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A Vidy-Lausanne
Entretien : Valère Novarina

A vidy, Valère Novarina met en scène Le Monologue d’Adramélech.

Article mis en ligne le mars 2009
dernière modification le 29 mars 2009

par Frank DAYEN

Prolifique dramaturge et peintre, Valère Novarina a construit une œuvre très personnelle, en dehors des chemins balisés. Inclassable, il taille le verbe avec force, sans filet, et soumet son spectateur à un questionnement soutenu sur le langage et son utilisation. Vertige des mots.

« Je m’étais osé à écrire une lettre à Samuel Beckett, il y a longtemps, alors qu’il n’était pas encore très connu », se rappelle Novarina quand on lui parle du théâtre de l’absurde ou de ses personnages tombés sur scène d’on ne sait où. « J’ai gardé sa réponse amicale, laconique, incisive, qu’il termine par J’ai de plus en plus froid » Chercher le sens... La constatation ontologique de Becket serait-elle semblable à celle que Novarina lance à ses lecteurs-sepctateurs herméneutes ?
Après La Scène en 2003 à Vidy et L’acte inconnu il y a deux ans à la Comédie, Valère Novarina met en scène Le Monologue d’Adramélech, dit par Jean-Yves Michaux.

Qu’est-ce que c’est que ce machin ?
Novarina : (Rires) Il y a une vingtaine d’années, dans mon roman théâtral Le Babil des classes dangereuses, j’avais décidé d’écrire ce qui devait être à l’époque le plus long monologue du monde. Ce texte est effectivement un objet étrange, parce qu’au départ il était du texte divisé en plusieurs voix, puis il est devenu un monologue. Je l’ai ensuite extrait du reste du texte pour la radio, et André Marcon l’a monté au Théâtre de la Bastille en 1984. Aujourd’hui, je suis heureux qu’il reprenne vie à Vidy, parce que je l’avais écrit juste en face, au Col du Feu.

Qui est Adramélech ?

Le nom du personnage est formé d’Adra, Adam, et de l’hébreu mélech (malik en arabe), qui signifie roi. Ce qui fait d’Adramélech le roi, le roi du drame, celui d’Adam. D’ailleurs, une des phrases du début du Monologue, « Sire, je t’ai formé de limon », est empruntée à la phrase initiale du Jeu d’Adam (« jeu » est ici synonyme de « drame »), la première pièce de théâtre écrite en langue française. On m’a signalé récemment qu’Adramélech est aussi un nom de diable.

Ce « limon », et aussi une autre phrase du Monologue, « Je parle à celui qui me lorgnerait et m’épierait par la lunette », impliquent Dieu. Parce qu’Adramélech est en colère, ce personnage rejoindrait les héros beckettiens qui, même s’ils se résignent au silence, adressent indirectement des reproches à Dieu.
On ne trouve pas seulement cela chez Beckett, mais aussi dans la Bible : le livre de Job, ou les Psaumes. Effectivement, Dieu est interpelé dans la pièce. Il s’agit d’une harangue, parce qu’Adramélech est en colère (Novarina se souvient de Roger Blin, voulant monter Le Babil, qui, bègue, hésitait sur le mot « colère »). Adramélech est tout étonné d’être là, il est surpris d’exister. Si vous voulez, c’est son nom qui l’a créé, comme Adam. Adam devait lui aussi être en colère car, comme mon personnage, il était tombé de nulle part.

Comment montrez-vous cela dans votre drame ?
Ma mise en scène montre qu’Adramélech naît de figures peintes dans un grand atelier. Je peindrai les décors pendant les répétitions du spectacle, et Jean-Yves Michaux évoluera parmi ces œuvres. En effet, j’ai toujours comparé le travail d’acteur à celui d’un Picasso ou d’un Bacon, et je crois en la préséance de la peinture sur le théâtre. Le comédien est un animal qui fait l’homme ; il fait quelque chose à notre visage humain.

Matière et forme de vos textes, à quoi sert le langage ?
A nous perdre et à nous sauver. A nous perdre, parce que nous sommes toujours manipulés, et à nous sauver parce qu’il nous tire de n’importe quelle situation. Je me suis ainsi beaucoup intéressé aux dernières phrases des gens : le « Plus de lumière » de Goethe, le « Donnez-moi un cure-dent » de Jarry, j’utilise des épitaphes dans mes 11 Discours aux animaux (1987), je me nourris de devises, m’intéresse aux mots tatoués... Cela signifie. Un jour, dans un hôpital psychiatrique, après avoir lu un de mes textes à des gens bien malades, certains sont venus vers moi et m’ont interpelé : « Alors vous, ce que vous faites, c’est pas comme les autres écrivains, vous dites vraiment la réalité ! » Si donc vous appelez folie ce qui s’écarte du langage « normal », c’est peut-être bien ce que j’écris. D’ailleurs, certains passages du Monologue comme « Satanés marmillards de billons d’apparents ! Six cent quatre-vingt-dix mille millions de trillards de billions » sont influencés par l’artiste brut Wölfli.

La langue française est-elle toujours aussi différente de la langue romande ?
C’est une des questions que je me pose en ce moment. Je crois que le patois savoyard et la langue lacustre sont le même. En lisant Ramuz, j’entends des expressions de mon grand-père (« un petit bout d’affaire »), et que les Parisiens ne comprennent pas. Il y a chez Töpffer ou dans Le Livre de Blaise de Philippe Monnier (1904) quelque chose qui annonce déjà Cingria : une oralité, une spontanéité, une liberté et une authenticité à la fois. Qui sait encore que le mot « Piogre », repris dans Belle du Seigneur d’Albert Cohen, désigne Genève ? Je suis persuadé que le bassin lémanique constitue un bain linguistique particulier, avec une variété de sons extraordinaires qu’on ne retrouve nulle part ailleurs en francophonie. C’est fascinant, et c’est peut-être pour cela qu’il y a beaucoup de bons acteurs romands : le tiers des comédiens à Paris sont Suisses et, pour moi, cela vient de ce rapport particulier avec la langue romande.

Propos recueillis par Frank Dayen

« Le Monologue d’Adramélech » au Théâtre de Vidy, du 22 février au 5 mars, et du 24 mars au 2 avril ; www.vidy.ch ; rés. 021 619 45 45. La pièce paraît mi-février aux éditions P.O.L.