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Théâtre de Carouge
Entretien : Laurence Calame

Laurence Calame assure la mise en scène de Troïlus et Cressida, pièce jouée en collaboration avec le Théâtre National de Serbie à Novi Sad.

Article mis en ligne le novembre 2006
dernière modification le 5 août 2007

par Rosine SCHAUTZ

Que devient l’amour au cœur de la guerre ? Faut-il choisir d’être infidèle pour vivre ? Deux questions que pose la pièce Troïlus et Cressida, dont certains épisodes ont aussi inspiré quelques auteurs des XIV et XVème siècles, comme Boccace ou Chaucer, avant Shakespeare.

L’armée grecque assiège depuis sept ans la ville de Troie. Chaque matin, les guerriers des deux camps partent au travail, se battent, s’entre-tuent ; chaque soir, vainqueurs et vaincus quittent leurs armures et s’occupent de leurs affaires, de leurs plaisirs. Troïlus et Cressida, tous deux Troyens, espèrent, comme leurs aînés, connaître l’amour, mais Cressida est envoyée dans le camp grec, échangée comme une marchandise lors d’une négociation entre les ennemis. Sans espoir aucun de construire son bonheur avec Troïlus, Cressida cède aux avances du Grec Diomède, et Troïlus, atrocement déçu, se lance corps et âme dans la bataille. Rencontre avec Laurence Calame, qui assure la mise en scène.

Pourquoi cette pièce, précisément aujourd’hui, et comment est née la collaboration avec Novi Sad ?
Les collaborations naissent de rencontres, d’envies réciproques. La Compagnie 03 a eu envie de travailler avec le Théâtre National de Serbie à Novi Sad, après avoir présenté Le Professionnel de Kovacevic. L’idée était de monter un spectacle qui réunirait des acteurs serbes et suisses. J’ai cherché assez longtemps un texte approprié. J’ai pensé, au début, adapter un roman serbe, car il y en a beaucoup qui parlent de plurilinguisme ou de migration. Mais plus j’y réfléchissais, plus je trouvais que cette « bonne idée » était insuffisante pour faire naître un vrai projet commun. J’y avais presque renoncé lorsque j’ai lu cette pièce de Shakespeare, qui n’est pas très connue, et dans laquelle les deux langues, le serbe et le français, pouvaient servir une lecture originale et pertinente.

« Troïlus et Cressida » (photo Miomir Polzovic)

Shakespeare est l’auteur de théâtre le plus complet, le plus dense, le plus profond ?
Shakespeare reste pour moi un auteur que j’ai l’impression de connaître, en tout cas de fréquenter depuis longtemps. Et je sais qu’avec lui je ne serai jamais à court d’imaginaire. Si une scène ou une réplique me pose problème, ce n’est pas une question d’écriture. C’est toujours parce que j’ai fait fausse route et que je dois retravailler la mise en scène. J’ai une confiance totale en Shakespeare.

On dit parfois que les langues cachent des silences et que c’est ce qui est difficile à traduire. Qu’en pensez-vous, vous qui êtes traductrice, adaptatrice, et comédienne ?
Dans sa version intégrale, cette pièce est une immense logorrhée. Shakespeare y développe chaque idée par une quantité d’images, de comparaisons et de redites poétiques. Il y a un foisonnement impressionnant de métaphores. Dans un premier temps, j’ai essayé de débroussailler et d’alléger le texte parce que je pense que le spectateur d’aujourd’hui n’a plus le temps, n’est plus apte à écouter cette langue. C’est peut-être possible d’emmener les spectateurs dans l’écoute de ce lyrisme, mais c’est une autre démarche et ça nécessite un travail de plus longue haleine. On ne monte pas un spectacle de cinq heures en six semaines, là, je ne me fais pas d’illusions… Donc, dans les choix qu’on fait, il y a des choix pragmatiques. Je voulais faire un grand spectacle, réunir beaucoup d’acteurs d’horizons différents, qu’il y ait une sorte de rouage complexe qui fonctionne bien, que la machine shakespearienne ne grippe pas, et je voulais raconter cette histoire d’amour et de trahison sans entamer l’intrigue. C’était ça, ma priorité. Alors j’ai dû faire des choix, couper dans l’épaisseur du texte. Il y a des choix très subjectifs dans cette adaptation, qui n’ont d’autre justification que de resserrer ou de clarifier le propos, pour que ce soit plus digeste. J’ai voulu faire un spectacle qui ne soit pas trop universitaire, mais qui puisse être suivi par des non shakespeariens…

Que reste-t-il de la Yougoslavie aujourd’hui ?
Il reste la langue, le serbo-croate, mais on essaie de la diversifier. Les Serbes sont en train de développer de plus en plus l’écriture cyrillique… C’est toujours un peu le même genre de problèmes… Il y a des blessures profondes, et les gens se rattrapent à une identité.
Il y a aussi les restes de l’ancien système socialiste où les théâtres étaient d’énormes institutions. Aujourd’hui encore à Novi Sad, ils sont plus de 600 employés, une boîte démesurée, mais qui ne peut plus tenir le coup, notamment avec les problèmes qu’a engendré la guerre, le morcellement des régions, la privatisation, la très grande inégalité des revenus entre ceux qui font des affaires et ceux qui sont restés salariés. Les employés du Théâtre National, par exemple, ne vivent plus de leurs salaires. Ils ont presque tous un deuxième job. On sent que c’est un pays en complète mutation. Mais… il reste le Danube et la musique !

Vous auriez envie de mener à bien des collaborations avec d’autres théâtres, dans d’autres pays, dans d’autres langues ?
Oui, j’aimerais beaucoup faire quelque chose avec l’Argentine, parce que l’espagnol est une langue que je connais bien, ce qui est tout de même plus agréable. C’est un projet que je mûris depuis longtemps. Je crois que c’est important de sortir de notre famille culturelle, et d’aller voir plus loin, ailleurs.

Vous auriez aimé rajouter quelque chose, soulever un autre point ?
Vous me prenez un peu au dépourvu, mais… oui. Que je suis très heureuse, vraiment, de la distribution de Cressida. C’est une jeune fille qui est encore étudiante en dernière année à l’Ecole de Théâtre. J’ai auditionné et regardé travailler les jeunes de l’Académie de Novi Sad, et j’ai été très impressionnée par le niveau d’exigence qui y régnait, et notamment par le talent et le professionnalisme de cette petite jeune fille de vingt ans.

Propos recueillis par Rosine Schautz

Troïlus et Cressida, Shakespeare, mise en scène de Laurence Calame, coproduction avec le Théâtre National de Novi Sad, spectacle bilingue en français et serbe avec surtitres serbes et français.
Du mardi 7 au dimanche 19 novembre au Théâtre de Carouge, salle François-Simon, ma-je-sa à 19h, me-ve à 20h, di à 17h, relâche lu (rés. 022/343.43.43)