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Le Poche, Genève
Entretien : David Bauhofer

Quelques questions à David Bauhofer au sujet de sa mise en scène de l’œuvre de Olivier Chiacchiari.

Article mis en ligne le novembre 2006
dernière modification le 5 août 2007

par Eric EIGENMANN

Du 30 octobre au 26 novembre, Le Poche propose aux spectateurs une œuvre d’Olivier Chiacchiari intitulée La Mère et l’enfant se portent bien. La mise en scène est assurée par David Bauhofer. Entretien.

David Bauhofer, vous dirigez La Mère et l’enfant se portent bien d’Olivier Chiacchiari, mais vous êtes d’abord comédien, n’est-ce pas ?
Oui. Après ma formation à l’École supérieure d’Art dramatique de Genève, j’ai rejoint la troupe du Théâtre de l’Embellie dirigée par Philippe Hottier, jeune compagnie parisienne dont les aspirations artistiques se rapprochaient de l’esthétique du Théâtre du Soleil d’Ariane Mnouchkine. Cela m’a permis de découvrir Paris et de me confronter à l’univers particulier, presque en vase clos, du travail de troupe. Le passage à la mise en scène s’est fait, je dirais, naturellement, quand trois comédiennes m’ont demandé de les diriger dans le cadre d’une création théâtrale autour du thème de la croisière en mer. Ce spectacle, construit sur la base d’improvisations, s’intitulait Kir royal. J’ai enchaîné avec une autre création, Byzance divine ou le rêve capturé. Puis de fil en aiguille, je suis passé aux textes d’auteurs. Monsieur chasse ! de Feydeau a été le premier d’entre eux.
Mais je demeure comédien dans la mesure où quand j’indique une situation théâtrale, je la joue pour en éprouver la pertinence, parce qu’une image vaut mille mots.

David Bauhofer (photographie/copyright Isabelle Maurice

Est-ce que le travail de troupe reste pour vous un idéal, ou est-ce qu’il vaut mieux qu’une nouvelle équipe se constitue pour chaque projet ?
Même si l’homogénéité d’un travail de troupe est un atout indubitable en terme de qualité de production, je reste favorable à la constitution de distributions au coup par coup en fonction de la pièce à monter. Par ailleurs, il m’apparaît que les conditions financières garantissant la viabilité des compagnies à long terme ne sont pas réunies.

Vous avez quand même, disons, des fidélités avec un certain nombre de comédiens. Parlez-nous de ce travail à plus long terme.
Quand vous rencontrez des comédien(ne)s qui abordent leur travail dans les mêmes dispositions que vous, vous avez envie de poursuivre l’expérience en leur compagnie. Ce qui nous réunit avant tout, c’est le plaisir du jeu, l’envie de jouer qui procède, à mon sens, de la faculté ne pas se prendre au sérieux quand on raconte des choses sérieuses et de l’aptitude à donner forme à ses pensées dans le détachement de l’humour. La représentation théâtrale est fondée sur une illusion librement consentie entre le public et les acteurs, sur l’établissement d’une connivence, chacun des protagonistes feignant d’ignorer la présence de son vis-à-vis durant le temps complice de la représentation. Cette connivence respectueuse, malicieuse, autorise tous les débordements cathartiques, toutes les libertés d’imagination quand elle s’établit dans le cadre de la comédie, le but étant pour les acteurs de dispenser un égal bonheur à chacun des trois sens principaux (vision, audition, sensation) de l’auditoire.

Vous aimeriez monter une tragédie ?
Dans une certaine mesure, je dirais que j’aborde toujours une comédie sous son angle tragique. Je cherche à dénicher la zone d’ombre, l’aspect tragique d’un événement, d’un incident, d’un détail. Le rire que provoque une comédie révèle bien souvent la fragilité humaine de ses personnages. Dans le vaste champ de la comédie humaine, l’ego triomphe des convenances sociales, s’affranchit de toute valeur civique et considère l’autre comme un obstacle à sa progression. Dévoiler sur le plateau d’un théâtre les mécanismes de l’analphabétisme contemporain en matière de respect des valeurs et du territoire d’autrui me semble relever du devoir civique.

Et Olivier Chiacchiari ? Après Feydeau et les autres auteurs dont vous avez monté les pièces, où le situez-vous ? Où est la continuité, où est la rupture ?
J’ai rencontré Olivier Chiacchiari il y a quelques années. Il m’avait donné à lire une de ses pièces, La Cour des petits, qui a d’ailleurs fait partie de la programmation du Festival de La Bâtie de cette année. Le projet n’a pas pu se faire. Il m’a envoyé sa dernière pièce, La Mère et l’enfant se portent bien, que j’ai trouvée acide et drôlement dévastatrice. Son écriture est incisive, concise et sans fioritures. L’univers de la pièce n’est pas rose ! C’est le moins qu’on puisse dire. Son fil conducteur est le récit d’une maternité vécue du point de vue du père de famille, lequel est suivi psychologiquement afin de « refaire surface » après la naissance de son fils. Les thèmes abordés ? La poursuite effrénée du plaisir immédiat au détriment des projets de vie à long terme, l’implosion du couple pour cause de divergence des trajectoires personnelles, l’explosion de la cellule familiale en raison du décalage des valeurs entre les générations, les familles recomposées. La pièce est singulière à plus d’un titre ; par exemple, on ne sait jamais avec certitude dans quel temps de l’action on se trouve, et si ce que l’auteur nous narre n’est pas uniquement l’émanation du fantasme du personnage principal masculin. Enfin, la question lancinante qui sous-tend toute la pièce est : fonder un couple, pourquoi ?
Je reviens à la deuxième partie de votre question. Continuité ou rupture ? Je dirais qu’il y a continuité dans la mesure où Chiacchiari et Feydeau œuvrent dans le même genre théâtral : la comédie. Mais il y a rupture dans la forme narrative dès lors que La Mère et l’enfant se portent bien s’apparente à une comédie cinématographique dont le découpage des scènes est très proche d’un scénario de film et de ses exigences scénographiques.

La scénographie, venons-y. Les dimensions du Poche sont contraignantes.
C’est vrai, mais l’imagination se nourrit des contraintes. Avec Xavier Hool, le scénographe, nous travaillons sur l’idée de permutation d’éléments scéniques à emplois multiples. Cette pièce regorgeant de décors différents, il nous faut trouver le juste équilibre entre la profusion et l’économie de moyens dans l’espace restreint du Théâtre de Poche.

Propos recueillis par Éric Eigenmann

La Mère et l’enfant se portent bien au Poche Genève, Théâtre en Vieille-Ville, jusqu’au 26 novembre 2006
Réservations : 022 310 37 59