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A Meyrin et Vidy-Lausanne
En tournée : “Le petit Chaperon rouge“

Avec Le Petit Chaperon rouge, Joël Pommerat a détourné le conte de Perrault pour nous amèner dans les parages d’un jeu pour la survie.

Article mis en ligne le mai 2007
dernière modification le 22 juillet 2007

par Bertrand TAPPOLET

La 60e édition du Festival d’Avignon l’a prouvé, l’auteur et metteur en scène français Joël Pommerat sait comme nul autre convoquer l’étrange au cœur de l’intime. Son théâtre se joue d’imperceptibles décalages du regard, lesquels provoquent parfois l’étonnement, tant les êtres semblent flotter, glisser sur une réalité incertaine qui se joue du clair-obscur. Le réalisme se délite et laisse voie à une dimension d’un autre ordre.

En remontant dans les allées de la mémoire comme dans un rêve troublant et fascinant qui s’ébroue, Pommerat délie une écriture trouée de souffles obscurs tissant son art subtil, mortellement doux, de mettre en scène l’invisible, de conduire jusqu’à l’abîme des actants étranges d’un mystérieux rituel, où la folie retenue sourd au détour de chaque micro-mouvement. Au cœur de ces gestes contraints, dans leur démembrement même, leur fatrasie parfois épileptique, se lit l’inadéquation ontologique de personnages pris dans une géhenne, un séjour infini des morts qui tient de la camera oscura, de la chambre enténébrée. Dans cet univers désenchanté, c’est souvent à l’aube ou au crépuscule que tout semble basculer. Comme si les heures diurnes filaient dans une semi-pénombre, qui d’une scène à l’autre efface toute chose sitôt advenue. La peur a trouvé son atmosphère.

Le Petit Chaperon Rouge

Créé en juin 2004, Le Petit Chaperon rouge de Joël Pommerat n’a pas cessé depuis de se montrer sur les scènes francophones. Le détournement du conte de Perrault nous amène dans les parages d’un jeu pour la survie. "Je me souviens du récit que me faisait ma mère, quand j’étais enfant, du chemin qu’elle devait faire pour aller à l’école, explique le dramaturge. Petite fille, elle habitait dans une ferme et devait marcher chaque jour à peu près 9 km dans la campagne déserte. C’était normal me disait-elle, tous les enfants des fermes alentours faisaient comme moi. Quand j’étais enfant cette histoire m’impressionnait déjà. Elle m’impressionne encore plus aujourd’hui. Je m’imagine une petite fille avec son cartable, sous la pluie ou dans la neige, marcher sur les chemins, traverser un bois de sapins, affronter les chiens errants, des vents glacials. Quels parents aujourd’hui laisseraient partir son petit garçon ou sa petite fille de six ans comme ça, par tous les temps, la nuit, l’hiver, dans la campagne, pour un trajet aussi long, affronter seul la nature et la solitude ? "
Dans un espace épuré tendu de noir et hanté par de soyeuses lumières, ils sont trois interprètes à flotter pour ramener à la surface les bribes d’un archaïque récit tiré de l’époque médiévale, et qui fut ensuite comme édulcoré par Charles Perrault. Comme dans le fantastique, version Guillermo del Torro (Mimic), Night Shyamalan (Le Village) ou Philippe Grandrieux (Sombre dont le psychopathe est aussi montreur de marionnettes ambulant), le travail sur le son, habit et champ de profondeur anxiogène, en fait un personnage à part entière participant de l’alchimie scénique. Comme souvent dans les univers de Pommerat, l’angoisse suinte de la forclusion des êtres, de leur non co-présence avec l’autre. "Il était une fois une petite fille qui n’avait pas le droit de sortir de chez elle, ou alors à de très rares occasions, donc elle s’ennuyait, car elle n’avait ni frère ni sœur", entend-on. La petiote partage sa jeune existence avec une figure maternelle absente, qui semble lui enseigner la terreur en hurlant comme enfiévrée par la bête. La marâtre affectionne les trajectoires obsessionnelles avec de supposés talons hauts, dont le son se répercute entre martellement et claquement de lames de billot. Le spectateur découvrira qu’il ne s’agit que d’un son sans support, la comédienne se déplaçant tel un spectre sur des demi-pointes. Mais peut-on se révolter contre un inconscient ? Peut-on s’ériger contre l’imaginaire ? Le Petit Chaperon rouge répète inlassablement, judicieusement la trame essentielle de toute vie, de toute passion : amour et mort inlassablement, inexorablement enchevêtrés.

