Arts-Scènes
Slogan du site

Cinéma Danse Expositions Musique Opéra Spectacles Théâtre

Théâtre de l’Arsenic, Lausanne
Entretien : Dorian Rossel

Dorian Rossel adapte et réécrit La Maman et la Putain pour la scène.

Article mis en ligne le mars 2009
dernière modification le 29 mars 2009

par Bertrand TAPPOLET

La Maman et la Putain étonne encore de nos jours par sa thématique
décalée : alors que la société revendique une redéfinition des rapports amoureux, le film de Jean Eustache s’achève sur une très traditionnelle demande en mariage et montre la tristesse d’une certaine « liberté sexuelle ».

La tendresse, le plaisir, l’angoisse face à l’avortement, la folie, la liberté sexuelle, la souffrance jusqu’aux limites. Il y a tout cela dans l’adaptation et la réécriture pour la scène que Dorian Rossel réalise sous l’intitulé Je me mets au milieu, mais laissez-moi dormir.

Variations de la perception
Le couple, selon Eustache, fonctionne sur le cloisonnement des affects, l’étanchéité des désirs, les apparences encore sauves. L’amour, le désir y sont en fuite face à un idéal communautaire mis en crise. Le film devenu pièce pose sans cesse la question du personnage. Godard prétendait, un rien provocateur, qu’il n’y a pas de personnage au cinéma. Eustache et après lui Rohmer, son contemporain de la Nouvelle Vague, semblent répondre : « Puisqu’il n’y a pas de personnage, alors partons à sa recherche. » Et Eustache de bâtir cette figure de séducteur problématique en détruisant au fur et à mesure du récit les hypothèses sur lesquelles le spectateur avait crû pouvoir s’arrêter.
Dorian Rossel nous livre des créations sur la pensée et la perception du monde, qui sont deux des notions permettant de nous définir au mieux comme individu. Ses mises en scène s’attachent à ces affrontements de réalités subjectives, comment la vie peut-elle exister d’abord par les différentes interprétations que l’on en fait. Or l’art théâtral est sans doute un de ceux qui peuvent le plus aisément explorer ces questionnements. « Les films apprennent à vivre », lâche le héros Alexandre dans une éducation sentimentale rappelant par instants La Recherche du temps perdu de Proust.

« Je me mets au milieu mais laissez-moi dormir »

Je me mets… témoigne avec lucidité d’une certaine idéologie de la liberté sexuelle. Celle qui feint d’épouser la doxa amoureuse pour en dévoiler le caractère injonctif, répressif, pour en révéler les zones cachées, celles que l’aveuglement produit par des mots d’ordre interdisent de voir : le tourment et la douleur. Un film d’écorché vif pour que des personnages disent leur mal de vivre et leur difficulté à se trouver une nouvelle morale.

Comment adapte-t-on au théâtre La Maman et la putain ?
Dorian Rossel : On écoute les mots, on les essaye, on regarde à quel moment cela nous emble entrer en résonance avec notre époque. Comment faire que quelque chose de 1973 nous parle encore aujourd’hui. Je suis parti du scénario en restant très fidèle à l’écriture des mots tout en me distanciant de l’écriture cinématographique, hors quelques clins d’œil. 

Alexandre, jeune oisif, passe ses journées à lire et à discourir dans les cafés de Saint-Germain-des-Prés avant de rentrer le soir auprès de Marie, plus âgée que lui. Il lui ramène un soir Véronika, une infirmière un peu paumée et la vie à trois s’organise, en toute liberté.
C’est la question du choix. Comment avancer dans la vie ? Comment s’incarner, prendre place dans le monde ? Le protagoniste, vit et existe entre ces deux femmes, Marie et Véronika. Et surtout avec une troisième fille qu’il tente d’oublier. C’est aussi la dimension autobiographique de Jean Eustache qui m’intéressait. J’y vois notre époque, notre jeunesse d’aujourd’hui qui connait les mêmes difficultés. Il y a d’ailleurs cette phrase magnifique : « La révolution des moeurs, c’est du flanc. Et le fond des tabous demeure. »
Les acteurs de mai 68 appellent ainsi à remettre en question cette époque aujourd’hui, à questionner à nouveau cette période. Ils appellent à oublier mai 68 et arrêter la commémoration de cette époque et à questionner à nouveau les valeurs très fragiles de notre présent.

Comment s’inscrit ce film dans le cinéma de la Nouvelle Vague ?
À mon sens, il ne s’agit pas d’un film de la fin de la Nouvelle Vague. Il y a de la liberté dans cet opus. Et j’associe plutôt le mouvement de la Nouvelle Vague à la liberté, en dehors des conventions habituelles. J’essaie de prendre cette liberté pour affirmer une indépendance face à ce qui se fait au théâtre tout en m’écartant des vaines controverses sur ce qu’est ou devrait être le théâtre (la polémique autour du Théâtre du Grütli en est une illustration possible). Ce qui m’importe, c’est que l’art à avoir avec la liberté, la prise de parole, à se décaler par rapport à ce qui se fait habituellement. Comment les gens se positionnent. Quelle est leur manière de parler ? Nous devons ébranler cela.

Et la parole ?
C’est un spectacle sur l’épuisement de la parole, du discours. À un moment, il ne s’agit plus de parler les choses, mais de les vivre. C’est aussi d’une grande drôlerie. Eustache a dit qu’il a écrit ce film très vite pour dire tout haut l’inverse de ce que tout le monde dit. Il y a une fulgurance dans ce qu’il dit : l’envie de renverser les conventions. Des choses doivent être dites, juste pour signifier leur exact opposé. Ainsi l’un de mes amis a-t-il créé une journée sans poésie, ce qui a fait exister tous les autres jours de l’année comme potentiellement poétique.

Propos recueillis par Bertrand Tappolet

Théâtre de l’Arsenic, du 10 au 15 mars 2009
021 625 11 36