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Théâtre du Passage, Comédie de Genève et en tournée
Entretien : Robert Bouvier

Robert Bouvier met en scène Les Estivants de Gorki, spectacle qui partira en tournée.

Article mis en ligne le octobre 2008
dernière modification le 21 octobre 2008

par Julien LAMBERT

Quinze comédiens pour autant de petit-bourgeois, autant d’aspirations déçues ou à rêver : Robert Bouvier a tout pour faire des Estivants de Gorki un miroir multiple de nos hypocrisies et de nos détresses. Entretien.

Que gardez-vous de la dimension sociale de l’œuvre de Gorki ?
Quand il écrit Les Estivants, Gorki a déjà fait des pièces à message, mais n’a pas encore été récupéré par la propagande. Bien que je sois touché par sa vie mouvementée à la découverte des travailleurs pauvres, ou la façon dont il s’est laissé embobiner pour servir son peuple, j’ai beaucoup de défiance dans le salut de la société par la politique. C’est justement pourquoi j’aime cette pièce qui montre surtout des gens perdus, écartés de la classe dont ils sont issus et habitués à leur petit mode de fonctionnement bourgeois. Pris par leur quotidien, ils regrettent de ne pouvoir ressembler à ceux qu’ils voulaient devenir, mais veulent malgré tout sauver leur part de soleil.
Dans mes précédentes mises en scène, j’ai toujours été attiré par des personnages héroïques, qui essaient de donner du courage aux gens, emportés par leur foi, en la politique pour Lorenzaccio, en Dieu pour François d’Assise, en la philosophie pour Alexandre Jollien. Or ce n’est pas la littérature qui va aider les deux écrivains de la pièce, presque tous se défient de la politique et les histoires d’amour sont ratées.

Une situation qui reproduit celle des soixante-huitards embourgeoisés…
Oui, Les Estivants sont comme nous gênés par nos richesses matérielles face aux malheurs du monde. C’est aussi une pièce sur le cap des quarante ans, qui concerne mes comédiens. Nous sommes tous confrontés à cette difficulté de rester dignes ou au désir de faire de grandes déclarations, malgré les petites compromissions du quotidien : le statut d’artiste en Suisse reste pourtant très confortable.

Actuellement de nombreux spectacles tentent avec un succès relatif cette critique des bobos… par les bobos.

Robert Bouvier

Je m’en méfie beaucoup, c’est pourquoi j’ai toujours monté des textes pour leur valeur littéraire et non pour me faire le porte-drapeau d’une cause. Tous les artistes d’avant-garde n’ont pas cette authenticité, ce souci aussi de s’adresser à un public. J’ai l’impression d’entendre tous les spectateurs à travers les personnages, qui se plaignent des décisions politiques, pris dans les mêmes pièges et contradictions. Mais si Gorki montre toute leur veulerie et leurs frustrations, il les adore aussi. Chaque acteur a envie de sauver son personnage, de le rendre humain et crédible. Je travaille plus sur les sentiments des gens que sur la propagande ou l’intellect. J’ai donc enlevé des propos trop moralisateurs. Le spleen d’une mère débordée ou les personnages de comédiens mécontents de leur rôle me touchent plus qu’un discours plus politique.

Pourquoi avoir demandé une nouvelle traduction à André Markowicz ?
D’autres sont plus fluides, mais la sienne passe mieux à la scène, étant soucieuse du rythme. On croit que le comédien réalise ce qu’il dit au moment où il le dit, cela donne au texte un autre éclat qu’un assemblage de vérités toutes faites.
Le phrasé, très proche de la littéralité du texte russe, reproduit le fil de la pensée, presque de manière confuse. Inexactitudes révélatrices et oralité du texte le rendent très vivant. Gorki a justement un sens des dialogues extraordinaire, il donne beaucoup d’indications détournées sur la psychologie des personnages, leurs désirs et contradictions. On comprend quand ils mentent, quand ils n’osent pas se dévoiler : ils parleront alors de l’air étouffant et pas de leur tristesse.

Quinze comédiens, c’est sûrement aussi difficile à réunir qu’à diriger… Surtout quand ils n’interviennent pas.
L’ampleur de la distribution m’avait déjà plu dans Lorenzaccio, Les Gloutons et Artemisia. Grâce à François Marin, j’ai d’ailleurs bénéficié du fonds Pro-Valais pour des productions qui engagent des acteurs du canton : la moitié de mes comédiens sont donc Valaisans.
Cela demande un subtil équilibre du plateau, beaucoup d’attention à l’influence de chacun, de chaque geste sur l’ensemble. Même s’il n’a pas la parole, un personnage peut raconter bien des choses par une attitude, une façon d’affronter un regard ou de se mettre à l’écart. La pièce parle ainsi beaucoup de l’autre, de la peur devant son regard. Si l’on est devenu l’ombre de soi-même c’est sa faute, mais peut-être nous sauvera-t-il. Ces êtres sont finalement très seuls dans une société qui fourmille de micro-événements, dans lesquels ils trompent leur ennui.

Propos recueillis par Julien Lambert


 Théâtre de Valère, Sion, 17 octobre (Rés. 027 323 45 61),
 Théâtre du Passage, Neuchâtel, du 23 au 26 octobre (032 717 79 07),
 Stadttheater, Berne le 6 novembre (031 329 52 52),
 Nuithonie, Villars-sur-Glâne, 8 novembre (026 350 11 00),
 Comédie de Genève, 18 au 29 novembre (022 320 50 01),
 Vidy-Lausanne du 2 au 18 décembre (021 619 45 45).

Saison 2008-2009


42 spectacles pour tous publics au Passage.
En ouverture de la saison, Les Estivants est le spectacle le plus plébiscité au Passage. « Un signe de reconnaissance dans un contexte tendu » selon Robert Bouvier, dont le deuxième spectacle local, La Pluie d’été de Marguerite Duras, inaugure un « compagnonnage » sur trois ans avec le metteur en scène Robert Sandoz, dont La Servante jouée durant vingt-quatre heures avait fait sensation. Woyzeck par Novicov et Kaïros par l’Alakran de Gómez Mata feront quant à eux circuler les publics neuchâtelois et yverdonnais.
Les têtes d’affiche sont aussi nombreuses, mais le directeur revendique leur exigence : Jean Rochefort dira des poèmes et Magali Noël s’inspire de Prévert, Vian et Queneau. Les textes de Mouawad et Melquiot témoignent de la présence des meilleures plumes contemporaines aux côtés de Shakespeare, Bernhard, ou de Rousseau sous la direction de Michel Raskine, récemment inaugurateur de Lagarce à la Comédie-Française.
Le festival Février des auteurs représente quant à lui « un beau geste pour que les gens soient conscients qu’il y a des auteurs à découvrir ici, pas seulement Frisch et Durrenmatt ». Enfin Bouvier ose le boulevard pour décembre, avec Panique au Plazza, afin de faire connaître des humoristes comme Thierry Meury ou Jean-Charles Simon « dans un autre registre que le one-man-show ».
Un Don Giovanni dirigé par Facundo Agudin augure d’une belle programmation d’opéra, comme Eau de Carolyn Carlson pour la danse.
J.L.