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La Comédie de Genève
Genève : “Au bout du rouleau“

Marion Pulver évoque sa pièce Au bout du rouleau, mise en scène à La Comédie sous la direction de Daniel Wolf.

Article mis en ligne le février 2009
dernière modification le 19 mars 2009

par Bertrand TAPPOLET

« Je n’ai plus d’amis, parce que je les ai tous dévorés. Mon carnet
d’adresses est un ossuaire
 », écrit la dramaturge Manon Pulver dans ce
traité d’affinités problématiques qu’est sa pièce Au bout du rouleau.

Sous la direction de Daniel Wolf, ce mano a mano confronte, dans un salon de coiffure en libre service, une femme de tête à l’apparence bétonnée qui vacillera néanmoins à l’heure de l’affrontement (Pascale Vachoux) à un être forclos dans le déni de soi et la provocation clownesque désespérée. Balancé entre Claire Bretécher et Christine Angot, ce personnage tourmenté, incarné par Claude-Inga Barbey, est une dépressive chronique, hypocondriaque. Elle s’autoconsumme dans le martyr théâtralisé de soi.

Plastique de l’ennemie
Comédie de l’épuisement, cet opus nous dit aussi qu’un écrivain écrit parce qu’il a lu, vu et parce qu’il a aimé. Il le fait dans un berceau tressé par ceux d’avant. Il les écoute, leur parle, il flotte dans le courant. Manon Pulver rappelle que dès l’ouverture, vers 1900, des premiers instituts de beauté et jusqu’à nos jours, avec le règne actuel de la série américaine Nip/Tuck qui se déroule dans l’univers impitoyable de la chirurgie esthétique, le corps de la femme est soumis aux aléas d’un triple régime cosmétique, diététique et plastique. À l’heure de la virtualité généralisée, c’est toute la notion de co-présence à l’autre qui est mise en question et subvertie. « Veux–tu être mon amie ? Cette invite est l’un des leitmotivs des sites de rencontres ou de location d’amis en ligne, des plateformes d’agora ou de réseautage social style Myspace et Second Life, simulation virtuelle, permettant de vivre une "seconde vie" sous la forme d’un avatar dans un univers géré par les joueurs, alors qu’il semble devenir toujours plus ardu de se faire des amis dans la vie réelle », précise Manon Pulver. Rencontre.

« Au bout du rouleau » de Marion Pulver, avec Pascale Vachoux et Claude-Inga Barbey
Photo © Carole Parodi

Vous abordez la consumation de l’autre dans la relation…
M. P. : La consumation, le burn out, se brûler dans les relations, c’est peut-être une pente plus empruntée par les femmes. Pour le meilleur et le pire. A contrario, cette pièce est une invitation à une plus grande distance. Je suis partie de l’idée de Barthes qui nous suggère qu’une scène n’a pas forcément de raison, mais une origine. Si la scène des protagonistes est dénuée de raison, elles se la font néanmoins. Car il y a là, en arrière plan, tout un poids dont on essaie de se libérer.
Généralement, la réconciliation permet d’aboutir à ce processus. Or, ici, elle n’existe pas.
Si j’ai choisi l’absence de déterminant pour les personnages, c’est dans la volonté d’entrer davantage dans l’esprit, la parole. La pièce est aussi la confrontation avec ce paradoxe propre à la parole qui à la fois libère et emprisonne. Il y ce double mouvement : formuler, parler peut être une délivrance. Mais aussi un piège. De cette course entre le temps de libération et l’empêtrement de la chute résulte cet opus qui interroge ce que le langage produit en nous.

Le corps est aussi burlesque dans votre écriture.
Il y a parfois des incises, des clins d’œil involontaires au boulevard. Cette production machinale, mécanique du rire m’a toujours fascinée comme l’essence d’un certain théâtre. D’où l’importance que l’échange ne soit pas seulement un dialogue très posé, mais aussi celui de nos contradictions entre pensée et corps, celle de nos vies. Le corps devient le piège de toutes les apparences souhaitées, un désir devenu la grande histoire des deux femmes. Comment faire avec ce corps qui se dégrade, vieillit, change ? Ce qui est la grande interrogation pour les actrices en particulier. Toute comédienne est très cruellement confrontée à la problématique de se voir changer. Et de devoir appréhender les métamorphoses de son corps et de sa parole.

Vous dépeignez des femmes au mitan de leur vie, entre 45 et 60 ans, forme de mid-life crisis prolongée.
Ce sont effectivement des années tournantes, de maturité difficile. Mais aussi d’une idée de dernière ligne droite, emblématique d’une période dangereuse et passionnante. Si tout semble encore possible, on ne peut plus mordre dans la vie comme on pouvait le faire à 20 ans. C’est un âge de négociation avec soi et avec les autres qui peut être très cruel.

L’espace peut ramener au jardin intime du XVIIIe siècle, au salon de la comédie de mœurs, à des lieux symptomatiques du vaudeville. Un espace face au miroir avec un dialogue à vertu monologique.
À mes yeux, le salon de coiffure est un espace d’une grande théâtralité pourvu d’une métaphore théâtrale. C’est un lieu sécurisé de passage où l’on passe peu ou prou le même temps que dans un théâtre. On est aussi projeté dans une sorte de mise en scène de soi, de rétablissement de soi. Il y a un coiffeur qui est un public. Lorsque l’on nous enlève ce public, que se passe-t-il dans un salon de coiffure ou un théâtre ? Que se déroule-t-il lorsque l’on enlève le renvoi de l’autre ? Qu’est-ce qui surgit alors lorsque l’on n’a pas cette fonction d’écoute et de renvoi ? C’est la question que je me suis posée.

Propos recueillis par Bertrand Tappolet

La Comédie de Genève. Du 17 au 28 février 2009
Rés. : 022 320 50 01