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Genève : “Calvin, un itinéraire“

Reprise, à Genève, du spectacle Calvin, un itinéraire.

Article mis en ligne le septembre 2010
dernière modification le 20 septembre 2010

par Christophe RIME

Une année après la commémoration du 500e anniversaire de la naissance de la figure genevoise, Jean Calvin revient sur le devant de la scène de rue avec la reprise du spectacle Calvin, un itinéraire, qui avait déjà déplacé les foules et les avait baladées l’été dernier dans les méandres de la Vieille-Ville genevoise. La troupe du théâtre du Saule Rieur nous remet en mouvement du 13 août au 13 septembre 2010.

Les cinq scènes
Le spectacle tout d’abord. Cinq cadres, autant de tableaux historiques qui tentent, dans un entrelacement ingénieux et initiatique, de plonger le spectateur au cœur des pensées et actes de Jean Calvin. Un personnage dont les visions idéologiques et historiques ont été trop souvent sacralisées, sclérosées et cataloguées par des analyses qui ont finalement contribué à réifier l’image de l’homme en oubliant l’homme derrière l’image ; une destinée pourtant marquée par le sceau de son temps, celui d’un monde dans lequel les idées et le fait religieux furent en mouvement, écartelés entre un Moyen Âge agonisant, l’apparition d’un Humanisme renaissant et la protestation réformée. C’est donc bien une immersion qui nous est proposée – fraîche et intimiste – au sein de la réalité du temps de Calvin, qui restranscrit avec finesse et doigté, humour, mais surtout justesse et rigueur historique, l’itinéraire d’un personnage incontournable de Genève ; ses errances, ses doutes et convictions. Les tableaux s’échelonnent de la naissance de sa vocation, jusqu’à l’affirmation raisonnée d’une parole théologique consacrée, forte et mûrie, en passant par la gravité des débats portant sur l’hérésie et les opposants à la Réforme calviniste.

Quelques unes des facettes les plus importantes de Jean Calvin – parfois oubliées ou du moins effacées, comme celle de l’écrivain – sont ainsi présentées au public qui aura alors l’occasion de caresser du bout du doigt une époque révolutionnaire, tout en riant ou souriant. On reconnaîtra volontiers la touche subtile et pédagogique d’un metteur en scène de la trampe de Cyril Kaiser qui voit, notamment dans le pénultième tableau joué par Vincent Babel, « un chef-d’œuvre d’art dramatique, un sommet rhétorique, qui ne peut être uniquement ramené à du prosélytisme ou à un sermon  ». On touche ici à l’ivresse transcendante des trois thèmes centraux dans la réflexion calviniste : - la beauté du monde, l’éthique politique et l’amour chrétien. Si l’entier de la pièce de théâtre conjugue humour, dynamisme, gaieté, avec un recours minutieux à un contexte historique clairement maîtrisé, nul ne saurait ressortir de cette scène finale sans avouer avoir ressenti un léger frissonnement à l’écoute des textes profonds récités par le Calvin vieillissant de l’auditoire. Une intensité d’écriture qui dépasse les simples clivages de l’appartenance religieuse et de la croyance, de l’idéologie politique partagée ou repoussée, cependant qu’elle aurait vertu, selon l’avis de Cyril Kaiser, à « nuancer les a priori négatifs » développés à l’encontre de la figure de la Rome protestante, entre réprobation et admiration. Elle servira sûrement à mieux cerner les legs du cheminement de « cet immense écrivain » qui a contribué à ce que « Genève devienne ce qu’elle est et qu’on ne peut renier d’un coup de cuiller à pot, comme l’Académie par exemple ».

