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A Fribourg et Delémont
En tournée : "Vous m’emmerdez Murphy !"

Si l’on en croit Camille Rebetez, la vie nuit gravement à la santé !

Article mis en ligne le novembre 2010
dernière modification le 12 décembre 2011

par Bertrand TAPPOLET

Le dramaturge Camille Rebetez offre dans Vous m’emmerdez Murphy !, pièce créée au TPR, un comprimé de vie contrariée. Qui sait nous dire que les ennuis font l’humain autant qu’ils le déstructurent.
Cette pièce a été créée par le Théâtre Extrapol en coproduction avec le Théâtre Populaire Romand et les SAT du Canton du Jura.

La loi de Murphy est un principe empirique énonçant que « si quelque chose peut mal tourner, alors cette chose finira infailliblement par mal tourner ». C’est donc une variante de la loi de l’emmerdement maximum qui veut qu’une tartine tombe toujours du côté de la confiture. Mais l’essentiel est ailleurs dans l’écriture palimpseste et polyphonique de Rebetez. Les individus ne peuvent prétendre se connaître un tant soit peu. L’incommunicabilité encore et toujours. De Nature morte avec œuf (2004), interrogation sur le monstrueux porté à la scène par Andrea Novicov au cœur d’une tournette à sa pièce d’interrogations enfantines à l’ère de twitter et de facebook, Les Chevaliers Jedi ont-ils un bouton sur le nez ? (2009), la petite musique du dramaturge s’entend à orchestrer le drame latent jusque dans la répétition stylistique et un brin formulaire du monde tel qu’il va. Elle nous ramène constamment au mystère de l’autre, celui que nous côtoyons et imaginons connaître, celui que nous jouons vis-à-vis d’autrui et de nous-mêmes et qui s’impose à nous, comme si nous nous attachions à démultiplier nos sphères d’existence au sein d’un monde désarticulé.

« Vous m’emmerdez Murphy  ! »

Le dramaturge dédouble dans Vous m’emmerdez Murphy !, le personnage de Clémence, véritable « paratonnerre à emmerdes ». Martine Corbaz incarne l’une des déclinaisons de la figure dissociée. « Elle peut être la Candide. Ou un clown, qui se ramasse des poisses, se prend la porte, souligne la comédienne. Il y a ici une dimension burlesque et éminemment théâtrale. La vie alentours s’en prend à elle. Et Clémence d’esquisser une stratégie d’évitement, de survie face aux accidents qui la touche en cascade. Peut-on continuer avec une existence si contrariée par le sort, le hasard ou les circonstances à accepter de prendre des risques ? Une autre Clémence est évoquée. Elle peut se rattacher à un petit monde quiet, ouaté. Où nul risque n’est empaumé. Toute créativité est alors abolie. Cette Clémence-là est aussi stéréotype. Qui nous met face à cette solution de forclusion dans les plis d’une société hypersécurisée et la questionne.  »

Voix et cœur en off
C’est d’une archéologie du quotidien, de ses couches de sédimentation dont témoigne la fable. Quoi de moins surprenant que l’un des protagonistes du récit évoque tant le capitaine du sous-marin de Vingt milles lieues sous les mers qu’Etienne Fernagut, qui anime La Ligne de cœur, l’émission phare de la RSR ? Au micro, ce journaliste baroudeur des âmes tourmentées recueille la détresse des Romands, apportant ersatz d’écoute empathique et réconfort aux esseulés, dessinant les contreforts d’une sorte d’immense Chœur compassionnel d’invisibles auditeurs. « Le rapport à cette émission se traduit scéniquement par tout un pan radiophonique ramenant à cette culture de l’intime en aveux confessions. Vers qui se tourne-t-on en cas de malchance ? Le téléphone ouvre sur la présence en voix off du Capitaine Farragut. On peut aussi pointer une sorte de Deus ex Machina en relation avec ce personnage de confesseur radiophonique. Comme à l’antique, le chœur est un pilier entre chaque scène, illustrant ce qui vient d’être raconté et annonçant la suite des événements. Ailleurs, il forme image, traduction scénique du récit et de ses enjeux. Pour déboucher sur le jeté de la tartine en scène, suscitant la disparition de certains éléments du chœur », souligne Martine Corbat.

« Vous m’emmerdez Murphy  ! »

Exil de soi
Retrouver la clé pour accéder au monde, non celui de la surface mais le lieu des profondeurs. A la manière de l’Alice de Lewis Carroll, on peut réaliser le chemin par le disruptif, l’accident. L’emmerdement si bien chanté par Aznavour serait-il une nouvelle manière d’être pleinement au monde ? Le personnage de Clémence s’interroge : 
« Comment c’est de maintenir son âme sous le niveau de la mer ? Sous les marées noires, à l’abri des incendies de forêts et, surtout, de ce genre de salauds fringués testostérone qu’on croise dans les escaliers et qui remarquent même pas qu’on existe ? Je peux venir, dis ? On sortira dans un emballage en plastique étanche au monde. Un scaphandre. » On retrouve ici comme un écho aux abysses animés de grande volutes voilées croisée au détour de la transposition scénique du précédent opus de Rebetez, Les Chevaliers…, questionnement sur les mythes communicationnels contemporains, ces artefacts de la téléprésence au monde portable qui ne peuvent obvier à la plus haute des solitudes.
Légèrement grave et gravement léger, Rebetez navigue entre irréel et vérité. Ses univers sont souvent, distordus, dissonants, saugrenus, perturbés, incongrus, fantasques mais justes. Vous m’emmerdez Murphy ! parvient à une sorte de dislocation poétique, d’innocence trash, de kitsch subversif ou de Journal de Bridget Jones déglingué, pop et proche d’un théâtre de l’absurde. Comme une interrogation incroyablement dérangeante au cœur d’une barbe-à-papa.

Bertrand Tappolet

Nouveau Monde, Fribourg, 12 et 13 novembre
St-Georges, Delémont, du 18 au 28 novembre