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Vidy-Lausanne
Entretien : René Zahnd

René Zahnd évoque la création à Vidy de sa pièce, Bab et Sane.

Article mis en ligne le 1er mai 2009
dernière modification le 15 juin 2009

par Frank FREDENRICH

Du 3 au 21 juin, Vidy-Lausanne programme Bab et Sane de René Zahnd, une création qui sera mise en scène par Jean-Yves Ruf. René Zahnd a bien voulu nous parler du processus de création du texte, et de la collaboration des
comédiens Habib Dembélé et Hassane Kouyaté qui en interpréteront les rôles principaux.

Bab et Sane a pour origine un fait divers...
Lorsque Habib Dembélé et Hassane Kouyaté m’ont demandé d’écrire un texte qu’ils pourraient jouer tous les deux, j’ai regardé du côté de ma boîte à idées. J’ai en effet, dans l’organisation labyrinthique de mes papiers, un endroit où je regroupe des coupures de presse, des notes hâtives, la trace d’événements qui d’une manière ou d’une autre m’impressionnent, en me disant qu’un jour j’en ferai peut-être une pièce ou autre chose. J’avais ainsi gardé quelques articles concernant la villa, forcément luxueuse, que Mobutu possédait sur les hauts de Lausanne. Au moment de sa destitution, deux gardiens résidaient encore dans cette propriété. A l’époque, le statut juridique des biens à l’étranger des dictateurs n’était pas du tout clair. A qui revenaient-ils ? La législation internationale n’était pas en place. Ces deux gardiens se retrouvaient donc dans une sorte de vertigineux ballotage : entourés de richesses qui ne leur appartenaient pas, ils n’avaient plus aucune légitimité de résider en Suisse, mais certainement pas intérêt à retourner dans leur pays. Cette situation a duré pas mal de temps... Et pour moi, là peut commencer le théâtre. Qu’ont-ils fait ? Que se sont-ils dit ? A quoi ont-ils joué dans le secret de cette maison ? Je dois encore préciser que je n’ai pas cherché à faire un texte documentaire. J’ai pris cette situation pour point de départ : elle a donné naissance à un suite de scènes qui frôlent l’absurde, où finit par se développer un jeu de pouvoir et de survie.

Est-ce le fait de connaître les comédiens choisis a eu une influence sur ce projet ?
Bien sûr ! Hassane et Habib sont mes frères d’Afrique. Le texte est écrit d’abord pour eux. Le titre lui-même est un clin d’œil ludique à leurs prénoms. Les répliques sont parsemées d’allusions qui nous ont fait beaucoup rire pendant les répétitions. Au-delà de ce côté amusant, il y a évidemment tout ce que sont ces deux hommes d’exception, tout ce que je connais d’eux en tant qu’êtres humains, mais aussi en tant qu’acteurs. Je peux dire qu’au moment d’écrire Bab et Sane, ils se trouvaient très souvent à mes côtés, j’entendais leurs voix, je testais leurs réactions, alors qu’en réalité nous nous sommes très peu vus durant ces dernières années.

Sont-ils intervenu au sujet du texte à un moment donné ?
A part ces présences imaginaires, en quelque sorte à leur insu, il n’y a pas eu de discussion de fond au cours de l’élaboration du texte. Parfois, si l’occasion se présentait, je leur disais où j’en étais. Je travaille beaucoup mes pièces, les reprenant de A à Z à plusieurs reprises, peut-être six, sept, huit fois sur des années. Ils ont donc eu entre les mains des versions successives, tout comme le metteur en scène d’ailleurs, avec qui le dialogue s’est intensifié au fur et à mesure qu’approchaient les répétitions.

Pourquoi avoir choisi Jean-Yves Ruf pour la mise en scène ?
On peut dire que la manière de monter ce projet est assez atypique. En général tout part d’un metteur en scène. Or, ici, tout est parti de deux acteurs et d’un auteur qui forment un trio d’amis. Nous étions d’accord, en gros, sur une sorte de portrait robot du metteur en scène qui conviendrait à notre projet. La vie a permis la rencontre avec Jean-Yves Ruf, qui a accepté d’entrer dans la danse avec beaucoup d’enthousiasme et de générosité. Je crois que tous, nous en sommes très heureux. Et comme il faut bien, ici ou là, placer un de ces adages qui font le sel de la sagesse africaine, le voici : « le hasard, c’est la volonté des dieux lorsqu’ils veulent rester anonymes ».

René Zahnd

Le spectacle a été répété en Afrique : dans quelles conditions ?
Hassane et Habib sont des figures majeures du théâtre de l’Afrique francophone. Il était impensable de ne pas intégrer d’emblée ce continent au processus de création. La thémathique, le côté light de la production, le statut des interprètes : tout plaidait en faveur de cela. Une période de répétition a donc été organisée à Bamako, en collaboration avec le Centre Culturel Français et avec le soutien de CultureFrance. Pour ponctuer cette première étape de travail, il y a eu une lecture publique faite au Mali, devant des centaines de spectateurs venus avant tout voir la mégastar de leur pays, Habib Dembelé, dit Guimba National. Les réactions nous ont permis d’avancer dans le travail, dans notre connaissance de cette matîère. Elles ont aussi soulevé des questions qui, à ce stade des répétitions, sont très fécondes.

Était-ce forcément une nécessité ?
Nous aurions sans doute pu débuter les répétitions à Lausanne ou à Paris. Mais commencer en Afrique a donné une impulsion profonde, loin d’être anodine. Comme il n’est pas anodin d’avoir fait fabriquer certains accessoires sur place. Tout cela n’est peut-être pas nécessaire, mais nous paraît fondamentalement juste.

A-t-il été joué là-bas ?
Pas encore, puisque la création du spectacle a lieu à Lausanne ! Mais le projet suscite un intérêt très vif partout où nous en parlons. Dans un premier temps, il y aura une tournée très intense en France et en Suisse, de novembre 2009 (reprise à Nanterre) à avril 2010. La tournée africaine devrait avoir lieu courant 2010.

Propos recueillis par Frank Fredenrich

Du 3 au 21 juin à Vidy-Lausanne, La Passerelle, mar à sam à 20h, dim à 18h, relâche lun et dim 7.6. (loc. 021/619.45.45)