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Le Poche-Genève
Genève : Au-delà de “L’Hiver“

Entretien avec Daniel Wolf, qui met en scène L’Hiver au Poche.

Article mis en ligne le octobre 2010
dernière modification le 14 octobre 2010

par Julien LAMBERT

L’Hiver de Jon Fosse, métaphore de la solitude humaine, se traverse au fil de trois rencontres microscopiques entre un homme et une femme. Trois moments de non-dits, de bribes, d’essais de dialogues qui évoquent cependant une rencontre du troisième type... Entretien avec le metteur en scène, Daniel Wolf, l’un des premiers en Suisse romande à s’attaquer à cette écriture très contemporaine.

Le texte de Jon Fosse est fait de phrases très brèves, tronquées, elliptiques... invite-t-il ainsi à une certaine abstraction, ou doit-on le considérer comme la face émergente de situations à reconstituer, au-delà des mots ?
C’est une machine à jouer faite par un auteur qui connaît bien la vie, qui métaphorise l’expérience humaine dans une autre dimension. Le texte demande bien sûr à être « rempli », il suit un chemin rigoureux qui doit être reconstitué et ne se prête sûrement pas à de nombreuses façons de faire.

Par son aspect lacunaire, il pose ainsi une énigme au metteur en scène...
Oui. Fosse me fait paradoxalement penser à Marivaux, dans son rapport au temps. Les personnages sont saisis dans ces moments cruciaux où leurs vies basculent. Fosse rentre dans le détail microscopique de ces moments où le destin, un trait de volonté ou de passivité, de vide, donne la petite chiquenaude nécessaire pour que tout bascule.

Quelle philosophie de l’existence reflète ce rapport particulier au temps ?
Le temps humain, dont les instants sont ainsi grossis, s’oppose à un autre temps, celui d’une mystique propre à l’auteur. L’ Hiver du titre métaphorise l’isolement, la nuit dans laquelle est plongée l’humanité. Mais il existe un au-delà, un monde de fusion et de lumière que l’amour seul permet, peut-être, de connaître et qu’il métaphorise en même temps. Il s’agit d’une recherche plus littéraire que philosophique, qui consiste à polariser l’ordinaire, les vicissitudes et contingences de ce monde et l’extraordinaire, la félicité, l’union qu’autorise l’autre. L’auteur y croit très sincèrement.

Jeanne De Mont
© Augustin Rebetez

Ces idées que les personnages peinent toujours à exprimer jusqu’au bout, cette écriture tronquée pourraient pourtant refléter un certain pessimisme...
Si certaines pièces de Fosse se referment en effet sur une contingence infranchissable, j’ai choisi celle-ci car elle laisse la porte ouverte à une conciliation des deux personnages. Ce procédé littéraire minimaliste qui réduit le lexique à des notions basiques ne signifie pas que les personnages ne peuvent rien se dire. Au contraire : le sens passe tout autant par une culture du silence, un morcellement qui donne son poids à chaque mot. D’abord très imbibé de théorie littéraire et hostile au théâtre, Fosse dit qu’avec l’écriture dramatique, il a fini par comprendre des choses qu’il n’arrivait pas à expliquer, qui échappent à l’emprisonnement par la parole.

Désignés dans le texte comme « l’homme » et « la femme », les personnages sont-ils aussi anonymes que ces noms le suggèrent ?
L’homme est un Monsieur tout-le-monde pourtant très défini dans ses obligations : il a un rendez-vous d’affaires, une épouse et des enfants l’attendent. En revanche la femme, dès son entrée « en tenue légère », en plein hiver dans un jardin public, s’annonce comme une énigme. C’est une apparition, une sorte d’ange venu de cet ailleurs dont je parlais. Elle lance ainsi l’action de la pièce par une vision assez folle, puisqu’elle désigne cet inconnu en lui disant « je suis ta femme ». Et non « je suis ta nana » comme dans la traduction publiée en français, expression qui fait d’elle un fragment du féminin, alors que Fosse et son personnage masculin projètent sur elle des identités multiples, des fantasmes masculins que nous essayons de décliner par le costume.

Comment s’est fait votre choix des comédiens, Jeanne de Mont et David Gobet ?
Les metteurs en scène recherchent souvent pour cette pièce une différence d’âge entre eux, qui suggère une fascination pour une jolie jeune femme, ou l’hypnose d’une vieille prostituée décatie. Mais en faisant lire parmi d’autres ces comédiens-ci, d’âges équivalents, et en trouvant qu’ils étaient pratiquement les seuls à savoir lire ce type très particulier de langue, je me suis rendu compte qu’il valait mieux ne trouver aucun défaut aux personnages, aucune explication facile à leur dérive de la vie ordinaire. Avec d’autres acteurs, la mise en scène serait toute différente.

Comment se passe un travail en aussi petit comité, sur un texte d’autant plus intime ?
Seule l’expérimentation sur scène permet de découvrir collectivement, d’objectiver ce que recèle le texte. Quand l’auteur est aussi bon, il est inutile pour le metteur en scène de prévoir des placements ou des schémas, et l’acteur n’a pas besoin d’exploiter son imaginaire pour compléter. C’est un travail astreignant et merveilleux de découverte, qui permet de saisir peu à peu le poids réel de ces répliques laconiques, en voyant comment elles appellent à réagir le comédien qui les reçoit.

Propos recueillis par Julien Lambert

Du 18 octobre au 14 novembre, tlj sauf mardi. 022 310 37 59.