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Théâtre Alchimic, Genève
Entretien : Julien Lambert

Le Théâtre Alchimic programme “Lorenzo“, une pièce de Julien Lambert.

Article mis en ligne le 1er avril 2009
dernière modification le 29 mars 2009

par Frank FREDENRICH

Du 17 mars au 5 avril, le Théâtre Alchimic présente une création du Genevois Julien Lambert, bien connu des lecteurs de Scènes Magazine pour ses analyses théâtrales. Cette pièce, mise en scène par l’auteur, est inspirée par Lorenzaccio de Musset, que Julien Lambert considère comme un chef-d’œuvre. Entretien.

Que dire de l’origine de la Compagnie ?
J.L. : A l’origine de cette première réalisation, il y a ma passion pour le théâtre bien sûr, que j’ai développée par un biais assez peu commun pour un metteur en scène : des études littéraires et le journalisme, dans Scènes Magazine et au Courrier. Mais il y a surtout la rencontre avec Richard Vachoux. Nos prédilections pour un théâtre très littéraire aujourd’hui déclassé, de Claudel à Giraudoux en passant par Vitrac, mais aussi notre conception commune d’un théâtre du verbe avec de fortes exigences dramaturgiques nous ont rassemblés dès la première rencontre. Alors que je me sentais déjà trop sûr de ce que je voulais voir ou ne plus voir sur scène, mais incapable de faire naître cela par moi-même en dirigeant des acteurs dont je n’ai pas le métier, il m’a convaincu de me « jeter à l’eau » en adaptant moi-même un texte. Ce travail littéraire nécessitant des choix qui vont dans le sens d’une « lecture » particulière de l’œuvre plus que d’une simple coupe, j’avais déjà entamé un geste de mise en scène : j’ai dû poursuivre !

Il est question dans ce projet de « relecture » de classiques, pourquoi ce premier travail porte-t-il sur cette pièce de Musset ?

Julien Lambert
© Miroslav Modev

Je considère Lorenzaccio comme un chef-d’œuvre de poésie, la langue de Musset y étant à l’apogée de son expressivité et de sa violence. C’est aussi un chef-d’œuvre de « théâtre », c’est-à-dire un prétexte permanent au jeu des corps et des mots, aux tensions et ambiguïtés entre des personnages pleins de sève mais aussi de mystère. Mais outre le besoin de se réapproprier un matériau ancien déjà maintes fois visité, la pièce de Musset, qui met un personnage fascinant aux prises avec ses contradictions et ses chimères, me semblait mettre ce fil essentiel en concurrence avec une intrigue révolutionnaire qui n’a (malheureusement) plus le même écho aujourd’hui.
J’ai donc choisi de faire ressurgir les profondeurs métaphysiques et émotionnelles du personnage, en les privant de l’enrobage contextuel et historique qui leur fournit une assise chez Musset. En résulte un montage de voix dense, fluide, qui fonctionne en échos et en collisions cinglantes de répliques plus qu’en dialogues. Lorenzo est seul face à lui-même, mais constamment déchiré entre des interlocuteurs conçus non plus comme des personnages, mais comme des émanations de sa conscience, de ses aspirations idéalistes, de ses fantasmes les plus obscurs.

Quelles sont les influences théâtrales assumées ?
Des gens qui empoignent réellement un texte pour le porter sur cet espace de révélation qu’est la scène. Avec une pléiade de moyens expressifs, mais sans céder un iota sur la vérité propre au texte. J’admire l’intelligence limpide d’un Jean Lermier comme celle d’un Frédéric Polier, les deux sachant illuminer chaque réplique d’un sens revivifié, dans des esthétiques différentes mais identiquement jouissives. J’aimerais aussi savoir accorder la confiance d’Olivier Py au magnétisme des mots purs, et alternativement à celui de corps muets nourris par l’entourage de ces mots. Qualité plus rare encore, de tels metteurs en scène savent esquiver l’ignoble mode de la « dérision », pour accorder un sérieux intégral aux textes les plus lyriques, aux personnages les plus romanesques. Comme ses frères que sont Don Juan, le Misanthrope, Hamlet ou Faust, Lorenzo ne doit pas être une exquise aberration romantique faite pour nous rassurer sur la « normalité » de nos vies, mais un être d’une prégnance insoutenable qui donne corps aux méandres les plus vertigineux de nos âmes.

Comment le spectateur d’aujourd’hui peut-il être touché par la problématique de ce Lorenzo ?
Nous avons tous en nous, comme le Lorenzo « habité » de mon adaptation, des voix qui nous disent que ceci est bien ou mal, noble ou médiocre, que nous sommes un génie ou un raté, même si nous résistons, comme lui, à l’appel troublant de ces valeurs. Nous nous demandons toujours ce que peuvent valoir nos vies aux yeux d’un possible spectateur universel, mais préservons souvent, comme lui, le secret espoir de transcender des décennies d’errance d’un seul coup de dague qui fasse de nous, pour nous, un héros. Ce n’est pas un hasard non plus si je réalise cette adaptation à 25 ans, comme Musset son Lorenzaccio : l’insolence et la sévérité de Lorenzo sont une « hygiène », comme dit Cocteau, que la jeunesse offre à un monde trop adulte, sans emportements.

Qu’en est-il du choix de la distribution ?
J’ai la chance inouïe d’être entouré par des acteurs comme Felipe Castro, Thomas Laubacher, Richard Vachoux et Josette Chanel, qui tous ont une vraie « gueule » de théâtre, belle et troublante, sculpturale, mais surtout des qualités de justesse de ton et d’attitude doublées d’un vrai pouvoir d’incarnation, pour ne pas dire de possession par le verbe. Je voulais aussi associer « vieux briscars » et jeunes talents pour faire parler ce texte qui ose la prétention de dire toute la vie en une heure de spectacle.

Propos recueillis par Frank Fredenrich

« Lorenzo », de Julien Lambert. Par la Cie Adulescence. Théâtre Alchimic, 10 rue industrielle (Acacias), du 17 mars au 5 avril, du mardi au vendredi à 20h30, samedi et dimanche à 19h. (Tél. 022 301 68 38).