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Compagnie Pasquier-Rossier
En tournée : “Le Château"

La Compagnie Pasquier-Rossier adapte Le Château de Kafka, et le “promène“ en Suisse romande.

Article mis en ligne le novembre 2009
dernière modification le 7 décembre 2009

par Jérôme ZANETTA

Du 5 au 15 novembre, on peut découvrir l’adaptation du Château comme un moment de théâtre cathartique. À réentendre et à redécouvrir Kafka, on se dit une fois encore qu’il est véritablement indispensable et indissociable de notre temps. Intelligence suprême du roman inutile ? Fonctionnaire de l’absurde ? Farceur ? Tranquille employé d’assurances ? Amoureux transi ? Séducteur rusé ? Halluciné complet ? Analyste froid et lucide ?

Rendez-vous au Château
Kafka semble toujours en mouvement, bouge, s’évanouit, revient et illumine notre conscience. Lorsque la Compagnie Pasquier-Rossier se lance dans le projet fou d’adapter Le Château pour la scène, on comprend bien les raisons du désespoir de Kafka : la bêtise de toujours, indéracinable et pyramidale. Et puis l’histoire humaine, il trouve ça glauque, statique, vulgaire, lent et lourd, comme dans un mauvais rêve ! Donc, un sentiment d’incapacité, de paralysie, d’effondrement, une sensation d’être guetté en permanence, d’être victime d’un engrenage, d’une pesanteur malveillante. On n’y arrivera jamais, il neige, « il y a un but mais pas de chemin, ce que nous nommons chemin est hésitation  ». Quelqu’un de né pour la vitesse pur et condamné au métier d’arpenteur, c’est K. qui expérimente la puissance de mort engendré par le genre humain.

Risque stimulant
On mesure alors que l’ambition de Geneviève Pasquier et de Nicolas Rossier est aussi un risque stimulant et ici calculé. Et puis, n’oublions pas qu’il est aussi permis de rire parfois de tout cela. K. qui aurait reçu une convocation du Château, ne parvient pas à trouver le chemin qui y conduit et se retrouve prisonnier de l’absurdité bureaucratique, comme face à un monstre menaçant et affamé.

« Le Château »
© Virginie Otth

Et là, bien entendu, cela évoque une problématique tout actuelle, la situation paradoxale des travailleurs étrangers qu’on fait venir au pays avant de leur signifier qu’on n’a pas besoin d’eux, ou plus fondamentalement, l’impossibilité humaine d’aboutir, d’aller au bout de son désir. C’est Nicolas Rossier qui souligne. Il dit aussi que c’est à nous de trouver le chemin du château, d’insister, de fléchir, de recommencer, avant d’en rire !
Par conséquent, au centre, c’est la question de l’identité qui est ici posée par cette adaptation théâtrale, avec légèreté certes, mais pour mieux dénoncer les inextricables difficultés de la vie.
On le sait, la Compagnie Pasquier-Rossier a une prédilection pour les montages de textes non-théâtraux à tendance absurde. Et dans le cas précis, il s’est agi d’un travail de longue haleine. Le Château est apparu comme le texte le plus théâtral de Kafka. Sa matière est faite de nombreux dialogues, d’images et de descriptions suggestives. Nicolas Rossier insiste aussi sur le style, celui d’un auteur qui vit en étranger dans la langue allemande. Kafka renonce consciemment à la richesse lexicale pour aller vers le dénuement. Autant d’éléments qui donnent au montage de ce texte une liberté que l’on ne peut pas réellement éprouver face à une pièce de théâtre. Les metteurs en scène souhaitent délibérément réaliser un spectacle qui nous ressemble. Un résultat dépouillé, fait de dialogues directs et d’une voix narrative, qui privilégie les images et les ambiances pour mieux restituer toute l’étrangeté fertile de cette œuvre. Onze comédiens donc, quatre femmes et sept hommes, dont certains jouent plusieurs rôles.

« Le Château »
© Virginie Otth

Tension narrative
Une scénographie sobre, qui ne tente jamais de figurer le château et renforce ainsi l’idée d’inaccessibilité de cet édifice. Un décor de fausses perspectives mobiles, d’ouvertures qui enferment.
Et puis, afin que l’atmosphère soit définitivement kafkaïenne, Nicolas Rossier souligne toute l’importance de la lumière qui est là pour quadriller l’espace et afin de créer des ambiances contrastées d’extérieurs froids ou d’intérieurs chauds, entre lesquelles K. est sans cesse ballotté.
De même, musique et sons donnent une tension narrative qui sert la trame du spectacle et unifient la succession de courtes scènes qui forment le récit. Elle suit également les pensées intimes de K. comme l’écho de tourments intérieurs. Mais le metteur en scène dit que ces moyens scéniques simples laissent tout l’humour de cette pièce qui poussent nombre de situations à l’extrême et prêtent aussi à rire par le fait même des multiples décalages. Dans ce sens, l’obstination de K. est fascinante, il se sert d’arguments assez peu convaincants, il va devoir séduire une femme et aller jusqu’au bout, sans jamais renoncer. Le public réagit d’ailleurs sans attendre et prouve que dans un système aussi absurde, le rire même grinçant a sa place, qu’il est libérateur, mais révélateur des cauchemars qui peuplent les esprits.

D’après des propos recueillis par Jérôme Zanetta


 Théâtre de Valère, Sion, 3 novembre à 20h15 (rés. 027 323 45 61)
 Théâtre St Gervais, du 5 au 15 novembre (rés.022/ 908 20 20)
 Théâtre de Vevey, le 24 novembre à 19h30 (rés. 021 925 94 94)
 Théâtre de l’Arsenic, Lausanne, vendredi 27 novembre (rés. 021 625.11.36)