Arts-Scènes
Slogan du site

Cinéma Danse Expositions Musique Opéra Spectacles Théâtre

Au Théâtre du Grütli, Genève
Genève, Grütli : “Les Perses“

Claudia Bosse nous parle de la création des Perses d’Eschyle, premier volet d’un projet intitulé « producteurs de tragédie ».

Article mis en ligne le novembre 2006
dernière modification le 4 novembre 2007

par Magali JANK

Du 13 au 18 novembre, la « black box » du Grütli sera investie par près de 200 citoyens genevois, pour la création, entre Vienne et Genève, des « Perses », la tragédie antique d’Eschyle, dont ils formeront le chœur. Claudia Bosse, sa metteure en scène, a accepté de
nous en dire plus.

Les Perses est le premier volet d’un projet intitulé « producteurs de tragédie », initié par le « theatercombinat » de Vienne, compagnie que Claudia Bosse fonde en 1996 à Berlin et qui a désormais pris résidence dans la capitale autrichienne. En coproduction avec le Théâtre du Grütli, le projet consiste en une série d’expérimentations théâtrales basées sur des textes d’époques différentes. Ainsi, sur deux ans, se succèderont Les Perses d’Eschyle, Coriolan de Shakespeare et Phèdre de Racine.

Les Perses

Comment est né le projet « producteurs de tragédie » et celui des Perses en particulier ?
Claudia Bosse : Après avoir majoritairement travaillé ces dernières années sur des installations, des chorégraphies et rarement avec de l’écrit, j’ai naturellement éprouvé le besoin de m’atteler à nouveau à des textes plutôt classiques, sachant que je viens de ce théâtre-là. Puis, je me suis intéressée à ce que l’on pouvait apprendre aujourd’hui sur le monde qui nous entoure par le biais du théâtre. Mes recherches à travers diverses époques m’ont amené à découvrir la complexité de différents systèmes politiques et sociaux, ainsi que les manières distinctes d’appréhender l’espace au théâtre. Il s’agissait ensuite de voir comment, à partir de cette manne culturelle et politique, on pouvait développer une esthétique de travail contemporaine. C’est pourquoi j’ai tenu à réunir trois textes d’époques différentes, chacun révélant un modèle politique et social différent. Tout d’abord vient l’Antiquité avec Les Perses, où y sont représentées les prémices de la démocratie. Puis, dans Coriolan de Shakespeare, notre travail se focalisera sur la monarchie constitutionnelle pendant la Renaissance et avec Phèdre de Racine sur l’Absolutisme. Tous ces textes sont construits selon des modèles et des fonctions théâtrales diverses. Chaque texte, à différents niveaux, met en exergue les points de transformation de ces systèmes politiques. Dans Phèdre par exemple, l’éventualité de la mort de Thésée menace toute une société. C’est cette idée de jeu, de transformation de la société qui m’intéresse et qui est aussi expérimentée dans ce projet.

La démarche du « theatercombinat » est avant tout expérimentale. Votre collaboration avec le Grütli permet-elle d’apporter une nouvelle perspective à votre démarche artistique ?
Le projet « Grü 500 » est une immense occasion pour nous, compagnie indépendante. J’ai déjà collaboré à plusieurs reprises avec Maya Bösch, elle connaît ma manière de travailler et j’ai développé avec elle ainsi qu’avec Michèle Pralong une amitié au fil des dernières années. J’apprécie leur travail et suis ravie que le Grütli rende possible un projet aussi unique ! Actuellement, sur le marché des productions théâtrales, la tendance est à la création de spectacles de même type, qui, reproduit, peut assurer un certain succès. Pour ma part, j’ai tendance à travailler avec des formats différents, car chacun d’entre eux reflète une formulation esthétique propre.

Un nombre important de personnes participent à ce projet, dont près de 200 Genevois. Concrètement, comment se passe le processus de création de la pièce et comment le gérez-vous ?
Je le gère comme un chaos complet (rires). Plus sérieusement, nous avons déjà travaillé avec des personnes non issues du milieu professionnel, mais jamais selon ce modèle esthétique complexe ! Le contexte de la démocratie antique est fascinant. En effet, dans la Grèce antique, le Conseil des 500 formait le chœur, lequel présentait ses propositions de lois à l’assemblée du peuple. En essayant de créer aujourd’hui un chœur de 500 personnes, cela nous permet d’appréhender la démocratie et la tragédie antiques comme exemple d’une pratique actuelle. Les citoyens genevois sous la direction de coryphées (chefs de chœurs), des comédiens locaux, se voient plongés dans un système démocratique antique, puisque leurs opinions et leurs suggestions tout au long de la création de la pièce jouent un rôle essentiel. En effet, elles représentent des éléments cruciaux pour notre recherche sur le théâtre. Lors des représentations, le spectateur « expérimentera la démocratie », en devenant lui-même acteur puisqu’il se mêlera au chœur. Le nombre élevé de participants, je l’avoue m’effraye et m’enchante à la fois. Il est clair que toute nouvelle aventure apporte son lot d’inconnu. Et comme cette expérimentation est menée avec une certaine éthique et pour des raisons valables, c’est une occasion pour nous de remettre en cause, de manière concrète, le fonctionnement esthétique et politique du théâtre. Le processus devient alors un matériau de réflexion sans fin !

Les Perses vont mélanger des comédiens autrichiens à des citoyens genevois, impliquant deux langues. Ne craignez-vous pas que ce bilinguisme ne se transforme en obstacle pour la compréhension de la pièce par le public ?
Le bilinguisme est à l’origine du projet et fait partie intégrante du processus. Derrière les deux langues se cache une méthode de travail propre, et il sera intéressant d’observer ce qu’une des langues peut transmettre à l’autre et ce que cela peut produire. Je suis impatiente de faire venir les comédiens autrichiens à Genève, afin d’une part de témoigner de notre travail effectué en Autriche et d’autre part de confronter concrètement ces deux mondes linguistiques. Ce sera certainement très intéressant, car nous sommes toujours dans un processus de création. Quant à la compréhension de la pièce par le public, nous allons expérimenter différentes méthodes lors des prochaines répétitions collectives, et nous pensions notamment à une certaine forme de sous-titrage. Voir la partition des « Perses » défiler apporterait une dimension graphique de la langue très intéressante.

Propos recueillis par Magali Jank

Les Perses d’Eschyle du 13 au 19 novembre au Théâtre du Grütli, black box,
www.grutli.ch/lesperses - Réservation 022 328 98 78