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Genève, Comédie : “L’Homme des bois“

Entretien avec Isabelle Pousseur, qui met en scène L’Homme des bois de Tchekhov.

Article mis en ligne le mai 2008
dernière modification le 8 juin 2008

par Jérôme ZANETTA

Du 22 au 31 mai prochain, Isabelle Pousseur nous propose une lecture vivante et surprenante d’une pièce méconnue du génial Anton Tchekhov. L’Homme des bois peut être envisagé comme un concentré de jeunesse de toutes les grandes pièces qui suivront, un laboratoire des pulsions humaines, un souffle libre et immédiat de l’instant joyeux et essentiel du théâtre. Entretien.

Vous avez pu dire que le travail sur une pièce de Tchekhov était pour vous comme un aboutissement dans votre relation à l’acteur, mais aussi comme un défi de mise en scène nécessitant une certaine maturité.
I.P. : En effet, je suis resté pendant longtemps sur ma réserve avant d’affronter cet auteur, car j’avais vu très tôt des mises en scènes de Brook et de Stein si exceptionnelles à mes yeux qu’elles sont restées comme des modèles inégalables. Je voulais donc attendre et être sûre d’avoir une vision personnelle de ce théâtre avant de l’investir.
Et puis, j’ai travaillé sur L’Homme des bois à l’Insas en 2001 avec des jeunes comédiens. J’ai alors compris que ce serait avec cette pièce que commencerait mon expérience du théâtre de Tchekhov. Le fait que cette pièce soit peu représentée me donnait aussi le sentiment de pouvoir travailler sur une vision plus personnelle de la pièce, sans être tributaire d’un héritage scénique trop important.

« L’homme des bois »

La mise en scène de L’Homme des bois que vous présenterez à la Comédie de Genève a été créée à Bruxelles en décembre 2007. Maintenant que cette expérience théâtrale est lancée, appréhendez-vous Tchekhov avec plus de sérénité ?
Je crois qu’il est presque trop tôt pour le dire. Cette mise en scène est encore très fraîche et infiniment perfectible. Le fait que la pièce tourne me permet d’affiner encore un peu plus cette mise en scène, de rester dans la perspective d’un théâtre ouvert et de vérifier que je n’en ai pas encore terminé avec L’Homme des bois. En particulier sur la question du rapport à l’acteur qui est un travail que je poursuis sans cesse et que je compte enrichir encore au fil des pérégrinations de la pièce, pour parvenir à cette « étreinte » complice qui doit unir le metteur en scène et ses comédiens. Or, cette complicité est d’autant plus difficile et passionnante à obtenir qu’il s’agit d’une pièce polyphonique, aux trames multiples, aux changements de dominantes narratives et dont le personnage principal n’est jamais longtemps le même. Le voyage est complet, mais complexe. Les registres varient sans cesse ; on passe de la comédie au drame, de la tragédie à la légèreté retrouvée, et cela en passant rapidement d’un personnage à l’autre au sein du même groupe.

Dans ce sens, vous semblez également fascinée par la double issue de cette pièce, le suicide d’un homme qui semble presque l’élément déclencheur d’une libération généralisée des autres membres du groupe.
Il est évident que d’un point de vue dramaturgique, c’est tout à fait extraordinaire. C’est la seule pièce de Tchekhov qui soit construite ainsi et paradoxalement, elle restera dans sa construction finale plus moderne que tout ce qu’il écrira ensuite. Dans ce quatrième acte, quand Voïnitzki se suicide et que le présent de la vie, des « vivants » l’emporte, c’est que ceux qui restent ont été véritablement délivrés par cette mort. Et comme souvent chez l’auteur de la Mouette on retrouve le conflit qui oppose « les vieux » étouffant « les jeunes » de façon cruelle et pesant sur leur destin. Or, ici, la mort de Voïnitzki est comme la prise de conscience que la vie doit être vécue dans son instant présent et dans son authenticité, par opposition au monde des intellectuels qui paraît une fois encore très mortifère.
Mais, dans cet acte IV, celui qui est l’homme des bois découvre que son idéalisme est aussi une forme d’aveuglement. Il ne suffit pas d’avoir des idées, si l’on se trompe sur les autres et si l’on reste sans regards et sans compromis avec l’autre. Autrement dit, un idéalisme pur et dur ne mène qu’à une pratique idéologique pour elle-même. Or, cet homme s’en rend compte, il sait qu’il vit à la limite de quelque chose et c’est la raison pour laquelle il est un personnage véritablement positif. On a affaire là à un parcours initiatique comme il en existe beaucoup au sein de cette pièce.

« L’homme des bois »

Comment avez-vous pensé la mise en scène et la scénographie ?
Je souhaitais avant tout aller vers la plus grande clarté possible. La première idée scénographique est un travail sur le bois, matière évoquée dans le titre, mais dont nous nous servons pour structurer l’espace scénique et résonner comme symbole multiple et matière très présente dans l’architecture contemporaine.
D’autre part, nous avons essayé d’exprimer le caractère propre à chaque acte. Les trois premiers actes se situent chacun chez un propriétaire, alors que le quatrième acte se situe chez le personnage le plus pauvre qui n’est pas propriétaire et vit au plus près de la nature et de la forêt. C’est donc un acte symboliquement important et très significatif, lui-même libérateur, comme le geste funeste dont nous parlions plus haut. Et enfin, il y a une vision plus picturale et littéraire qui s’inscrit dans ce quatrième acte. Description de la nature, références à Pouchkine, évocations instantanées, fugaces et poétiques, bref, les choses vont pouvoir se libérer dans cet acte vers lequel les trois autres convergent. Et c’est cela que nous tentons de montrer.
Quant à la mise en scène pure, je n’ai pas de grands principes absolus, mais je crois que dans le cadre de cette pièce, et même plus que jamais, il faut beaucoup de rigueur et de précision pour que les différents récits et les différentes thématiques soient dégagés, qu’elles apparaissent avec la plus grande clarté, que tous les enjeux se manifestent auprès du spectateur. Et enfin, chez Tchekhov, ne négliger aucune des personnages, même secondaires, car chacun à sa raison d’être et sa place dans l’ensemble.

Propos recueillis par Jérôme Zanetta

Du 22 au 31 mai : L’HOMME DES BOIS, de Tchekhov, m.e.s. Isabelle Pousseur. La Comédie (loc. 022/ 320.50.01)