Peur rouge
L’ouverture est sidérante. Comme dans une scène de bunraku (marionnettes à fil, qui parlent par la bouche d’un récitant placé sur le côté du plateau), le narrateur assure les dialogues des deux interprètes mutiques alors que les rôles s’échangent dans un étrange ballet de la transmission. Il était donc une fois un récitant commentant de manière distanciée, presque absente, les rebondissements d’une intrigue que l’on croyait trop bien connaître. C’est une communauté qui réunit trois générations de femmes aux horizons dénuées d’hommes, mais rassemblées par les liens du sang. La même comédienne joue la Mère et le Loup tandis que l’autre se glisse sous les traits successifs du Petit Chaperon rouge et de la Grand-mère. Malgré ses grognements dignes d’une mythique bête du Gévaudan, le Loup tient de la convention avec masque attendu et voix embrumée par un voile de sang. "Le rapport à la nature ainsi qu’à l’animalité voire la bestialité me paraît essentielle, souligne Pommerat. La nature et l’animal dans ce qu’ils ont de dangereux, de mystérieux et d’imprévisible mais aussi dans ce qu’ils ont de beau et de merveilleux, d’envoûtant et désirable, c’est ce que je voudrais faire ressortir. Le rapport à la peur est primordial dans ce conte, et en général dans la vie d’un enfant. Selon moi, aborder la question de la peur avec les enfants, c’est aborder aussi l’autre versant de cette émotion qui est le désir. C’est aussi parler d’une initiation à la peur. Une maîtrise de cette émotion avant d’entrer dans le monde des adultes."

Ce que Pommerat cherche, c’est de lester la parole d’un poids, d’une présence. Il est fasciné par le vide, par ce qui résiste à la connaissance, ce qui échappe à toute lumière. Entre présence et absence, mémoire et oubli, le théâtre devient ici une envoûtante chorégraphie de corps marionnettiques et de mots pulsés. Un théâtre qui ravive les teintes d’un récit mythique ayant croisé la clef de songes forgée par un Bruno Bettelheim. Dans ce spectacle pour enfants petits et grands, le dramaturge a conçu sa version du conte gore, retraçant le trajet de la petite fille vers sa grand-mère et ferraillant avec les principes prédateurs de la nature et du règne animal. Le tragique est tout entier intérieur. Le spectateur est invité à se coltiner avec l’acte de résilience du chaperon, cette capacité à se développer en surmontant les chocs traumatiques, l’adversité, pour mieux s’attabler avec ses peurs les plus secrètes. Avec son sens presque forain d’un fantastique empli de menaces comme de promesses, Le Petit Chaperon rouge laisse la voie aux retrouvailles de chacun avec sa part troublée d’enfance, comme de ténèbres, dans un scénario qui n’a de cesse de décaler le programme anxiogène annoncé en le transfusant dans un dialogue faisant alterner plusieurs voix : le narrateur, la fillette, la mère grand et le loup à l’animalité chevillée au corps.

Bertrand Tappolet

Forum Meyrin, 8 et 9 mai. Rés. : 022 989 34 34
Théâtre de Vidy, Lausanne, du 29 mai au 24 juin. Rés : 021 619 45 45

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le site de Vidy-Lausanne