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Théâtre du Châtelard à Ferney-Voltaire
Ferney-Voltaire : Lessing et “Les Juifs“

Une création à Ferney-Voltaire.

Article mis en ligne le 1er avril 2011
dernière modification le 24 novembre 2011

par Frank FREDENRICH

Alors qu’à une époque pas si lointaine le répertoire des théâtres francophones incluait volontiers des dramaturges allemands « classiques », cette ouverture vers la littérature allemande des XVIIIe et du début du XIXe semble être passée de mode.

Schiller et même Goethe, Kleist ou Büchner ne sont plus si souvent à l’affiche. Il en va de même de Gotthold Lessing dont Jacques Lassalle avait monté il y a un quart de siècle une fort belle Emilia Galotti, à la notable exception de Nathan le sage dont on trouve plus fréquemment des propositions de mises en scène, ainsi en 2009 à Lille. C’est cette même œuvre qu’Hervé Loichemol avait mise en scène au Théâtre de Carouge en 2005.

Tolérance
Cet intérêt pour la question juive, thématique essentielle de Nathan der Weise, se trouvait déjà dans Les Juifs que Lessing écrivit près de trois décennies plus tôt, sans doute sous l’influence du philosophe et mathématicien Moïse Mendelssohn – le grand-père du compositeur - figure marquante du judaïsme allemand qu’il connut et fréquenta. En tant que protagoniste reconnu de l’Aufklärung, cette version allemande de l’esprit des Lumières, Lessing ne pouvait être indifférent du point de vue humaniste et progressiste qui était le sien au problème dela tolérance dont il fit un thème récurrent dans son œuvre, et ce, principalement dans ses « tragédies bourgeoises » dont Emilia Galotti est peut-être l’exemple le plus accompli en abordant un autre thème lié à l’intolérance puisque touchant au statut de la femme, comme Schiller le fera une dizaine d’années plus tard avec Intrigue et amour.

« Les Juifs »
© Marc Vanappelghem

Hostile à toute forme d’intolérance, à tout préjugé de classe, de nationalité ou de religion, il peut être rapproché de son contemporain Diderot, et Goethe soulignait que « Lessing, conformément à son caractère batailleur, se tient de préférence dans le domaine des contradictions et du doute, (…) et en cela, il est magnifiquement servi par sa grande intelligence ». Et si ses œuvres ont encore une actualité et sont jouées régulièrement outre-Rhin, c’est peut-être parce que le contenu n’anticipe pas l’aspect de l’éveil nationaliste que l’on trouvera par la suite chez Kleist, Grabbe ou encore Fichte, Herder ou Schlegel.

L’histoire
Les Juifs est donc une comédie en un acte dans laquelle un jeune juif sauve un gentilhomme attaqué par des brigands. Invité par la famille du baron auquel il vient de sauver la vie, il est apprécié, mais une proposition de mariage suite à une idylle avec la fille du baron se heurte au fait que l’on apprend qu’il est juif. Écrite alors que l’auteur était âgé de vingt ans, cette pièce « sans antécédent et dont il n’y a pas d’autre exemple à cette époque, si ce n’est un peu plus tard avec Nathan le sage du même auteur » dénonce de manière exemplaire et originale l’antijudaïsme usuel à l’époque de Lessing. Le metteur en scène rappelle qu’elle a suscité une polémique au moment de sa publication puisqu’un théologien affirma que le sujet n’était pas vraisemblable puisqu’il était question d’un Juif généreux. Cette intervention dans l’esprit du temps valut une réponse de Moïse Mendelssohn ce qui eut pour conséquence une relation privilégiée dès ce moment avec le dramaturge.

« Les Juifs »
© Marc Vanappelghem

Outre la pertinence de ce sujet, l’intérêt qu’Hervé Loichemol porte à Lessing tient également au fait qu’il a inventé un nouveau genre théâtral, cette « comédie sérieuse » dont parle Diderot qui ouvre la voie à ce qui deviendra le drame, en rupture avec l’influence de la comédie classique française, fondant ainsi un style de théâtre allemand tourné vers le réalisme dont Büchner sera un des représentants.
Mettre en scène un tel projet implique forcément une réflexion sur une réalité historique plus contemporaine et c’est ainsi que la question de l’intégration et – ou – de l’assimilation sera mise en perspective non seulement avec des références à l’époque de Lessing, mais aussi en rapport avec l’Allemagne des années 1930. « Critique de la xénophobie et de l’intolérance écrite avec doigté et subtilité » selon Hervé Loichemol, cette pièce est un objet « rare » dont on peut supposer que la thématique reste parfaitement actuelle.

Frank Fredenrich

Au Théâtre du Châtelard à Ferney-Voltaire, 29 rue de Meyrin, jusqu’au 3 avril, du mardi au samedi à 20h, dim. 17h
rés. : marie.fortheatre@me.com, tél 00450 28 26 40