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Théâtre des amis, Genève
Entretien : Raoul Pastor

Le Théâtre des Amis termine la saison avec une pièce de Shakespeare, à voir jusqu’au 6 juin.

Article mis en ligne le mai 2010
dernière modification le 29 mai 2010

par Claire BRAWAND

La 15ème saison du Théâtre des amis ne pouvait finir plus en beauté. Dernier spectacle de l’année, Richard III de Shakespeare est à voir du 4 mai au 6 juin prochains dans une adaptation de Raoul Teuscher – qui jouera par ailleurs le rôle titre – et avec une distribution une fois de plus très prometteuse. La mise
en scène est signée Raoul Pastor, le maître de céans.

Interrogé sur les divers aspects de la pièce et sur l’avenir de son théâtre, Raoul Pastor nous livre ses impressions et ses réflexions. Entretien.

Pourquoi avoir choisi cette pièce de Shakespeare pour clore la saison ?
Il y a des pièces comme Richard III qu’on traîne un peu toute sa vie avec soi, et qu’il faut monter un jour ou l’autre. L’envie est là depuis très longtemps, l’intérêt aussi, c’est un matériel dramatique auquel on a envie de se confronter en tant que metteur en scène. Alors pourquoi précisément maintenant ? C’est une question de circonstances. Il faut trouver les bonnes personnes, pouvoir réunir l’équipe que l’on souhaite. Par ailleurs, il y a certains rôles, comme celui de Richard III, pour lesquels l’on doit avoir la personne que l’on veut avoir et personne d’autre. Je pense que pour Raoul Teuscher, c’est le bon âge, le bon moment dans sa carrière.

Qu’est-ce qui fait à vos yeux de cette pièce une œuvre extraordinaire ?
Richard III, c’est une de ces pièces qui recouvre pratiquement tout ce qui fait l’humanité. Il y a le thème du pouvoir, bien sûr, mais c’est également une œuvre sur la séduction, le charme animal, celui de la perversion ou encore le meurtre. Rien que des sentiments très jolis et très purs… Tout le problème de ce genre de pièce réside en ce qu’on ne les résout jamais. Je ne pense pas que l’on puisse dire : nous allons résoudre l’énigme Richard III. Il est impossible d’éclairer complètement une telle condensation de sentiments, de situations politiques, sociales, de rivalités, etc. On ne peut en donner qu’une version, et si au bout du compte on arrive à donner une clarté, une lumière, la sienne propre bien sûr, c’est déjà bien.

Raoul Pastor
© Isabelle Meister

Comment avez-vous abordé l’œuvre ? Quels aspects vous ont d’abord intéressés ?
J’ai d’abord beaucoup travaillé sur l’Histoire (avec un grand H). Il m’intéressait de savoir qui avait été ce Richard et pourquoi il était ce qu’il est. J’ai appris alors que Richard dans l’histoire, c’est finalement un type très bien ; avec des noirceurs, des zones obscures, comme tout le monde, mais en tout cas, ce n’est pas le personnage que présente Shakespeare. Mais l’auteur travaille naturellement en se basant sur les historiens Tudor, la dynastie qui arrive au pouvoir à la fin de la pièce, avec Richmond, et naturellement, ces historiens avaient tout intérêt, si ce n’est l’obligation, de noircir le personnage.

Il y a cependant des points communs entre la réalité et la version de Shakespeare ?
Oui, et ils sont très apparents. On peut en premier lieu citer la douleur de l’enfance malheureuse d’un être qui naît physiquement amoindri. Et puis, il y a le rapport au frère, qui est très important. Dans la fratrie, il y a Edouard, qui est au pouvoir à ce moment-là, et il y a Clarence. L’un meurt, l’autre il le tue. Ce sont des êtres que Richard a extraordinairement admirés dans sa vie. Dans l’histoire, il va jusqu’au bout, et c’est beaucoup plus complexe que dans la pièce. Mais chez Shakespeare, on peut dire que de l’amour immodéré à la haine, de l’admiration à la jalousie, ça va assez vite. Enfin, il y a le problème des femmes. Le rapport aux femmes de cet homme qui est un séducteur difforme. Il en vient, là aussi c’est la vie qui intervient, à user de la séduction comme une vengeance, thème donjuanesque, récurrent dans tout le théâtre. Chez lui, ça va jusqu’au cynisme de la consommation la plus pure.

Quel décor et quels costumes pour ce Richard III ?
J’ai eu l’idée d’une cage métallique, couleur gris et rouille, avec des échappatoires sur les côtés et une au fond de la scène. Sinon, rien si ce n’est deux monolithes noirs rectangulaires que les acteurs déplacent à leur gré et qui créent des espaces chaque fois différents. Un décor somme toute assez particulier. Quant aux costumes, que ce soit pour les hommes comme pour les femmes, qu’ils soient militaires ou civils, s’il fallait les dater, je les situerais dans une période qui m’est chère parce qu’elle est charnière : l’entre-deux guerres, les années 1920-30. C’est une période pour moi qui est suffisamment lointaine pour faire partie du passé et en même temps, elle est extrêmement moderne. C’est un mi-chemin qui ouvre toutes les possibilités à situer la pièce dans ce qu’elle a d’intéressant actuellement, sans pour autant aller jusqu’au hip hop contemporain.

Que pouvez-vous dire de l’adaptation de Teuscher, de son idée directrice ?
C’est une adaptation d’une certaine manière assez cinématographique pour un groupe réduit de comédiens. C’est-à-dire qu’il a travaillé sur une base qu’on pourrait qualifiée de plans-séquences, de tableaux. D’ailleurs, nous n’avons plus du tout tenu compte d’actes, mais pour nous, il y a 30 tableaux. Raoul Teuscher s’est amusé aussi parfois à intégrer à un moment de l’histoire, une situation qui se passe à un autre moment et qui arrive comme un flashback. Et ainsi de suite.

Le Théâtre des amis a fêté sa 15ème saison. Comment voyez-vous l’avenir ?
Vous savez, dans le théâtre, on est toujours dans une sorte de combat, une lutte permanente. Nous sommes un théâtre municipal, notre statut est fragile. Alors chaque jour, chaque mois, on négocie, on essaie de trouver de solutions, je fais beaucoup de politique, je vais expliquer pourquoi cette maison est importante. Alors comment je vois l’avenir ? Je suis dans l’espoir parce que je suis conscient que la commune de Carouge ne tient pas du tout à ce que ce théâtre disparaisse. Mais je ne sais pas, tout peut arriver. On est sans arrêt dans la fragilité.

Propos recueillis par Claire Brawand

« Richard III » de Shakespeare. Au Théâtre des Amis à Carouge, du 4 mai au 6 juin.
Tél : 022 342 28 74