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Théâtre des Célestins, Lyon
Entretien : Claudia Stavisky et Patrick Penot

Entretien avec Claudia Stavisky et Patrick Penot, directeurs du Théâtre des Célestins de Lyon.

Article mis en ligne le février 2010
dernière modification le 23 février 2010

par Christine RAMEL

Vous dirigez le théâtre des Célestins à Lyon depuis bientôt dix ans… quel regard portez-vous sur son évolution et ses perspectives ?

Patrick Penot : Les Célestins ont largement renouvelé leur image et développé leur mission de théâtre d’art et de création de rayonnement national, largement ouvert à la scène internationale et à fort ancrage régional. Dans ce théâtre, 50 % des représentations sont des créations ou des coproductions, dont pour la plus grande partie de créations en France d’auteurs vivants (Enzo Cormann, Arnold Wesker, Roland Schimmelpfennig, David Harrower…). Nous partageons aussi largement nos moyens de production et de diffusion tant avec les compagnies qu’avec les institutions nationales comme régionales. Ainsi depuis 2001, nous avons accompagné le parcours de 10 compagnies régionales de Rhône-Alpes. Question fréquentation, nous avons répondu à notre mission de renouvellement et de rajeunissement des publics : avec 26 % de spectateurs de moins de 26 ans, le travail en direction des publics jeunes a porté ses fruits, et notre taux de fréquentation, avec 110 000 spectateurs, nous place derrière l’Odéon et la Comédie Française ! Inscrit désormais dans le circuit des théâtres publics et ancré dans le réseau national, avec une ouverture grandissante à la scène internationale, ce théâtre remplit de facto le cahier des charges d’un Centre dramatique national…

Claudia Stavisky et Patrick Penot.
Photo Christian Ganet

Vous signez une saison ouverte sur le monde : inaugurée par un nouveau festival de théâtre international première édition, elle se boucle en version française et bientôt russe… Quelle importance donnez-vous à la scène internationale ?

Claudia Stavisky : Nous sommes attachés à programmer de grands maîtres de la scène internationale (Ostermeier, Brook, Mouawad…), et à faire connaître nos productions à l’extérieur. Cette saison nous jouons Blackbird au Québec, en Suisse et en Belgique. Je vais créer Lorenzaccio, de Musset, sous un chapiteau ici à Lyon, ainsi que dans tout le département, et la saison prochaine au théâtre Maly à Saint-Pétersbourg, en russe. En septembre dernier, nous avons lancé la première édition d’un festival biennal international à Lyon et dans la métropole lyonnaise à travers des formes théâtrales de huit pays… C’est dans cette diversité et dans la façon de dire le monde d’aujourd’hui que repose l’inspiration du théâtre des Célestins.

Patrick Penot : Le festival Sens interdits est un des projets qui devait être présenté dans le cadre de Lyon 2013, Capitale culturelle européenne : il s’inscrit dans la problématique de la diversité en s’intéressant aux mémoires, aux identités et aux résistances, notamment au cœur du continent européen et de ses cultures. L’objectif du festival est d’inviter un "théâtre qui dit le monde". Dédié aux paroles en danger, sa première édition a partagé des "formes théâtrales d’urgence" avec huit compagnies venues de Russie, de Pologne, de Croatie, de Turquie ou encore d’Afghanistan. Jouant sur un propos politique, chaque troupe a effectué un travail de compréhension de sa propre histoire et de son propre processus politique dans son pays.
Ainsi le théâtre Aftaab de Kaboul, qui a vu le jour suite à un projet mené avec Ariane Mnouchkine : le Théâtre du Soleil s’est rendu à Kaboul pour donner des cours à des comédiens et des ateliers d’apprentissage pour des techniciens. Autour de cette rencontre est née la troupe qui est venue présenter le Tartuffe de Molière et une création collective, à Lyon mais aussi dans plusieurs théâtres de la région… Pour la prochaine édition en 2011, je peux déjà vous annoncer un nouveau partenariat avec Ariane Mnouchkine et la Cartoucherie, qui, s’appuyant sur cette expérience afghane, entreprennent un travail au Cambodge avec une troupe d’acteurs élevés dans des camps, où il sera question du génocide cambodgien…

Du 24 mars au 3 avril : « Bab et Sane » de René Zahnd, mise en scène de Jean Yves Ruf, avec Habib Dembélé et Hassane Kassi Kouyaté.
© Mario Del Curto

L’Europe tient-elle une place particulière dans cette ouverture aux autres cultures, et quel rôle jouent les langues ?