« Calvin, un itinéraire », Tableau V

Théâtre de rue ou le « théâtre rêvé de Rousseau »
Plus encore, Calvin est rendu à sa ville, Genève lui sert à nouveau d’écrin et le mariage s’incarne d’une manière qui ne laisse pas indifférent un public que la troupe emmène et conduit parmi les hauts lieux de la mémoire genevoise – l’ancienne maison de Calvin ou encore l’auditoire. Le jeu théâtral s’y développe avec un certain génie, éliminant impercetiblement la frontière entre les acteurs et les spectateurs. Bientôt, celui-ci intègre le décor et la catharsis théâtrale s’empare de lui. Le théâtre de rue, lorsqu’il est déployé sur un mode intelligent, possède seul cette faculté de rompre avec les inerties créées par les conventions d’un mode opératoire plus classique et propose à l’assistance – quittant soudain sa place figée de récepteur – de devenir partie intégrante du discours, communiant avec le thème, l’époque et les personnages campés par les acteurs. Et c’est là le tour de force atteint par ce spectacle de rue, soit un théâtre proche du public.

Per aspera ad astra
Cyril Kaiser se réjouit donc de la reprise d’un spectacle qui fut un « choc », de son propre aveu. Premièrement par la rencontre avec le personnage qu’il « connaissait peu » finalement, un homme et une ville qui furent «  les épicentres intellectuels d’une période centrale de l’évolution des idées européennes ». Une ouverture sur les liens d’héritage entre l’expérience calviniste et son développement anglo-saxon ultérieur sur les terres de la future Nouvelle-Angleterre. Avec cette colonisation, c’est bien le rayonnement d’un soleil résolument novateur qui s’allume à l’Ouest, une mystique réformée confondant en son sein aussi bien le Mayflower, la conception d’une nouvelle Jérusalem, qu’un Moïse réinterprété. Et de cette tranche de l’histoire protestante, Calvin en est bien la source en même temps que le confluent. Deuxièmement, c’est un spectacle « révélation », car le travail de metteur en scène que Cyril Kaiser s’apprête à réfléchir pour la seconde année consécutive fût, nous dit-il « également l’occasion d’une synthèse entre mes préoccupations personnelles, mes réflexions pédagogiques profondes sur l’art du théâtre ; une sorte de “reconnection“ avec l’idée que je me fais de moi-même, de l’acte créateur et de mise en scène, en marge ». Sa reconnaissance va d’ailleurs à l’organisation de Calvin 09, présidée par Roland Benz, qui a produit les conditions nécessaires mais malheureusement trop rares – alors qu’elles devraient être la norme en matière de création culturelle – pour que la troupe rentre en symbiose totale avec le sujet, sans se soucier des expédiants financiers ou de la recherche des salles de répétition, entre autres. Le résultat de cette entière dévotion à la matière théâtrale parle de lui-même.

Enfin, ce spectacle est aussi le lieu de la création d’une nouvelle troupe de théâtre, celle de l’Association du Saule Rieur, qui réunit quelques uns des acteurs dont les talents manifestes sont à nouveau mis au service de la pièce, aux rangs desquels figurent Vincent Babel, Nicole Bachmann, Rachel Gordy, David Marchetto et Joël Waefler, qui représentent tous à leur manière «  l’excellence de la formation des écoles romandes d’art dramatique, un sens de la troupe et du collectif, le respect professionnel du thème traité ». Et le metteur en scène de s’étonner que l’agenda de tels portefaix de l’art théâtral helvétique ne soit pas surchargé !

Reste à souligner l’écriture théâtrale très fine de Catherine Fuchs, qui rend de manière convaincante le fil historique d’une période complexe, ainsi que l’intelligence scénographique d’un Christophe Kiss qui, en articulant les scènes par l’entremise de cadres, nous invite autant à y rentrer qu’à réfléchir hors-champ.

Prenons alors la liberté de laisser Calvin sortir du cadre, « allons à l’auditoire, l’écouter une bonne fois (…), voyons si sa parole est encore capable de nous toucher et de sortir de sa gangue historique et doctrinale ».

Christophe Rime

Informations et réservation : www.theatredusaulerieur.ch ou
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