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Le Poche, Genève
Entretien : Jean-Charles Fontana

Discussion avec Jean-Charles Fontana, qui égrène ses souvenirs de théâtre, évoque ses rencontres.

Article mis en ligne le avril 2009
dernière modification le 26 avril 2009

par Julien LAMBERT

Jean-Charles Fontana s’identifie étrangement avec le vieil homme impertinent qu’il interprétera dans Loin du bal de Valérie Poirier. L’univers glauque de l’EMS (Établissement Médico Social) n’affecte en rien le cœur de rocker du personnage, comme les rôles qui passent et ne se ressemblent pas pour le comédien. Discussion de terrasse, en piochant dans un cartable bourré de souvenirs.

Fonfon, rocker incorrigible du théâtre
J’ai septante ans et je n’ai jamais arrêté de jouer. C’est une religion pour moi. Ce que ça veut dire ? Que je suis à la messe tous les jours. Le théâtre me transporte. Quand j’habitais à Rome, je découpais dans l’Unità un billet de dix lires valable sur tous les spectacles romains. J’allais tous les soirs au théâtre, voir notamment l’extraordinaire Carmelo Bene.

Jean-Charles Fontana, cheveux blonds platine, n’est pas venu sur cette terrasse du Bourg-de-Four pour parler de lui, mais de théâtre. De ces centaines de « lui » qu’il a incarnés et qu’il présente avec un petit rire mutin, en extirpant photos et affiches d’un grand cartable à dessin. Les répliques s’y associent encore automatiquement.

Dans le Misanthrope avec Jean Piat, je joue Acaste qui dit : « voilà votre paquet Monsieur ». Et dans ce Labiche avec Vachoux je jouais un Sud-Américain qui arrive sur un cheval et dit en montant sur la table : « yai yamais vou oun cavallo dans oun saloon ».

Fontana évoque plus que le souvenir nostalgique d’une époque où le comédien pouvait vivre « sans carnet de chômage » et enchaîner en une soirée une pièce à la Comédie et la Revue, dans laquelle il a joué pendant dix ans. Cette floraison débridée de souvenirs et d’impressions, c’est la déclaration de foi kaléidoscopique d’un artiste dont la nature et la vie seraient magiquement restés en adéquation.

Jean-Charles Fontana dans « l’Ecole des maris », mise en scène de Benno Besson. Théâtre Vidy-Lausanne, 1985

Changer de rôle comme de maîtresse
Essayer de le faire démêler une trajectoire personnelle parmi tous ces rôles, c’est peine perdue. Ils s’accumulent dans une insatiable orgie de théâtre et de rencontres. La modestie l’emporte, autant que l’authenticité du comédien qui préfère jouer, « être » un personnage plutôt que d’en disserter.

Je suis amoureux du théâtre. Je peux donc changer de maîtresse mille fois ! Peu importe la pièce… Mais les metteurs en scène sont bien sûr importants. Chaque fois que j’en aborde un nouveau, je considère que je ne connais rien et que je dois tout apprendre. C’est un éternel recommencement : on ne peut pas arriver avec sa valise pleine de trucs et d’intonations. 

Un dévouement solidaire de la création de chacun, que les plus socialisants des metteurs en scène lui ont bien rendu.

Benno Besson avait dit qu’il aimait ma fidélité dans le travail et que j’avais l’esprit de troupe. Et Steiger aurait confessé que j’étais le comédien le plus fidèle dans le monde du théâtre. Il aurait dit des choses encore plus gentilles, mais qu’il ne fallait pas me répéter pour ne pas me faire rougir. 

L’ami de Marais
Au-delà des complicités artistiques, ce sont des aventures humaines que Fontana, Fonfon ou Charlie Brown suivant les intimes, a tissées avec les plus grands noms du théâtre francophone. Parmi les plus marquants : un autre mystique du théâtre, Richard Vachoux, mais aussi Bernard Bloch, Benno Besson, Hervé Loichemol, Gérard Carrat… avec un coup de cœur de jeunesse pour Jean Marais. Le comédien se rappelle encore avec un tremblement comment la Bête de scène avait accueilli le Beau jeune Fontana dans sa loge, en costume du Comte de Monte-Cristo. La lettre à en-tête de la Comédie-Française, mais surtout le charme fragile de la jeunesse aidant, voilà un des rares comédiens suisses du Conservatoire de Paris embarqué pour une tournée dans toute l’Europe avec La Machine infernale aux côtés de Jean Marais.

