièce. Quand faut-il fixer des limites à ce que l’on peut dire ? Et le faut-il ? Peut-on toujours tout dire ? Où s’arrête le discours ? Qu’est-ce que parler ?

« La campagne »
© Augustin Rebetez

« Je choisis d’abord la forme, puis vient ensuite le sujet. » confesse Martin Crimp. D’où une écriture parfois savante, cisaillée, qui délaisse les conventions de la narration, rompt avec les catégories théâtrales et invente une autre façon de ‘parler’ les mots. Peu d’actions, donc, dans les pièces de cet auteur, si ce n’est celle, majeure, de raconter ou de se raconter, à travers doutes, esquives, sous-entendus et non-dits sonores. Les dialogues, précis et nerveux, emmènent le spectateur dans un monde tantôt tragique, tantôt ludique, et servent de truchements notamment pour regarder une société contemporaine qui finit par nous importer, par nous regarder.

La pièce
En quête d’une vie tranquille, le docteur Richard et sa femme se sont installés à la campagne. Un soir, Richard revient avec une inconnue qu’il a trouvée étendue, dit-il, sur le bas-côté de la route. Le doute s’installe, et l’on s’aperçoit qu’il s’agit en fait de sa maîtresse. Triangle amoureux qui ressemble à une intrigue policière sans qu’aucune vérité n’éclate cependant ou que quiconque fasse un aveu.

Rosine Schautz

« La Campagne », m.e.s. de Philippe Lüscher, jusqu’au 13 février 2011

« La campagne »
© Augustin Rebetez

Entretien : Philippe Lüscher

Dans cette pièce, on voit un couple menacé par une mystérieuse jeune fille endormie qui ne va pas tarder à se réveiller... Qu’est-ce qui vous a intéressé en premier lieu dans cette histoire ?
La façon dont Martin Crimp brouille sans cesse les pistes d’une histoire, en apparence, banale.

« J’ai toujours rêvé qu’on chante mes pièces », a répondu un jour Crimp dans une interview. Quel est votre ‘rêve’ de metteur en scène ?
Mon rêve ? Que chaque spectateur reparte avec son lot de questionnements sur ce qu’il vient de voir et d’entendre. Que la pièce à laquelle il vient d’assister reste inscrite dans sa mémoire non pas comme un bel objet, un beau souvenir, mais comme un rêve qui le taraude, comme un puzzle dont il manque des pièces, mais que lui seul peut trouver.

Que pensez-vous de l’écriture de Crimp ? Le traduction de The Country que vous avez choisie est-elle plutôt littérale ou littéraire ? Avez-vous procédé à des modifications dans le texte ?
Non, je n’ai procédé à quasiment aucune modification. Elle est plus littérale que littéraire et la traduction de Philippe Djian est le travail incontestable d’un homme de théâtre. Je la compare à une partition musicale, qui a su garder la puissance des chevauchements des dialogues, les changements subtils de rythme et toute les variations des respirations (pause, silence).

« La campagne »
© Augustin Rebetez

En tant qu’auteur, travaillez-vous comme Crimp en partant essentiellement du langage pour arriver à une action ?
Non, pas tout à fait. Je procède en premier lieu à l’établissement d’un synopsis et ensuite je cherche à structurer le récit. Il m’arrive toutefois de jouer avec le langage et au fur et à mesure de l’écriture, effectivement, le langage occupe de plus en plus d’importance et me permet de créer l’action.

Pensez-vous que le théâtre anglais saisit la réalité des rapports humains, le quotidien, les grands problèmes de société avec plus d’acuité que d’autres théâtres contemporains ? En d’autres termes, quelles sont à vos yeux les propriétés du théâtre anglais ?
Le théâtre anglais contemporain s’attache, il est vrai, très souvent aux rapports humains dans leur quotidien, si l’on excepte Sarah Kane et encore Edward Bond, qui ont un autre discours. Là, je pense essentiellement aux auteurs issus de l’héritage laissé par Harold Pinter.
La fable sociale donnée dans ce théâtre rejoint inéluctablement la dimension politique, mais de manière à porter un regard critique à partir de la réalité des personnages. Dans cette pièce, on voit l’attachement de Crimp à l’écrivain latin Virgile, comme une nécessité à s’attacher à des racines et à une philosophie (la campagne tant louée dans ses écrits).
C’est le style de l’auteur, son univers intérieur, ses inquiétudes, qui apparaissent dans le texte, mais pour le message politique, il appartient au spectateur de le déceler.

Propos recueillis par Rosine Schautz