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La Comédie de Genève
Entretien : Oskar Gomez-Mata

Oskar Gomez-Mata évoque le processus d’élaboration de ses créations.

Article mis en ligne le décembre 2008
dernière modification le 3 janvier 2009

par Jérôme ZANETTA

Du 15 au 25 janvier prochain, il s’agira de trouver le bon moment pour participer au Kaïros de la Compagnie L’Alakran ! En effet, le maître à jouer et à penser Oskar Gomez Mata nous incite à agir « juste avant la catastrophe ». Chacun se doit de saisir le moment opportun, celui de toutes les réalités, de tous les ins-temps, de tous les espaces, en somme, vers l’immédiateté du théâtre. Entretien.

Oskar Gomez Mata et L’Alakran poursuivent leur quête du sens, au-delà du bien et du mal, et les raisons de notre être là par le truchement d’un théâtre engagé et toujours ludique qui souhaite convoquer le spectateur et lui rappeler qu’il est un acteur décisif de son propre devenir. Il peut agir hic et nunc, saisir le Kaïros que les Grecs représentaient comme un éphèbe aux pieds ailés, coiffé d’une houppette qu’il fallait attraper au vol, au bon moment, dans l’instant présent. Geste apparemment simple, mais qui semble plus difficile à effectuer dans un monde où nombre d’entre nous se laissent aller au confort aveuglant de la routine, hypnotisés comme des zombies entre la vie et la mort, comme des sisyphes inscrits dans un rituel abrutissant. C’est justement par une redéfinition du rituel théâtral que chacun pourra peut-être prendre conscience de ces redoutables instants non exploités et de l’éphémère salutaire du théâtre qui se nourrit de l’instant présent. Dès son entrée dans le hall de la Comédie de Genève, le spectateur est interpellé par deux vidéos qui nous rappellent aussi qu’Oskar Gomez Mata élabore un geste théâtral d’où la dimension politique et sociale n’est jamais exclue.

Parlez-nous du processus de création nécessaire à chacun de vos spectacles qui relèvent à la fois du théâtre et de la performance.

Oskar Gomez-Mata
© Laurent Barlier

O.G.M. : Je souhaite en effet que la gestation de mes spectacles passe par des moments de réflexion différents. Sous le titre « Juste avant la catastrophe », nous avons, il y a quelques mois, mis en place une performance publique, avec comme point de départ une lecture du Yi-King et une mise en situation de ce texte qui nous a permis d’appréhender les réactions des spectateurs et de tester la plupart des matériaux scéniques et dramaturgiques. Lors de ces performances, le fil rouge du spectacle est déjà clairement défini. En l’occurrence, la question du Kaïros, de la conscience de l’instant et de l’inconscience ambiante se posait déjà. Et puis, certains dispositifs scéniques peuvent être éprouvés à ce moment-là : vidéos, photos, machines de toutes sortes. Même si je tiens à une scénographie évolutive et toujours décalée de l’image d’un théâtre plus traditionnel.

Le fait de vouloir très vite confronter votre travail au spectateur vous permet donc de trouver la meilleure façon de le présenter sur scène ?
Oui, ou si vous voulez, de mettre en place le bon dispositif pour impliquer le spectateur, avec cette idée de participer à un rituel, mais à un nouveau type de rituel, pour qu’il soit en activité permanente, en interaction avec la scène. Dans Kaïros, c’est sous la forme d’un jeu à quatre ; et ce n’est pas une mince affaire que de se mettre d’accord pour agir ensemble, à un moment donné ! Je favorise donc une dynamique chez les spectateurs qui doivent prendre position, décider, choisir. C’est un travail de la pensée, des sens, qui n’est pas fatigant et qui oblige à ne pas consommer un spectacle de plus, mais à agir sur lui et sur soi-même ! De fait, pour nous l’ambition partagée est de donner la pièce hic et nunc de la manière la plus juste, dans la réalité du moment. Il faut jouer chaque soir comme si c’était le moment propice. C’est la même pièce, mais toujours différente. Je crois que le théâtre peut ainsi nous rendre le vivant autrement, nous confronter à nous-mêmes et à une réalité multiple.

Ne pensez-vous pas que l’actualité des réalités que nous vivons, les multiples remises en questions, que les limites d’une certaine forme d’économie et de politique nous obligent à effectuer, favorisent un concept théâtral comme Kaïros ?
Sans doute est-ce en effet le bon moment pour aller à l’essentiel, pour se poser les bonnes questions. Il faut toujours se dire que le moyen de modifier les choses, leur cours actuel, cela passe par un changement de point de vue, de distance par rapport à elles ! Je crois aussi que le temps est un concept qui fonctionne en parallèle avec la coïncidence et qu’il ne répond pas à une dynamique de cause à effet. Il faut envisager l’existence d’une synchronie ; les choses ont lieu en même temps, même si nous ne sommes pas toujours aptes à les percevoir ainsi et à faire en sorte que tout devienne bon au bon moment. Le théâtre peut donc jouer ce rôle de réveil des perceptions et des consciences en décalant le point de vue de chacun. C’est une forme d’acte politique auquel je suis très attaché.

Ce discours semble donner à votre théâtre un caractère grave et sérieux, ce qu’il est au fond, mais qui se présente toujours sous une forme ludique et caustique.
Oui, car je crois que l’accès aux notions énoncées tout à l’heure doit être donné à chaque spectateur. L’humour est donc un élément important, ainsi que la volonté de ramener notre propos à des images efficaces et pratiques, pour donner un sentiment de concret et de légèreté à la fois. Encore une fois, le public ne doit pas être trop oppressé afin de pouvoir prendre position avec la distance nécessaire.

Ce doit être aussi un sacré défi à relever pour vos comédiens ! Quelles sont les qualités requises pour jouer dans un spectacle d’Oskar Gomez Mata ?
En somme, chaque comédien doit être à son tour un kaïros : oublier tout, se demander comment jouer, évoluer sur scène, pour rendre le moment présent, pour être ici et maintenant, donner cette sensation du réel au public. Cela demande beaucoup d’entraînement, une grande honnêteté envers soi-même, une capacité à jouer avec ses défauts et ses qualités, à pouvoir assumer totalement son discours. Il faut aussi continuer à s’amuser, à tenir compte du groupe, de l’autre, sur scène et dans la salle. C’est donc un jeu sur le fil, mais qui devrait être très gratifiant pour les comédiens et pour les spectateurs, bien entendu. J’aimerais que les comédiens atteignent un état de réconciliation, au-delà de tout conflit, de tout pouvoir, afin de pouvoir consciemment évaluer nos possibilités d’action.
Et ce qui est très excitant, c’est que notre façon de travailler selon ces principes du moment opportun va permettre de passer de l’autre côté, de créer un temps du possible, de tenter d’être toujours en mouvement afin que nous ne restions pas les témoins silencieux d’une catastrophe ambiante et toujours imminente.

Propos recueillis par Jérôme Zanetta

Location : 022/320.50.01, www.comedie.ch