Il était magnifique. Il demandait qu’on soit tout le temps ensemble, pour déjeuner, dîner. On dormait avec son habilleuse dans une chambre avec porte communicante sur la sienne. Cocteau est venu nous voir et Jean Marais lui a dit : « Tu verras, c’est un ange ». Cocteau riait sans arrêt en se cachant derrière sa main, je trouvais ça très étrange. Aujourd’hui on sait tout quand on a vingt ans, mais en 1950, on était très ingénu. J’ai demandé : « Monsieur, pourquoi mettez-vous votre main comme ça quand je joue ? » Il m’a répondu : « Je vous vois tout nu sur un âne dans le désert, avec une grande cape noire ». Je n’ai jamais compris ce que ça voulait dire.

Cocteau lui signera encore une lettre pour l’exempter de service militaire en Algérie, en le sermonnant à sa manière : « Tu as tort de ne pas le faire, tu aurais pacifié l’Algérie ». 

Avec Besson comme avec les jeunes
Sur un plan strictement artistique, ce comédien qui n’a jamais voulu diriger lui-même, ne pouvait qu’être marqué par l’approche théâtrale d’un Benno Besson, avec lequel il a joué dans sept productions, dont la mémorable École des maris.

Il était supérieurement intelligent. Mais il fallait être attentif, parce qu’il donnait en même temps l’idée de la scène, la psychologie et le ton, puisqu’il travaillait à l’oreille. Il nous recommandait de ne pas apprendre nos textes, mais il valait mieux le faire : décor et mise en scène étaient prévus dès la première répétition ! 

Malgré un parfum d’amertume dans le ton, il se défend pourtant d’être nostalgique. Ses yeux pétillent quand il évoque les jeunes comédiennes qu’il « adore », Barbara Tobola ayant l’insigne honneur de trôner sur l’écran de son portable ! Il a d’ailleurs joué récemment encore avec intérêt dans les créations les plus contemporaines, dont Caligula avec Charles Berling ou La Folie d’Héraklès avec Bernard Meister, et préparé le rôle de Théramène pour la Phèdre dénudée de Claudia Bosse.

Jouer nu ne m’aurait pas posé problème, je l’ai fait dans Les Paravents avec Bloch, avec Novicov aussi je jouais le vieux cardinal entièrement nu, ainsi que le poète Jean Sénac pour Loichemol, un metteur en scène que j’aime profondément.

Le « vieux rocker »
Décidément, Fontana est resté ce gamin aux « cheveux blonds et longs » dont « Max Frisch riait beaucoup », lorsqu’il sortait de son trou de souffleur, pour débiter les didascalies d’une ironie assassine dans Jonas et son vétéran. Ou alors, ce pensionnaire d’EMS que Martine Paschoud lui fera jouer cette saison au Poche dans Loin du bal de Valérie Poirier, étrange adolescent attardé qu’il définit comme un « vieux rocker ».

J’en suis un moi-même dans l’âme, dans ma vie, mais ça ne sera pas si facile de le jouer. Je vais peut-être m’inspirer de ces vieux chanteurs qui imitent encore Elvis dans les boîtes à Paris. Ils ont une perruque, ils sont gros et c’est pathétique, comme mon personnage. Comme ces metteurs en scène brechtiens qui ont tenu des discours maoïstes en y croyant tellement. Mais les rockers savent que leur musique est bonne, au moins, alors que Staline était un assassin. 

Bien que l’on se prenne parfois à hésiter en entendant Fontana faire la voix du vieux rocker, ou s’enthousiasmer pour une réplique « fabuleuse », vie et rôle restent donc deux choses différentes. À moins que l’un ne soit le prolongement fantasmé et jubilatoire de l’autre…

Mon personnage adopte un jeune homme arrivé dans l’EMS à la recherche d’un père. Je me refuse d’y voir un signe d’homosexualité. C’est caricatural et comme je suis moi-même homosexuel, ça transparaîtra de toute manière. Il est plus intéressant de jouer autre chose. J’y vois plus un rapport pédagogique, le désir d’offrir ce qu’il aime et connaît, comme je pourrais moi-même vouloir transmettre à un jeune homme mon amour du théâtre. Mais il s’agit peut-être aussi d’un désir de paternité. Mon rocker n’a pas eu d’enfants et le regrette, comme beaucoup de gens qui ont vécu sans y songer.

Propos recueillis par Julien Lambert

Du 20 avril au 10 mai : LOIN DU BAL de Valérie Poirier, m.e.s. Martine Paschoud. Création. Le Poche-Genève, lun-ven à 20h30, mer-jeu-sam à 19h, dim à 17h, mar relâche (loc. 022/310.37.59)