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"Les Liaisons dangereuses" en Suisse romande
Entretien : Jean-Gabriel Chobaz
Article mis en ligne le février 2008
dernière modification le 30 janvier 2008

par Frank DAYEN

Après Rezvani, Duras, Sam Shepard, Schnitzler, Michel Tremblay ou, plus récemment, "La Société des loisirs" de François Archambault, la Compagnie Théâtre du Projecteur, fondée en 1984 par le Vaudois Jean-Gabriel Chobaz monte "Les Liaisons dangereuses". Dans la salle de répétition du Pulloff – "association sans but lucratif de metteurs en scène responsables d’une compagnie de théâtre professionnelle indépendante", Scènes rencontre Jean-Gabriel Chobaz, disponible et prodigue, yeux vifs derrière ses lunettes, cheveux poivre et sel un peu ébouriffés.

Quand tout cela a-t-il commencé ?
Chobaz : Il y a bien 10 ans que je veux monter cette pièce. Je l’avais oubliée un temps, et c’est très bien parce que j’approche désormais ce texte avec plus de maturité. Cela fait une année que je peaufine la présente mise en scène. Parce que monter le roman épistolaire de Laclos ne me semblait pas très passionnant, j’en ai visionné la plupart des adaptations à l’écran : de Josée Dayan (2003) aux "Liaisons dangereuses 1960" de Vadim (1959), en passant forcément par le film de Frears (1988). Je souhaitais vraiment donner vie aux deux personnages centraux et mettre en évidence deux trames. D’abord, l’intrigue de la marquise de Merteuil avec Valmont : leur trajectoire intime (elle libertine cultivée, lui don juan manipulateur), leurs victoires et leur décadence (quand ils sont ensemble, il sont le duo gagnant, mais, quand ils se séparent, ils commencent à perdre). Ensuite, leur jeu avec les autres, glacial, cinglant, sensuel, mais aussi le jeu avec eux-mêmes.

En quoi la pièce diffère-t-elle du roman ?
Hampton a forcément dû dynamiser la pièce en multipliant les répliques et se débarrasser de rhétorique superflue ou désuète. Si j’adapte Hampton, je ne perds cependant pas de vue le texte original du XVIIIe. Ainsi, la folie de Mme de Tourvel, présente dans le roman, ne figure pas dans la pièce. Dans son téléfilm, Josée Dayan garde également cela de Laclos. Chez Hampton comme chez Frears, le personnage meurt d’amour. Moi, je vais montrer son errance, sa démence.

Les liaisons dangereuses, avec Maria Perez et Gabriel Bazzichi, photo d’avant-première de Jean-Marie Almonte

Un des extraits musicaux de votre spectacle provient de la bande du film "Twin Peaks" de David Lynch (1992). Etes-vous, comme c’est le cas de la majorité des metteurs en scène de théâtre aujourd’hui, inspiré par son esthétique cinématographique ?
Lynch : bien sûr… mais en même temps Fellini, pour la déconstruction du récit. Il est difficile de rendre au théâtre cette atmosphère lynchienne proche de la folie, exagérée par un montage, des mouvements de caméra et des décors étranges. Cependant cette ambiance est tentante à essayer de restituer sur scène. Mon parti pris esthétique pourrait peut-être s’approcher de "Lost highway" (1997), par exemple, lorsque les images sont soutenues par les musiques de Rammstein. Dans "Les Liaisons", j’utilise de nombreux morceaux gothiques (Marilyn Manson, Malvoisie…). En outre, à travers les looks des personnages et leur maquillage s’esquisse une typologie : un style gothique pur pour la triade Merteuil, Valmont et Emilie (skaï, couleurs rouges et noires) ; un gothique japonisant pour les victimes Cécile et Danceny (privilégiant les blanc, beige, et les dentelles). Danceny évolue et, après avoir couché avec Merteuil, bascule dans le gothique du premier type. Le troisième groupe (Tourvel, Rosemonde, Mme de Volange) appartient plus à une mode proche des années 60, avec des robes très classe. Il y a forcément des raisons esthétiques derrière ces choix, beaucoup plus que l’illustration d’un côté malsain ou satanique. A propos d’esthétique, j’entretiens un rapport assez intime avec l’image et la composition picturale parce qu’avant de faire du théâtre, j’ai fait les arts et métiers : je voulais devenir peintre. Je me sentirais donc assez proche aussi d’un Peter Greenaway pour ce qui est de ma composition des plans/scènes.

Vous réservez un traitement réaliste à la psychologie de vos personnages.
Absolument. A une époque, mes mises en scène mettaient en avant, comme chez beaucoup d’autres, un sens critique, une conception brechtienne du théâtre, avec une distanciation des comédiens pour leurs personnages. Mais j’en suis aujourd’hui arrivé à quelque chose de plus vrai, de plus proche de la vérité. Je suis presque passé du côté de l’Actor’s Studio (avec des réserves quant à la méthode Stanislavski). J’ai un faible pour les pièces de théâtre américain (Sam Shepard, Tennessee Williams…) parce que, très bien écrites, elles vont très loin dans le développement des personnages, surtout les torturés – ceux incarnés par les Brando ou James Dean -, très bruts, très vrais. En cela, le théâtre américain est beaucoup plus naturel (voire naturaliste) que le théâtre français, trop parlé (dans le mauvais sens du terme), un peu "précieux". Le théâtre américain a su davantage exploiter les failles psychologiques des personnages que le nouveau théâtre français, trop consensuel. Prenez, "Mélo" d’Henry Bernstein, trop bavard, ou le théâtre de Yasmina Reza, trop "mondain".

Quelle serait votre touche personnelle dans cette mise en scène ?
Je travaille beaucoup la structure du texte, ses rythmes, parce que je trouve que, trop souvent au théâtre, le texte est balancé négligemment. Cela ne peut pas être beau. Ensuite, j’insiste sur le jeu avec les corps, que je dirige presque maniaquement. Il ne faut certes pas que les comédiens bougent tout le temps, mais quand ils doivent le faire, cela doit être très précis et hyper franc. Ma troupe en a l’habitude et grâce à la complicité des gens avec qui je travaille – et certains travaillent avec moi pour la dixième fois – je peux aller très vite à l’essentiel.

Propos recueillis par Frank Dayen

"Les Liaisons dangereuses" de Christopher Hampton d’après Choderlos de Laclos, par Jean –Gabriel Chobaz et la Compagnie du Théâtre du Projecteur,
au Théâtre Pulloff de Lausanne du 1er au 20 février (rés. 021 311 44 22),
au Théâtre de Beausobre de Morges le mer 5 mars,
au Théâtre du Château à Avanches le jeu 6 mars,
au Théâtre de Vevey le mer 12 mars,
au Théâtre Benno Besson d’Yverdon-les-Bains le jeu 13 mars,
au StadtTheater de Berne le ven 14 mars,
au Co2 de Bulle le sa 15 mars,
au Théâtre de Valère de Sion le mardi 18 mars,
au Théâtre Pitoëff de Genève du 4 au 20 avril.