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Au Théâtre du Crève-Cœur, Cologny
Genève, Crève-Cœur : “Le Cid“ selon Alain Carré

Au Théâtre du Crève-Cœur, Alain Carré assume la mise en scène du Cid pour le 400ème anniversaire de Corneille.

Article mis en ligne le novembre 2006
dernière modification le 4 novembre 2007

par Maya SCHAUTZ

Pour le 400ème anniversaire de Pierre Corneille (1604-1684), Alain Carré met en scène et joue Le Cid, un sommet dans la carrière de Corneille et le chef-d’œuvre incontesté du théâtre français.

Pour cet anniversaire, Alain Carré, à la tête d’une troupe nouvellement constituée à cet effet de 12 acteurs, monte la pièce phare d’un homme de 30 ans, dans la 3ème version, celle de 1637. Corneille vient de remporter un grand succès avec L’Illusion comique, succès qui sera dépassé par celui du Cid, dont la grandeur héroïque et la passion amoureuse va enthousiasmer le public de Paris ! Cependant la jalousie de nombreux rivaux et l’incompréhension des doctrinaires au sujet de la règle des 3 unités donnent lieu sitôt après à la célèbre Querelle du Cid ! Richelieu, d’abord protecteur de l’auteur, soumet cette tragi-comédie à l’examen de l’Académie française qu’il vient de créer. De plus le recours à l’honneur castillan tombe mal : la France est en guerre contre l’Espagne. Fin 1637, Le Cid est condamné en vertu des règles d’unité de temps, de lieu, d’action et d’une 4ème, celle de la bienséance : on ne gifle pas un vieillard sur scène, ni ne reçoit la nuit le meurtrier de son père ! Et pour comble de malheur, cette même année 1637 on refuse à Corneille la main de Catherine Hue, son seul grand amour. Effondré, il cessera d’écrire pendant près de 3 ans.

Alain Carré

Pari
Alain Carré, quant à lui, foule les planches du théâtre de Cologny depuis 15 ans, le plus souvent en solitaire. On le verra désormais davantage à Genève, car Le Cid marque également ses débuts de co-directeur avec Anne Vaucher et Bénédict Gampert au Théâtre du Crève-Cœur. On l’y aura applaudi au long de sa carrière genevoise, notamment dans « Le Testament de Villon », l’œuvre intégrale de Rimbaud, « Les Lettres à un jeune poète » de Rilke, « Le Journal d’un génie » de Salvador Dali, un époustouflant Berlioz à partir de sa correspondance et de sa musique, « Ainsi parlait Zarathoustra » de Nietzsche, allant ainsi de défi en défi, à donner le vertige. Le Cid représente sa 3ème mise en scène de théâtre au Crève-Cœur, autre pari fou !
La version de 1637, celle retenue par la Pléiade, comporte 11 acteurs et un page, ce qui semble une folie sur une si petite scène, mais seuls deux ou trois personnages s’y présentent en même temps. Pour opérer par ailleurs une belle continuité entre les diverses scènes ou « morceaux de bravoure » des protagonistes, le metteur en scène a choisi une musique d’époque tantôt chantée, tantôt jouée sur une lyre, un violon, un luth par Evelyne Moser, une musique qui accompagnera toute la pièce. En même temps un clin d‘œil au théâtre antique qui recourait à la musique. Le rôle de Léonor, gouvernante de l’Infante, tenu également par la musicienne, sera ainsi enrichi d’une dimension supplémentaire : Léonor devient ainsi le témoin privilégié et omniprésent de toute l’action et représentant aussi une délégation du spectateur.

Tragédie de chambre
Un autre intérêt de ce parti de « théâtre de chambre » est qu’il permet de parler, non de déclamer l’alexandrin dans une langue « proche du public », sans pour autant négliger les diérèses et le rythme du vers. La langue du Cid est très sobre, bien orchestrée, avec un vocabulaire proche de la poésie, de la musique. Les thèmes et termes d’honneur, pour les hommes, d’amour pour les femmes constamment répétés, repris et au-delà de cette musique, on perçoit le silence de la tragédie… Pour le metteur en scène, il est important de monter cette œuvre également en « tragédie de chambre », où tour à tour se font entendre des solistes, qui se fondent ensuite à nouveau dans la cohérence de l’ensemble.
En mettant sur pied sa troupe, où l’âge des personnages sera respecté, Alain Carré désire faire sentir un esprit de famille proche de celui qui avait cours dans les troupes du 17ème siècle et créer une manière de petit orchestre de chambre, tant la musicalité du vers dans le Cid lui importe. La sobriété des costumes noirs ornés à peine de quelques fraises d’époque permettra de nous rendre sensibles aux couleurs de la voix avant tout ainsi qu’au jeu et à la musique. Un éclairage en partie aux chandelles maintiendra la proximité avec le Grand Siècle. De décor, presque rien : deux à trois colonnes et un miroir où chaque personnage sera confronté à son image dans le regard des autres…
Le Cid est un merveilleux poème d’amour. D’après l’écrivain Robert Brasillach : « C’est l’image d’une jeunesse aventureuse, aimant l’amour et le danger, rayonnante. N’oublions pas, devant cette gloire si pure, que l’accusation la plus fréquemment formulée contre elle, celle que lui-même finit par admettre est celle de d’impudicité : quelle indécence, s’écria-t-on, pour une jeune orpheline, de recevoir ainsi la nuit le meurtrier de son père ! Chimène elle-même s’en rend compte. Elle s’en rend compte et passe outre… et de conclure : Le Cid est, grâce à Dieu, un scandale permanent. »

Maya Schautz

Le Cid, m.e.s. Alain Carré, Théâtre du Crève-Cœur, 16 ch. de Ruth, du 1er novembre au 8 décembre (rés. 022/ 786.86.00) www.theatreducrevecoeur.ch
avec Isabelle Caillat, Alain Carré, Aline Gampert, Gilles Grosrey, Jean Lottaz, Christian Luciani, Evelyne Moser, Bernard Paccot, Olivier Perez, Louis Soret, Didier Vacelet, Nora Zavallone.