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Vidy-Lausanne
Entretien : Roland Vouilloz

Roland Vouilloz sera le Moche à Vidy dans la pièce du même nom mise en scène par Gianni Schneider.

Article mis en ligne le octobre 2008
dernière modification le 21 octobre 2008

par Nancy BRUCHEZ

Du 16 septembre au 12 octobre, le théâtre de Vidy propose Le moche du jeune auteur contemporain Marius von Mayenburg qui s’intéresse aux
thèmes actuels que sont l’esthétique, la beauté et le paraître. Dans le rôle du Moche, Roland Vouilloz, à la mise en scène Gianni Schneider.

Roland Vouilloz aime l’espace des répétitions. Il est donc très heureux à trois semaines de la première de nous livrer ses impressions issues de ce laboratoire. Les répétitions de l’après-midi ont été fructueuses. Dans l’écriture d’un seul bloc de la pièce de Mayenburg, une clé a été trouvée, une porte a pu être ouverte et quelques autres entrebâillées. Bel après-midi donc pour un passionné de théâtre qui définit son travail de comédien comme celui d’un raconteur d’histoires qui invitent à la réflexion. Avec Le moche, notre conteur est ravi. Metteur en scène, comédiens et spectateurs se doivent de trouver des réponses aux vraies questions que pose le texte… Roland Vouilloz a accepté de répondre avec affabilité aux nôtres.

Quelle a été votre réaction lorsque Gianni Schneider vous a proposé le rôle du Moche ?

Roland Vouilloz
© Mario Del Curto

Être comédien est une grande leçon d’humilité (il sourit) ! Plus sérieusement, lorsque Gianni Schneider m’a donné le texte de la pièce, sa lecture m’a touché. Comme j’avais déjà joué une pièce de Marius von Mayenburg, L’enfant froid, j’ai trouvé intéressant de suivre cet auteur. Son écriture me passionne. Il fait partie de ces auteurs qui produisent de formidables machines à jouer et qui donnent des défis aux metteurs en scène. Il a une écriture où lui-même ne résout pas tout. C’est en grande partie au metteur en scène et aux acteurs de trouver des solutions. C’est un immense cadeau. Il dit : «  Je vous donne un matériel, faites-en quelque chose.  » Ce qui me touche aussi, c’est que von Mayenburg est quelqu’un qui n’est pas éloigné du théâtre. A côté de l’écriture, il a un rôle de dramaturge, notamment à la Schaubühne de Berlin, et malgré sa jeunesse, on sent qu’il est allé sur le terrain, qu’il connaît le travail d’investigation, de laboratoire et ce qui se passe en répétition. C’est une grande richesse. On le ressent dans ce qu’il donne.
Dans cette pièce, il est très clair au départ. Il y a trois garçons et une fille. Un garçon traverse la pièce, Lette, le moche, les trois autres jouent deux personnages. Mayenburg s’amuse de ça. Il demande que les personnages, en particulier celui de Lette qui est laid au départ et qui devient super beau, ne change pas sur scène. C’est là la force de la pièce. Cela demande de la part des spectateurs tout un travail de regard différent. Regarder autrement, alors que dans l’instant de la représentation, on est confronté à la même image, voilà ce qui est proposé au public.

Est-ce difficile dans ces conditions de passer d’un rôle à l’autre ?
Il faut faire confiance au texte. Dans l’écriture, on sent très bien qu’à partir du moment où Lette est opéré, il y a un changement. Lui n’est pas forcément conscient de sa transformation. « Je ressemble à quelqu’un que j’envierai toujours », dit-il dans la pièce. Mais la métamorphose a lieu néanmoins. L’impact qu’il produit sur les gens, lui est finalement signalé par son environnement. Notamment cette vieille femme, directrice nymphomane, qui met le doigt sur son potentiel. Toute personne qui recourt à la chirurgie esthétique ne va pas changer fondamentalement, mais le regard des autres va induire un bouleversement, ce nouveau regard lui renvoie une nouvelle image.

« Le Moche »
photo de répétition

Le moche est une pièce sur le paraître, le pouvoir de la beauté et l’importance de l’apparence…
Oui, notamment dans le milieu du travail. Mayenburg dénonce quelque chose. Il écrit sur les choses qui l’énervent, le révoltent ou qui lui posent des questions auxquelles il ne peut pas répondre. C’est effectivement énervant de penser que pour obtenir un poste, on est avantagé si on est beau. C’est révoltant, mais c’est une réalité.
Il dénonce une certaine uniformisation des êtres qui m’effraie. De savoir qu’il y a un canon de beauté qu’il faut atteindre à tout prix pour exister me chagrine. Je ressens beaucoup de tristesse pour une personne qui a recours à la chirurgie esthétique, à moins qu’une grande douleur psychologique le justifie. L’être humain devrait s’assumer tel qu’il est, car la plus grande richesse possible est nos différences et le métissage de notre espèce. Lette lui-même hésite avant de passer sur le billard. Il demande conseil à sa femme qui, elle, le trouve très bien comme il est. Mais tel qu’il est, il est comme atrophié. A travers la chirurgie, il va découvrir autre chose qui l’ou-vre, mais ensuite il se perd, il sombre. Au bout du compte, il aimerait revenir en arrière, mais ce n’est plus possible. La dernière phrase de sa femme est terrible : « C’était quand même plus simple avant. »

Est-ce plus facile de se glisser dans l’écriture contemporaine ou dans des œuvres classiques ?
Depuis quelque temps, j’ai la chance d’alterner les deux, avec plutôt une préférence pour les textes contemporains. Dans un texte comme Le moche, il y a une matière qui m’intéresse. Le fait que cette pièce n’avait jamais été montée en français, qu’il s’agit d’un auteur important qui parle de thèmes d’aujourd’hui, c’est enthousiasmant. Avec des textes contemporains, on est toujours devant une montagne. L’intérêt chez Mayenburg réside dans le fait qu’il casse des codes dans son écriture, mais pas pour faire du genre. Il s’agit au contraire d’un acte de générosité qu’il fait au théâtre, au metteur en scène et aux acteurs. J’insiste sur le fait qu’on sent que l’auteur est dans le processus de création. J’aime le théâtre quand il est accessible. Il faut donner au spectateur une lecture du texte tout en laissant une place à la sienne.

La lecture de Gianni Schneider vous séduit-elle ?
Oui, car il sait où il va et ce qu’il veut. On navigue ensemble sur le même bateau, mais il aime construire le bateau. Je monte à bord de ce bateau avec confiance et avec ma connaissance des nœuds. Je me réjouis d’en apprendre d’autres. Il est ouvert au dialogue. Je travaille de plus en plus avec des metteurs en scène que je connais et j’apprécie le côté précieux d’une telle collaboration.

Propos recueillis par Nancy Bruchez

Location tél. 021/619.45.45