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Théâtre du Crève-Coeur, Cologny
Cologny, Théâtre du Crève-Cœur : Obaldia & Vachoux

Fantasmes de Demoiselles sous-titré Femmes faites ou défaites cherchant l’âme soeur, est la nouvelle création obaldienne au Crève-Coeur.

Article mis en ligne le décembre 2007
dernière modification le 21 janvier 2008

par Maya SCHAUTZ

Dès fin novembre, au Théâtre du Crève-Coeur, Richard Vachoux est revenu à René de Obaldia, qui, lorsqu’il était jeune auteur dramatique, fut d’emblée apprécié par le nouveau Théâtre poétique, alors dirigé par Richard Vachoux et situé en Vieille ville de Genève. En 56-57, un certain nombre des Impromptus à loisir y furent montés avec succès : un nouvel auteur était né.

René de Obaldia voit le jour en 1918 à Hong-Kong, de mère française et de père panaméen, mais il vivra en France dès son jeune âge et fréquentera le lycée Condorcet. Naturalisé français, il sera mobilisé en 39 et fait prisonnier en Silésie jusqu’en 45. Dès 49, il publie des poèmes d’inspiration surréaliste et sera de 1952 à 54 directeur au Centre culturel international de Royaumont. Il consacre ensuite sa vie à la seule littérature.

Richard Vachoux

Légèreté et jeux de langage
D’abord romancier de 55 à 60, où il reçoit le « Grand Prix de l’humour noir » pour Fugue à Waterloo ainsi que le prix « Combat » pour Le Centenaire. Un livre étonnant où il présente « son » Rimbaud devenu centenaire, qui aurait passé de la révolte explosive des débuts, trop tôt arrêtée, à une sagesse de centenaire encore aventureux en littérature : une sorte d’anticipation d’Obaldia en devenir. Mais le public va surtout apprécier le dramaturge dans Genousie, créée en 1960 au T.N.P. par Jean Vilar et dans Du vent dans les branches de sassafras en 1965. Ces deux spectacles remporteront un grand succès.
Le théâtre d’Obaldia sous ses allures de légèreté ne tombe jamais dans le boulevardier si honni à l’époque. Ses créations verbales et ses jeux de mots l’apparentent à un Michaux, de même que la constitution d’un langage propre, le « genousien » utilisé dans sa première pièce et qu’il pratiquera à l’envi, notamment dans Le Cosmopolite agricole de 1965 : « Je dérive, dérive, je Tanana, je Tananarive ». Ses jeux avec le langage peuvent aller jusqu’à la dislocation de la structure logique du discours. Il se plaît à la succession absurde des mots, mettant en défaut notre langage, et reconnaît que « Le pire des malentendus vient peut-être de ce que nous parlons la même langue. » Il remet donc en cause les normes, les lieux communs, l’académisme imposé par la littérature sérieuse. Mais malgré ses jeux de langage, sa conception de la narration reste traditionnelle.
Après Vilar et en même temps que les débuts obaldiens à Genève, Marcel Maréchal à Lyon s’intéresse à l’auteur et crée Le Général inconnu, qui fut ensuite donné à la Comédie française avec Chaumette.

