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En tournée : “La seconde surprise de l’amour “

Cette nouvelle mise en scène signée par Luc Bondy, avec des moments de théâtre incandescents, fera date dans l’histoire du théâtre.

Article mis en ligne le mars 2008
dernière modification le 22 mars 2008

par Régine KOPP

Revisiter les classiques est un exercice périlleux. Chacun de nous a en mémoire des mises en scène, les unes trop conventionnelles, les autres trop iconoclastes. Mais il existe aussi des moments de grâce, trop rares certes, lorsque le metteur en scène respecte le texte et magnifie la langue tout en proposant une interprétation contemporaine.

C’est le cas de cette nouvelle mise en scène signée par Luc Bondy, qui parle directement à l’esprit et aux cœurs de tous ces adolescents dont les sentiments amoureux traversent bien des détours, avant d’arriver au but. Avec des moments de théâtre incandescents, cette pièce fera date dans l’histoire du théâtre.

Lecture des ambiguïtés
La Seconde Surprise de l’amour écrite en 1727 est une variante de la première, posant la même interrogation sur la naissance de l’amour, ou comment à partir de malentendus et d’obstacles, la vérité des cœurs triomphera. Luc Bondy est passé maître dans cette lecture des ambiguïtés et reconnaît avoir préféré cette deuxième version, «  une pièce plus surprenante… le malentendu qui se joue entre les deux termes amitié et amour, peut également être lu comme une histoire initiatique : le couple doit surmonter plusieurs crises avant de se trouver  ». Et sa scénographie épouse au plus près sa lecture.

“La seconde surprise de l’amour“ de Marivaux
© Pascal Victor – ArtComArt

Avec son équipe de collaborateurs fidèles (Dieter Sturm à la dramaturgie, Moidele Bickel aux costumes, Karl-Ernst Hermann aux décors et aux lumières), il construit un espace scénique à l’esthétique rigoureuse, structuré en plusieurs plan. Une toile gris bleuté qui élargit l’espace du plateau sert de fond, devant lequel s’élève une longue passerelle, où sont plantées deux tentes noires. Symboles des deux maisons, refuges de la Marquise et du Chevalier, qui au gré des variations sentimentales se rapprochent ou s’éloignent. L’action prend place en contrebas du plateau traversé par un chemin sinueux, fait de petits cailloux blancs.

Force du désir
On connaît l’intrigue de la pièce : deux jeunes êtres souffrent de la perte d’un être
cher : la marquise de son époux et le chevalier de sa belle. Leur rencontre leur permettra de partager leur chagrin, car on le sait le malheur rapproche les êtres. Mais il faudra une longue série d’épreuves et d’obstacles, parmi lesquels les avances lubriques d’un Comte et les prétentions pédantes d’Hortensius, pour que cette attirance mutuelle puisse être vécue pleinement et que la Marquise et le Chevalier osent enfin avouer leurs secrets désirs. En contrepoint aux sphères aristocratiques se déploient les manœuvres amoureuses des valets, Lisette et Lubin. Pour Luc Bondy, «  des situations qui semblent difficiles à adapter à notre époque car souvent, ce sont eux qui font fonctionner ceux auxquels ils obéissent. Malgré tout leur humanité nous parle ». Pour Bondy comme pour Marivaux, par-delà les époques et toutes catégories sociales confondues, c’est la force du désir qui le fascine, un désir que ni la raison ni la volonté n’arrêtent. Ce qu’il parvient à nous montrer sans forcer le trait et sans plaquer aucune interprétation préconçue.

“La seconde surprise de l’amour“ de Marivaux
© Pascal Victor – ArtComArt

Mise en scène d’autant plus inspirée que Luc Bondy s’appuie sur cette langue toute de légèreté et de pureté, pour conduire l’action et diriger les comédiens. Ici aucune phrase n’est dite gratuitement, et les mots s’éprouvent presque physiquement, tant ils prennent corps dans la chair des comédiens. Le texte est si bien dit qu’il est tout-à-fait contemporain, au point d’oublier qu’il a été écrit en 1727. Il faut dire que Luc Bondy a eu la main heureuse dans la sélection de ses comédiens qui partagent une même qualité de présence dans le jeu. Une distribution éblouissante : Clotilde Hesme, la marquise et Audrey Bonnet, la servante, du haut de leurs talons aiguilles, sont proches de nous par leur sensibilité et leur complicité, Micha Lescot en chevalier a un look de dandy désinvolte mais nous rappelle aussi ces adolescents maladroits en amour, Roch Leibovici est un Lubin irrésistible sur sa bicyclette, espiègle et ingénieux, Pascal Bongard en Hortensius, pour qui la passion s’apprend plus au contact de Sénèque que de la réalité féminine, est d’une humanité touchante, Roger Jendly joue merveilleusement le comte conscient de sa condition aristocratique supérieure.
Créée au théâtre des Amandiers à Nanterre, dans le cadre du festival d’automne, la pièce a fait l’unanimité. C’est la pièce de théâtre à ne pas manquer cette saison. Une tournée française, européenne et suisse permettra à tous les amateurs de théâtre de passer un moment d’enchantement, de fraîcheur et d’humour.

Régine Kopp

Bonlieu – Annecy. Les 25 et 26 mars
Maison des Arts de Thonon-Evian. Les 8 et 9 avril
Vidy-Lausanne. Du 15 avril au 4 mai
Théâtre du Passage – Neuchâtel. Les 10 et 11 mai