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Théâtre du Loup, Genève
Genève : “Fanny et Alexandre“

La Compagnie Opus Luna crée au Loup une pièce de Ingmar Bergman.

Article mis en ligne le février 2011
dernière modification le 20 février 2011

par Claudia CERRETELLI ROCH

Avis aux âmes sensibles, traumatisées par la violence psychologique des œuvres de Bergman : la pièce de Fanny et Alexandre, programmée par le théâtre du Loup(du 18 janvier au 6 février), ne s’inspire pas du dernier film d’Igmar Bergman (1982), télévisé, puis sorti –abrégé de deux heures – dans les salles. Elle s’inspire plutôt du livre dont le film a fait l’objet. S’en suit un regard plus doux, plus magique et onirique sur l’enfance. Camille Giacobino, metteuse en scène genevoise, s’explique.

Camille Giacobino, que trouvez-vous d’intemporel, dans ce récit qui traite un sujet somme toute local, la Suède au début du 20e siècle ?
J’ai toujours été intéressée par l’univers de l’enfance et de la famille, avec toute sa complexité. Je pense que jamais autant qu’aujourd’hui, les familles se « déglinguent ». Celles qu’on appelle recomposées sont un thème qui témoigne de la richesse des relations nouvelles qui se construisent au sein d’un socle qu’on voit comme stable. Tout se complique. Les clés de fonctionnement de la vie de tous les jours échappent de plus en plus aux gens, et aux enfants en particulier. A cela, répond le superpouvoir des héros du monde de l’enfance, le monde de tous les possibles. Dans Fanny et Alexandre, on peut adopter plusieurs points de vue. D’une part les enfants doivent cohabiter avec un père qui n’est pas le leur et qu’ils n’ont pas choisi, sans compter le deuil de leur propre père : ils n’ont d’autre choix que de s’échapper là où personne ne peut les atteindre : dans les rêves et les fantasmes. D’autre part, cet homme n’a aucune possibilité d’entrer dans leur vie, car ils s’obstinent contre ses valeurs. Cet évêque, je ne le vois pas comme un monstre sadique, juste comme un homme qui n’a pas accès aux enfants de sa femme, et qui en souffre.

Le père mort, le beau père qu’on souhaite voir mourir – et qui meurt… On sent Œdipe, Hamlet…il y a du Freud dans l’air…
C’est peut être parce que je viens d’une famille de psychologues, psychiatres et psychanalystes ! (rires) Plus sérieusement, je pense qu’il y a de la psychologie partout, au fond. Qu’est-ce qui est artistique et qu’est ce qui relève de la psychologie ? Les deux sont un peu trop imbriqués, parfois.

« Fanny et Alexandre » avec Laurent Annoni et Alexandra Camosampiero
© Isabelle Meister

Et en ce qui concerne l’enfance, qui est votre thème de prédilection,comment voyez-vous Fanny et Alexandre ?
J’aime l’enfance : c’est une étape de tous les possibles, par la magie et l’imaginaire. C’est bien cet immense imaginaire qui permet à Alexandre, par exemple, de s’évader de son monde et d’utiliser les outils que lui ont apporté ses parents, qui travaillaient au théâtre, pour s’évader de cette vie qu’il n’accepte pas. La magie opère de manière très puissante durant cette période de la vie. Il y a également du paranormal, mais voit-on la différence entre paranormal et création psychique ? J’ai voulu une pièce plus ludique et magique que celle relative à la problématique de Bergman. A travers le prisme des enfants, ce monde devient moins pesant… J’ai cherché avec les comédiens l’endroit et le temps du rêve et de la magie. C’est ce que j’aime : raconter des histoires.

Techniquement, comment est-ce possible de le trouver ?
Au niveau des décors, avec peu de moyens on peut beaucoup faire. Il a fallu mettre ensemble les pièces d’un puzzle complexe qui réunit plusieurs lieux et plusieurs situations : certains objets les indiquent. Les lumières font et défont les espaces. Le sol également change : sa texture, sa couleur, sa luminosité… C’est un travail artisanal, mais j’aime ce côté « pas léché », où le travail est plus lié à une longue réflexion commune qu’aux moyens…Cela donne un style, au final car tout l’ensemble devient harmonieux.

« Fanny et Alexandre »
© Isabelle Meister

Un peu comme la cuisine, où les plats traditionnels les plus connus et les plus aimés sont faits à partir de récupération de restes…
Oui, j’adore cuisiner. Je fais une cuisine théâtrale ! Ou plutôt, « nous faisons », car nous travaillons en équipe avec les comédiens.

Parlons-en : vous avez une très belle distribution, avec notamment Maria Pérez, Frédéric Pollier et Valentin Rossier.
Il s’agit de personnes de mon entourage. J’ai choisi Laurent Annoni pour Alexandre, car il peut faire « enfant », mais il a aussi une formation d’acrobate et de danseur : il est rapide et agile, ce qui me permet de lui demander des gestes plus proches de l’enfance et de l’art plastique. Quant à Alexandra Camposampiero, qui représente Fanny, elle peut aisément, par sa jeunesse et sa physionomie, avoir l’air enfantin. Je peux entièrement leur faire confiance, c’est un environnement rassurant et solide. Il y a dix imaginaires différents, même si je prends les décisions finales. C’est un travail stressant, mais passionnant. Après tout, je suis rôdée, je suis à ma troisième mise en scène en un an…

Propos recueillis par Claudia Cerretelli Roch

Jusqu’au 6 février : « Fanny et Alexandre » de Ingmar Bergman, m.e.s. Camille Giacobino, création de Opus Luna Cie. Théâtre du Loup, mar-mer-ven-sam à 20h, jeu à 19h, dim à 17h, relâche lun (rés. 022/301.31.00)