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Théâtre de Carouge
Carouge, Théâtre : “Les Spectateurs“

En ouverture de saison, Philippe Morand et ses comédiens exploitent une vaste panoplie de théâtre pour dévoiler l’envers du décor.

Article mis en ligne le octobre 2008
dernière modification le 21 octobre 2008

par Julien LAMBERT

Dialogues de coulisses, mises en scène enchâssées, travestissements et marionnettes : Philippe Morand et ses comédiens co-auteurs et
co-metteurs en scène exploitent une vaste panoplie de théâtre pour dévoiler l’envers du décor. En ouverture de la saison carougeoise, ces Spectacteurs comptent ainsi mieux faire connaître les ressorts de leur métier au public jeune et moins jeune, qui ne sait pas toujours pourquoi il dit aimer, ou ne pas aimer le théâtre.

Récit de deux jours de répétitions, qui disent mieux que la théorie les enjeux fascinants du spectacle.

Essais et impondérables
Seul sur scène en Monsieur Loyal, attaché comme une marionnette à une corde, Mauro Belluci annonce la couleur : ce que nous allons voir n’est pas un spectacle. Cela y ressemble pourtant furieusement, quand le comédien s’envole dans les cintres en hurlant : « mon royaume pour un cheval  ! » En effet, ce n’est pas encore une représentation, mais une répétition au théâtre de Carouge dix jours avant la première des Spectacteurs. Belluci oublie son texte et peste, les techniciens ne sont pas encore synchronisés dans l’envoi des effets de lumière, Doris Ittig, claustrophobe, étouffe dans un cercueil en attendant sa scène. Mais c’est aussi cela le théâtre, des essais multipliés, des impondérables dus à la nature humaine et variable de cet art, une infinité de variables qui réinventent toujours ce qu’on croirait parfois figé dans le marbre.

Le spectacle qu’ont composé Philippe Morand et son collectif de comédiens cherche justement à transmettre la sensation de cette fragilité, en montrant les coulisses de leur travail au spectateur dont la présence participe toujours plus qu’il ne pense à la facture de l’événement. Justement, peu après, la sonnerie d’un portable interrompt un monologue de Doris Ittig dans son cercueil, qui reproche à son fils de «  faire du théâtre » et non un métier sérieux. La comédienne sort de sa bière, Belluci est descendu des cintres, demande ce qu’il se passe, Cédric Dorier entreprend un débat avec l’adolescente inconvenante. Nous sommes toujours dans le jeu, mais l’interruption abrupte de la scène rend compte de l’ampleur de l’interaction entre acteur et spectateur… et de ses dangers possibles. Plus tard encore, Thierry Jorand en tragédien « vieille école » cherche le collégien auteur d’une lettre qui déclare sa détestation du théâtre. «  Le jeune public ne partage pas les mêmes codes, il a l’habitude de zapper et de consommer un produit inamovible  », explique Morand.

« Les Spectateurs »
© Marc Vanappelghem

Une leçon ludique sur la scène… et les gradins
Les Spectacteurs, dont il sera donné une vingtaine de scolaires, tente donc de « rectifier le tir », en instruisant le jeune public sur le cadre de la représentation, « à laquelle il prend part aussi bien que les comédiens », mais aussi en combattant ses a priori sur le théâtre. Pas de manière didactique, mais par une « mise en jeu du théâtre, qui fasse surtout sentir les différentes étapes du spectacle, les doutes et fragilités de l’acteur, qui conditionnent la qualité de son jeu ». Entre divers extraits de textes de Diderot, Novarina ou Handke, des « champignons » greffés sur la théorie simulent cet envers du décor souvent insoupçonné. «  Comment tu fais pour pleurer, toi ? », demande Selvi Purro, jeune comédienne fraîchement sortie de la Haute école de théâtre. « Je fixe un projecteur  », répond distraitement Doris Ittig en l’aidant à déplacer un élément de décor, avant de se plaindre d’un mal de ventre qui met en péril son spectacle du soir.

Les « trucs » du comédien comme les divers types de jeu sont donc aussi dévoilés par ce spectacle voulu ludique ; une tonalité qui passe justement par la confusion entre fiction et réalité, qui fait la spécificité du théâtre. « Un élève d’une classe-pilote s’est exclamé que c’était incroyable, que ce que nous disions avait l’air vrai, raconte Cédric Dorier. Ce parler vrai, cette langue prosaïque que nous adoptons dans Les Spectacteurs s’avère parfois plus difficile à simuler qu’un parler de théâtre, mais peut faire passer plus naturellement les langues de Marivaux ou de Shakespeare. Notre mission restant de donner voix et corps à des langages littéraires, amples et voluptueux. »

Théâtre dans le théâtre dans le théâtre
La découverte sensible de cette alchimie passe logiquement par l’ambiguïté du principe de jeu, que vient illustrer la fameuse scène de répétition de La Mouette, choisie comme élément structurant du spectacle. Aux conseils du jeune auteur Treplev joué par Dorier, à la jeune actrice qu’est Selvi Purro, vient s’ajouter l’irruption de Mauro Belluci en faux metteur en scène, puis celle de Morand surgi des gradins pour indiquer à son comédien comment mieux diriger les vrais faux interprètes de La Mouette. La triple mise en abyme donne le vertige. Surtout en répétition, quand Morand redevient le metteur en scène qu’il est vraiment, pour discuter du degré de réalisme à adopter dans chacune des couches de la supercherie. «  Je suis complètement perdue », avoue Selvi Purro. Morand lui conseille d’adopter une diction d’abord monotone, pour mieux s’emballer après les directives de Belluci et sembler devenir sa comédienne habitée par le jeu, à partir d’une fausse apprentie comédienne.

Sommet de l’exploration, l’art de la mise en scène s’avère métamorphoser un spectacle suivant les partis pris. Une liberté sans fin qu’ont éprouvée tous les membres du collectif sur le projet des Spectacteurs, puisqu’il s’est construit sur la base d’improvisations, de textes écrits ou proposés par les comédiens, qui participent tous à la mise en scène. Un équilibre passionnant mais délicat que Morand doit arbitrer en « meneur de jeu ». Lorsque nous quittons la salle de répétition, l’équipe discute avec passion la possibilité de faire progresser Treplev et Nina dans une parodie de mise en scène avant-gardiste. L’idée restera-t-elle à la représentation ? À vérifier dès le 7 octobre.

Julien Lambert

Du 7 au 26 octobre, petite salle Gérard-Carrat.
Réservations : 022 343 43 43.