Fidélité
Richard Vachoux, resté fidèle à cet auteur, à la poétique si originale, montera au Poche Le Général inconnu en 1975. Puis, pendant sa direction à la Comédie, Le Satyre de la Villette en 1977 sera confié à Gérard Carrat pour la mise en scène de cette pseudo-pièce de boulevard et de Et à la fin était le Bang en 1978. Une fidélité maintenue malgré la brouille avec Obaldia en 1976 au sujet du ratage d’une pièce de Feydeau, non terminée à la mort de ce dernier, et à laquelle Obaldia avait été prié d’ajouter un acte final. Or on ne put jamais voir cette fin car, le jour de la Première, à laquelle assistait Obaldia, un cheval, qui devait entrer dans la dernière scène prévue par Feydeau, échappa à la maîtrise de Georges Wod et s’en alla uriner sur le devant de la scène, en éclaboussant le premier rang. Le rideau fut baissé précipitamment, la fin obaldienne fut « sucrée » et plus jamais reprise. Les comédiens voulurent en rester à cette version tronquée, plus dynamique à leurs yeux que le rajout d’Obaldia, lequel en fut évidemment très fâché.
En 1990, également à la Comédie, Richard Vachoux confiera à André Steiger la mise en scène de Du vent dans les branches de sassafras.
Cette pièce totalement burlesque s’ouvre sur une scène d’exposition classique ! Obaldia manie en effet le plus souvent la parodie, parodie du boulevard, du western, du songe d’Athalie dans Du vent dans les branches... Parodie du conte bleu, de l’Hamlet de Shakespeare, de la Bible, du langage argotique et à tout cela il mêle des effets conventionnels : un dialogue brillant, des aphorismes percutants, des sentences décisives. Il ne remet nullement en cause les anciens, mais en utilise toutes les ressources, mélangeant les espaces et les temps, le sérieux et le comique, le songe et la réalité, l’académisme et l’innovation verbale, la rhétorique et la parole fragmentaire en vue d’augmenter la puissance du verbe. Par la prolifération des images il fait passer la littérature au delà d’elle-même. Il affirme ainsi la toute-puissance de l’imaginaire. Ces tentatives d’élargissement poétique des mots ont séduit Richard Vachoux dès 56-57 avec les Impromptus à loisir. Les mots qui l’enchantent et le séduisent doivent cesser d’être des transmetteurs d’idéologies. C’est le cas chez Obaldia où ils éclairent au contraire toute la complexité du monde et maintiennent une belle vitalité à la langue française. Ce qui l’interpelle aussi chez Obaldia, c’est son goût de la dérision !

Fantasmes et baby-sitter
Ainsi dans le recueil Fantasmes de Demoiselles sous-titré Femmes faites ou défaites cherchant l’âme soeur, une nouvelle création obaldienne au Crève-Coeur, l’auteur dénonce une forme de société qui mécanise et stérilise ce que l’on tente d’appeler amour à travers les 51 petites annonces où de façon récurrente, lancinante, on ne cesse de chercher un homme (ou une femme) à aimer. Et le metteur en scène de s’en emparer en tant qu’entrelacs-entrechat et toile de fond sonore, avec quoi il va ponctuer une pièce plus ancienne de 1971, La Baby sitter, créée à Paris au Théâtre de l’Oeuvre dans une mise en scène de Pierre Franck. Pour nous montrer le désastre de notre modernité, ce montage dénonce, sans provoquer d’émotion, le mariage et ses rituels bourgeois, en mettant notre univers capitaliste, nous y compris, en danger. Nous voilà bredouilles, sans réponse devant le gâchis, avec nos questions existentielles, qui, selon Ionesco, « éclairent » pourtant.
Cette tentative théâtrale, qui se veut critique et grinçante, témoigne aussi du fait que l’on peut monter Obaldia par nostalgie de Brecht, d’un Brecht premier, dénonciateur et poète. Un des mérites d’Obaldia n’est-il pas de vilipender par le verbe ce qui déraille, et d’agir ainsi contre un monde qui se « cuculise » fortement selon la formulation percutante de J.-L.Bory à son endroit ? Et le critique d’ajouter qu’Obaldia sait le faire « avec du moins lourd que l’air » ! Puisse cette utopie, incluse dans les mots et les images, atteindre notre imaginaire pour l’élargir, grâce aux acteurs, transmetteurs ultimes de la poétique obaldienne.

Maya Schautz

Du 28 novembre au 23 décembre : Fantasmes de Demoiselles de René de Obaldia, mise en scène Richard Vachoux, avec Aline Gampert, Josette Chanel, Mathieu Chardet, Léonie Keller. Décorateur Christian Chardonnet. Réservation : 022 786 86 00