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La Comédie de Genève
Genève : Katharina, l’héroine discrète

Coup de projecteur sur Katharina, le nouveau spectacle présenté à La Comédie.

Article mis en ligne le 11 février 2011

par Izabella PLUTA

Anne Bisang, dans son nouveau spectacle Katharina, se penche à nouveau sur la question de la femme plongée dans les tourments d’événements politiques. « Pourquoi les femmes ? Parce que des siècles durant, elles ont été les grandes sacrifiées de l’Histoire » - avoue la metteure en scène. Ainsi Katharina Blum, la protagoniste de cette mise en scène, avec Rolette Revilliod de Cornières (Sorcières), Salomé (Salomé) ou encore Jeanne d’Arc (Sainte Jeanne), s’inscrit de manière conséquente dans le paysage théâtral qui intéresse depuis longtemps cette artiste genevoise.

Ce travail scénique s’appuie sur le livre L’honneur perdu de Katharina Blum, paru en 1974, et écrit par Heinrich Böll, auteur connu établi en Allemagne de l’Ouest. Il s’agit d’un moment politique particulier de la RFA, perturbée à ce moment-là par une véritable hystérie contre le terrorisme, ce dernier ne se manifestant réellement que par quelques actes organisés par des groupes violents d’extrême gauche. Ces événements perturbateurs deviennent un fond de commerce de la presse à scandale, qui les transforme en une véritable chasse médiatique aux anarchistes et sympathisants gauchistes. Heinrich Böll, profondément irrité par cette paranoïa ambiante dont les victimes sont souvent des citoyens ordinaires et apolitiques, gratte le vernis de l’image d’une sérénité illusoire de la RFA. Il donne sa réponse sous une forme littéraire qui est l’histoire d’une employée de maison, Katharina Blum, qui une nuit de carnaval rencontre un homme dont elle tombe amoureuse. Ce dernier est accusé d’être terroriste et est recherché par la police. La jeune femme est soudain projetée à la une et devient l’objet d’une manipulation politique et journalistique. Ce texte est ensuite adapté à la scène genevoise par l’auteur français Jérôme Richer qui l’ancre fortement dans l’actualité. Non seulement il le rend théâtral, mais il en renforce également certains aspects. Il introduit le personnage discret de l’Auteur, souvent entendu en voix off, et le groupe en des perruques blondes. Ce chœur est le clin d’œil humoristique qui détourne de temps en temps l’ambiance sérieuse du spectacle.

La comédienne Céline Bolomey
© Claire Pathé

Katharina et les autres
Heinrich Böll crée un personnage féminin en métamorphose, une jeune femme plutôt timide et posée, une « nonne », qui finalement commet un crime : elle tue le journaliste Tötges. Désespérée et abandonnée, elle agit. Au court de ce parcourt elle acquiert une conscience militante. Céline Bolomey, à son tour, incarne une Katherina ordinaire, plus silencieuse que battante, désarçonnée par l’interrogatoire acharné de l’inspecteur Beizmenne (Gilles Tschudi)) ainsi que par la traque médiatique de Tötges. Elle devient une héroïne discrète. Cette situation inattendue semble l’emprisonner et la faire taire dans le choc vécu. Lorsqu’elle se retrouve dans sa chambre, qui plus est humiliée par des lettres anonymes qu’elle vient d’ouvrir, Katharina semble évacuer sa colère en cassant quelques objets de son appartement. Mais l’acte en soi se passe en silence et en lenteur. La furie qui pourrait en émerger ne s’extériorisé jamais en témoignant ainsi d’une souffrance solitaire.

Image projetée - image des médias de masses
Sur la scène de la Comédie de Genève, la scénographie accompagne le spectateur dès son entrée dans la salle : plusieurs tables aménageant le plateau, éclairées par des lampes de bureau qui sont les premières témoins de l’audition policière. Tout à coup, le spectacle s’ouvre comme un éclair : on voit une femme debout qui tire trois coups de revolver en direction d’un homme. Il tombe à terre. Il est mort. Cette scène initiale capture notre attention avec sa force et s’éteint tout aussi vite, coupée dans l’esprit du montage rapide. Anne Bisang crée un spectacle hétéroclite et y intègre quelques procédés propres à la technique cinématographique et vidéo : projections sur écran, et captation par la caméra, par exemple. Elle leur attribue des significations définies et nettes. Ainsi, l’image tournée en direct, renvoie toujours à l’univers des médias de masses, et construit des interviews des personnages de l’histoire. Les endroits de tournage sont difficilement identifiables ce qui donne aux projections un aspect sombre et suspect. L’écran est conçu dans la conception scénographique d’Anna Popek comme une surface multifonctionnelle. D’abord il est le plafond de la pièce en verre et fait partie de la chambre de Katharina. Ce cube est placé au milieu de l’espace scénique et cela dès le début du spectacle grâce aux plateaux mobiles.

Jérôme Richer, auteur de « Katharina »
© Fanny Brunet

Les changements des éléments scénographiques dévoilés au public font allusion au mouvement de la caméra et aux procédés du tournage. La chambre en verre marque également l’envahissement et la destruction de l’intime, non seulement par la surveillance policière, mais également médiatique. Cet aspect est marqué de manière pertinente lorsque le plafond se lève et devient ensuite écran de projection. La chambre n’est plus un espace personnel mais un laboratoire d’observation et de contrôle. Elle s’ouvre et ne protège plus, exposée à l’œil de la caméra et à l’intrusion journalistique incarnée par Werner Tötges (Julien Georges). Les actes cyniques de ce dernier divergent avec son apparence attractive qui met en confiance. Tout trompe ici. A ce niveau-là, la metteure en scène réussit à créer un dialogue intéressant entre le scénique et le filmique. Ce dernier est d’ailleurs appelé à travers le remarquable film L’honneur perdu de Katharina Blum tourné par Volker Schlöndorff et Margarethe von Trotta, qui a été projeté lors d’une soirée dans le cadre thématique accompagnant cette mise en scène. Anne Bisang a raison – il serait difficile de ne pas parler de ce film.

Vers l’universel
Katharina mise en scène par Anne Bisang est un spectacle qui touche à l’actualité, et qu’elle regarde avec un œil stoïque et sans ton moralisateur. Elle a su amener à sa vision les comédiens qu’elle orchestre avec sensibilité et qui incarnent leurs personnages sans surcharge interprétative (telles Coraline Clément, Julie Cloux, Anne-Marie Delbart et les comédiens cités précédemment). La metteure en scène donne à sa Katharina une touche universelle et interroge non seulement le statut de la femme face aux événements historiques, mais de l’individu qui en témoigne et y participe directement. Un spectacle réussi, tout simplement.

Izabella Pluta

A voir jusqu’au 13.2. : « Katharina » de Jérôme Richer, m.e.s. Anne Bisang. La Comédie de Genève, mar-ven à 20h, mer-jeu-sam à 19h, dim à 17h, lun relâche (rés. 022/350.50.01)