Claudia Stavisky : L’Europe est le meilleur territoire de théâtre ! Il y a un creuset de culture européenne : nous partageons un territoire commun, une histoire, un regard du point de vue culturel. La culture a toujours circulé, et il existe une très longue tradition de mettre en scène des auteurs européens.

Patrick Penot : C’est même le seul ensemble au monde de culture théâtrale ! La circulation des spectacles est, elle, plus récente, mais c’est une culture qui a changé ces quinze dernières années, et on peut dire qu’aujourd’hui la barrière est franchie. Le festival nous renseigne sur l’évolution possible des publics : les spectateurs ont besoin de se confronter aux réponses du monde, ils sont intéressés par ces questions.

Claudia Stavisky : D’ailleurs il est intéressant de voir que la question du surtitrage ne se pose plus. Avant le public des Célestins n’avait pas l’habitude de voir des spectacles en langue originale, aujourd’hui ce sont des spectacles plébiscités. Nous avons ouvert cette nouvelle année avec un Goldoni en italien par le Piccolo teatro, avant d’accueillir un Macbeth en anglais avec l’époustouflante compagnie anglaise de Declan Donnellan, qui revient à Lyon pour une version incandescente d’un des plus grands drames de Shakespeare dans la musique de sa langue originale (Macbeth, du 3 au 6 mars).
Quant au projet de Lorenzaccio en version russe, il est né de l’envie de poursuivre une relation au-delà d’un échange de spectacles avec Lev Dodine et sa troupe à Saint Petersbourg. Ce second volet marque, à l’occasion de l’année croisée France-Russie, la poursuite de notre collaboration avec le théâtre Maly, après l’accueil de Vie et destin de Vassily Grossman, l’an dernier.
C’est une histoire artistique qu’on a envie de tisser ensemble. Lorenzaccio n’a jamais créé en Russie. Pour moi c’est un rêve magnifique de langue et d’histoire, mais aussi un rêve de troupe. La pièce met en scène 60 personnages dans 45 lieux différents ! En règle générale, on la joue avec une vingtaine d’acteurs, il y en aura 17 sur la version française, 29 pour la création russe. C’est un immense honneur pour moi d’être invitée par le Maly Théâtre : en quarante ans d’existence, c’est la troisième fois qu’ils invitent un metteur en scène à travailler avec leur troupe en Russie !

« Blackbird » de David Harrower avec Léa Drucker et Maurice Bénichou
© C. Ganet

En tournée pour la troisième saison, Blackbird revient aux Célestins avant de repartir vers de nouveaux horizons. Comment expliquez-vous le succès de cette création ?

Claudia Stavisky : Blackbird gardera une place particulière dans l’histoire du Théâtre des Célestins. Abordant le sujet délicat d’une relation amoureuse entre un homme de quarante ans et une fille de douze ans, dans un huit-clos intense et imprévisible de bout en bout, David Harrower, l’auteur des Couteaux dans les poules, met en scène Una et Ray, quinze ans après que leur vie eut basculé.
J’ai découvert ce texte contemporain de cet auteur écossais de 45 ans, après sa création en 2005 au Festival international d’Edimbourg par Peter Stein. C’est une écriture extraordinaire, portée par Léa Drucker et Maurice Bénichou, qui se livrent à un face à face poignant et d’une violence sourde, où les mots, les failles, le sous-texte et les silences résonnent très fortement en écho à une question de société qui se pose à nous de manière aiguë… Après plus de cent représentations depuis sa création en 2008 aux Célestins, ce spectacle suscite les mêmes réactions, et bouleverse des gens très divers dans des villes de toutes tailles. Sa troisième saison de tournée l’emmène cette année au Canada, en Suisse, en Belgique…

Propos recueillis par Christine Ramel

« Blackbird », de David Harrower.
Mise en scène de Claudia Stavisky.

 A Annemasse, Château Rouge, le 2 février
 En Suisse à Yverdon-les-Bains, Théâtre Benno Besson, le 23 février
Pour en savoir plus : http://www.celestins-lyon.org